dimanche 31 octobre 2010

"Toute grève est synonyme de violence"

[Ce texte, extrait du discours "De l'action directe", a été écrit par l'anarchiste américaine Voltairine de Cleyre et publié intégralement en 1912 dans la revue "Mother Earth".
Si ