[Suite à l'article anti-vegan "Le véganisme, une mode pour temps de crise", publié dans le journal de l'O.C.L (organisation communiste libertaire) "Courant Alternatif", et signé par l'organisation, consultable -ici-, (on vous invite à y consulter les réponses contradictoires des lecteurs et lectrices de cet article) nous publierons régulièrement des textes pour défendre le choix du véganisme comme moyen de remettre en cause l'exploitation animale ET humaine, l'exploitation et la destruction de la Terre, et une culture fondée sur l'appropriation et l'anéantissement des êtres sensibles et du reste de la nature avec pour prétexte que cela serait justement "naturel" et "hédoniste". On commence avec deux réponses à l'article sus-mentionné : une des vegans de l'action antispéciste (de tendance anarchiste), et une autre de la philosophe Agnese Pignatoro.]
"Les anarchistes et leur esprit français"
Qui a peur des vegans ?
L’O.C.L via son journal courant alternatif vient de publier un article s’attaquant à
l’antispécisme et au mouvement « Végan ». L’article se nomme « Etre vegan : une mode
en temps de crise ».
A la première lecture de l’article, on peut se demander quel est l’intérêt d’attaquer le
mouvement vegan ? Un mouvement qui fait d’habitude peur « aux industriels et
policiers » comme le disait "Le Monde". L’article s’attaque particulièrement aux vegans
« politiques » et donc à ceux qui militent contre le capitalisme et se rapprochant des
luttes d’extrême gauche.
Cet article écrit par une sorte de guide suprême de la révolution libertaire parle au
petit peuple pour lui expliquer en quoi le véganisme n’est pas libertaire. Cette démarche autoritaire montre que l’article ne questionne pas la liberté individuelle ou
collective et le véganisme, non : il défend une idéologie. L’idéologie défendue est celle,
comme la remarqué le site « La Terre D’abord », du beauf français.
Tout d’abord, l’article nous explique que la France résiste au véganisme par le fait que
son histoire la préserve du puritanisme anglosaxon.
Ce racisme comme quoi, nos camarades d’autres pays seraient plus naïfs du fait d’un sombre passé puritain. En revanche la france, terre de bidoche, doit être fière de son passée, de son histoire, de son peuple uniforme et viandard.
En tant que libertaire, je ne me réfère pas à la france, que je ne considère même pas
comme une entité culturelle et historique, et les peuples bretons, basques, occitans ?
Sont-ils puritains ou libérés du véganisme grâce à l’esprit français ?
Le véganisme n’est pas une nouvelle culture urbaine, c’est une culture révolutionnaire
balayant la veille france et le sentiment raciste national pour une culture
internationale égalitaire et solidaire. Cette culture se base sur des camarades qui
risquent leur vie et vivent les sanctions des états et du capitalisme, se référant à des
camarades partageant notre pensée, que dire des Tolstoï, Louise Michel … et tant
d’autres ayant choisi de vivre le communisme libertaire par le respect radical et la juste
égalité comme principe commun : le véganisme.
Que dire sur les relents aigres de n’avoir pas pu avoir sa bidoche alors que des
camarades proposent pour tous une nourriture solidaire, éthique et accessible au plus
grand nombre.
Cet article mérite d'être diffusé, pour voir ce qu’est l’idéologie française, celle qui
pervertie les mouvements politiques. La France n’existe pas.
Qui sont ces libertaires qui craignent ceux qui vivent pour promouvoir justice, égalité,
solidarité par la lutte pour tous ! La libération animale est internationale !
http://laterredabord.fr/?p=7115
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"Emotions, solidarité
et libération animale"
L'Organisation Communiste Libertaire a publié sur sa revue, Courant Alternatif, un article contre le véganisme ("Être vegan, une mode pour temps de crise"). Cet article a déjà été commenté et a eu ce qu'il meritait. Ici, je vais juste discuter deux points en particulier.
1/ Il est dit dans cet article que les antispécistes jouent sur le pathos ou sur des images choc pour faire accepter leur vision du monde. Soit dit en passant que les auteurs de cet article ne semblent pas non plus vouloir renoncer à l'efficacité du pathos : en effet, ils manipulent les émotions du lecteur, lorsqu'ils le poussent à croire que les antispécistes sont les ennemis du plaisir, « sans lequel il n'y a pas de vie supportable ».
Ceci dit, il faudrait en réalité se demander pour quelle raison beaucoup d'individus sont touchés par des arguments « pathétiques » ou des images choquantes concernant les animaux maltraités et tués, d'autant plus que notre société n'encourage pas la sensibilité envers les animaux, au contraire, elle la stigmatise. La réponse est que de fait, dans la plupart des cas, les humains ne sont pas indifférents vis-à-vis de la souffrance et de la mort des animaux. L'empathie envers les animaux existe indépendamment de l'antispécisme. L'OCL ferait donc bien de centrer sa réflexion sur son vrai objet, l'existence de cette empathie qui gêne, et commencer en faisant son examen de conscience. En effet, les auteurs de l'article affirment préférer les élevages en plein air et des méthodes d'abattage « les moins cruels possibles », en ajoutant même qu'« il n'y a pas besoin de discuter longtemps » pour justifier cette préférence. Pourquoi ?
2/ Selon l'article, « les revendications de la politique (doivent être) portées par les intéressés eux-mêmes », ce qui amènerait à exclure les animaux de la sphère du « politique ». La politique, dit l'article, est une question « d'auto-émancipation, sinon on est dans la prise en charge, la charité, la pitié ». L'OCL semble avoir une vision impitoyable de la société : gare à ceux qui ne peuvent pas s'émanciper par eux-mêmes ! Si ce point de vue était vrai, il y aurait plein d'humains dont les exigences vitales ne pourraient pas être considérées comme relevant du « politique » : toutes les personnes qui n'ont pas les moyens - physiques, psychiques, intellectuels - de développer leur conscience de classe et d'organiser leur résistance. Certes, elles pourront se débattre, se révolter, comme le font les animaux aussi, mais selon l'opinion de l'OCL ça restera individuel, personnel, donc non politique.
Or cette vision de l'être humain est ultra-libérale et ultra-classiste, car elle présuppose une autonomie totale de l'individu sous tous les points de vue, ce qui est une abstraction conceptuelle et une mystification sociale. Ce qui plus est, elle établit une alternative entre auto-emancipation et charité, entre tout ou rien, mais cette altenrative est fausse. Il y a en effet un troisième élément que l'OCL semble avoir complétement oublié : la solidarité. En quoi la solidarité est-elle différente de la charité et de la pitié ? Évidemment, en ce que ces dernières ne font que fournir une aide ponctuelle à une personne ou catégorie sociale sans en mettre en question le statut, tandis que la solidarité implique la reconnaissance du caractère politique de la situation de difficulté de l'autre (par analogie avec sa propre situation d'oppression), et souhaite la fin de l'oppression dont l'autre est l'objet (en même temps que de la sienne). Si la charité est bourgeoise, car respectueuse de l'ordre social, la solidarité est révolutionnaire, car elle participe au renversement de cet ordre. En ce sens, on peut bien être solidaires des animaux. Comme l'étaient les féministes et les travailleurs qui participèrent aux émeutes anti-vivisectionnistes du Brown Dog à Londres en 1907. L'existence d'une solidarité entre opprimés humains et animaux semble aussi ressortir d'une enquête menée par la sociologue Geneviève Cazes-Valette - une chercheuse qui ne défend pas le végétarisme et n'a certainement pas été influencée par l'antispécisme.
En réfléchissant un petit peu, peut-être l'OCL s'apercevra-t-elle que le point 2 contient la réponse au point 1...
- Au sujet de l'émancipation des animaux et de la solidarité, on pourra lire aussi mes deux articles « La question animale : un débat à ouvrir dans le mouvement anticapitaliste » (Contretemps web) et « L'animal est politique » (Brochure Réflexions sur la Veggie Pride)
Bravo pour avoir relevé avec autant de clarté les incohérences du raisonnement. C'est après y avoir répondu que je me suis rendue compte que vous aviez déjà tout résumé.
RépondreSupprimerTexte particulièrement bien écrit, certes.
RépondreSupprimerMais l'inconvénient -il me semble- est que dans la notion "mouvement" sont rassemblées des "couches sociales" trop distinctes, dont les intérêts sont en conflit voire radicalement opposés. Comment un sous-prolétaire vegan pourrait-il être solidaire avec un bureaucrate vegan de Police Emploi, un universitaire vegan, un financier vegan, un manager ou le boss vegans qui l'exploitent ?
J'ai vraiment du mal à croire qu'un petit-bourgeois vegan renonce pacifiquement, comme par magie, à ses intérêts de classe lors d'un bouleversement du rapport social principal, à savoir le Capital (l'argent engendrant par l'exploitation plus d'argent).
Comment se sentir solidaire avec les vegans sociaux-démocrates voire pire, lepenistes ? (Et Dieu qui n'existe pas sait combien il y en a !)
Alors, pour te répondre, je distinguerai deux parties dans ta question : celle qui concerne la question des classes et celle concernant les vegans soc-dem ou faf(bien que je te le concède, les deux soit en partie liés). On pourrait même ajouter les autoritaires en général. Parce qu'à mon sens c'est un gros problème aussi. Il y a des vegans en france qui ne sont ni fafs ni soc-dems mais qui développent toute une théologie de la libération à base de conceptions organicistes à la gaïa et de vieux trips maoistes. Des gens avec qui on peut se retrouver sur une analyse de classe "minimum", le véganisme et la critique de l'exploitation animale. Mais comme quoi même ça, ça n'est pas suffisant. D'autre part (par exemple) ce reproche d'un manque d'analyse de classe peut aussi être fait concernant les luttes de soutien aux sans-papiers ou la lutte contre le patriarcat. En fait, à toutes les autres luttes que la seule "lutte des classes" dans sa conception la plus strictement syndicale à partir du moment où la critique de la domination ne se base pas à priori sur une analyse de classe socio-économique mais sur l'analyse de cette domination en tant que telle. Et cette analyse aussi est nécessaire parce que l'exploitation animale est bien antérieure au capitalisme (comme le racisme et le patriarcat d'ailleurs). Après, c'est une partie de la réponse, et biensur une fois qu'on a dit ça, on a tout dit. Ce n'est pas suffisant, j'en conviens.
RépondreSupprimerEt peut être en effet, ce texte ne parle pas en prenant la question depuis une analyse de classe. Ou ne l'aborde même pas (ce qui est autrement plus problématique) mais c'est d'abord une réponse à l'article de l'O.C.L, qui lui non plus ne développe pas vraiment d'analyse de classe sérieuse. Et certainement pas d'un point de vue anarchiste ou même anti-autoritaire. Quel genre d'analyse de classe reproche en général à des luttes d'être "inter-classistes" en soi, sinon quelques vieux marxistes et syndicalistes fatigués ? A priori, aucune lutte contre une domination réelle et clairement identifiée n'est "petite bourgeoise" en soi. Tout dépend de comment on l'envisage. Cette question me semble d'autant plus difficile et sujette à critique concernant par exemple ce que l'O.C.L appelle les luttes de libération nationales (et qu'elle défend) et qui à mon sens, se prête beaucoup plus que les mouvements vegans existants à des récupérations bourgeoise en gommant les antagonismes de classe derrière un fantasmatique "nation libérée". Après, il y a différentes façons d'envisager une lutte. Les gens qui parlent de libération animale et de libération totale sont presque toujours anarchistes ou communistes (ou les deux), et ne peuvent pas vraiment être taxées d'analyse petite bourgeoise, et ne sont jamais des soc-dem ou des fafs (il y a eu des communiqués récents de rassemblements internationaux pour la libération animale contre des fascistes qui utilisaient ce terme par exemple, ou de groupes comme Earth First ! qui dénonçaient les tentatives de récupérations par des fascistes). Ou sinon, pour l'exemple quand on lutte contre le racisme, même en france, il y a SOS racisme et les mouvements autonomes de racisé-e-s, ou de sans-papiers. Comme aux états-unis il y avait le SCLC de luther king et puis il y a eu les black panthers, et puis il y a aujourd'hui les "black anarchists" qui lient critique de l'autorité, de l'Etat et des dominations à la critique de la suprématie blanche, du capitalisme et du colonialisme.
RépondreSupprimerLe problème c'est qu'on pourrait tout aussi bien dire "Qu'est-ce qui nous garanti qu'un mouvement vegan ne comporte pas une dominante machiste et soit majoritairement masculin ?". Quasiment rien sinon le fait que des femmes féministes (ou pas) s'y investissent et fassent de cette question une condition sine qua non de cette lutte. Je pense que concernant la question des classes c'est la même chose. Il faut que les gens développent un discours clair sur l'exploitation animale en la reliant à son autre et indubitable facette l'exploitation humaine (et ses diverses dominations et oppressions).
RépondreSupprimerMais pour être tout à fait sincère je crois que les articles comme ceux de l'O.C.L sont non seulement symptomatiques d'une crispation réactionnaire -à toute innovation en matière de critique sociale- qui traverse la société aussi bien que les milieux et organisations prétendument révolutionnaires, mais qu'en plus, ils font plus de mal à ce qu'ils croient défendre qu'ils ne le pensent. En rejetant en bloc et le véganisme (ou même le végétarisme politique) et la critique de l'exploitation animale (plutôt que d'embrasser ses aspects positifs, sans même nécessairement devenir vegan du jour au lendemain) ils font bien plutôt le jeu de fascistes ou de soc-dems qui s'emparent de cette question en ridiculisant l'extrême gauche française accrochée à son pinard et son saucisson et à une "culture qui résiste au véganisme" (si c'est pas comique... qu'est-ce que c'est ?). Au pire des cas, je crois que les gauchistes ont plus à gagner en laissant se développer des mouvements vegans autonomes, anarchistes, communistes, etc... (même si ils n'y participent pas ou sont sceptiques) que des les attaquer frontalement parce que ça participe à mon sens à la schlérose générale des petites chapelles gauchistes et même anarchistes attachées à leurs vieux dogmes et leurs aprioris.
Un argument rarement évoqué par les vegans concernant cette question de classe c'est que les produits animaux (hiérarchisés selon leur rareté - du steak au foie gras) à la différence des légumes qui culturellement (globalement, à part la disgracieuse patate ou quelques légumes assimilés à la pauvreté) sont des attributs de classe. Non seulement d'un point de vue culturel (le saumon fumé, le caviar ou le foie gras sont sont des emblèmes de la "gastronomie") mais d'un point de vue strictement économique : la plupart des gens ne peuvent pas s'en payer, ou occasionnellement. Pire : il est impossible d'en produire pour tout le monde. La "démocratisation" du saumon a provoqué ce qu'on sait dans la disparition progressive de l'espèce du à la pêche intensive. Pour la viande : même chose.
Il est impossible d'en produire dans une quantité suffisante pour tout le monde tant que les gens ont une alimentation basée sur les produits animaux parce que les terres occupées par les animaux et celles occupés par le blé et autres farines cultivées pour les nourrir occupe plus d'espace que toutes les autres cultures réunies. Une alimentation basée sur les produits animaux implique une rationalisation capitaliste et implique que certaines personnes n'aient pas cette alimentation. C'est pas un hasard si la culture alimentaire indienne par exemple est peu basée sur les produits animaux, et encore moins sur la viande. Et ce n'est pas un hasard non plus si la base alimentaire de la plupart des pays pauvres c'est légumes-légumineuses. Les protéines végétales sont plus faciles et moins cher à produire qu'un animal qu'on doit nourrir, élever et abattre dans des conditions de production suffisamment importantes pour que le coût de production baisse, et des conditions sanitaires suffisamment drastiques pour que cette production intensive et nécessairement industrielle ne soit pas dangereuse pour la santé. Et au final, elle l'est quand même parce que la cadence imposée par l'industrie impose de baisser les coûts de production et tailler dans les règles de sécurité qui coûtent aussi de l'argent. Après ça certaines personnes se demandent encore pourquoi des épidémies animales se déclenchent quasiment tout les ans aux quatre coins du monde.
RépondreSupprimerEnfin, je sais pas si ça répond à ta question. Mais à mon sens le lien entre exploitation humaine, capitalisme et exploitation animale est évident. Seulement les gauchistes préfèrent ne pas en parler parce que cantonnés à un humanisme finalement assez abstrait et la plupart des végans parce que croyant "qu'on avance mieux sans la politique" (source de "divisions") balayent toutes les autres questions et sont donc un nid à hippies illuminés, conspis, soc-dem et fafs.
Ce que je veux dire c'est que ces deux attitudes sont complémentaires, et que la seule façon de lutter contre c'est de les critiquer toutes les deux. Après malheureusement on a pas eu l'occasion de publier beaucoup de textes sur cette question sur le site (outre celui là, qui n'est pas formidable mais se voulait une tribune ouverte en réponse à l'article de l'O.C.L).
Si tu en a lu d'autres (mieux), je suis preneur. La plupart des textes intéressants sur le sujet, avec une approche clairement anti-autoritaire, anarchiste, et avec une analyse de classe n'existent pas en français (il faudrait les traduire...).
Salutations
Okapi.
P.S : Enfait je ne suis pas sur que l'exploitation animale nécessite plus de travail que la seule agriculture végétale (destinée à l'alimentation humaine), mais sous sa forme industrielle il est clair que l'exploitation animale est plus rentable tant que la production est suffisamment importante pour dépasser les couts de productions. Je pense que c'est pour cette raison que les pays pauvres ont une alimentation plus basée sur les végétaux. Aussi parce que nombre de terre (en amérique latine notamment) servent à produire blé et soja transgéniques pour le "bétail" occidental. Ceci expliquant celà...
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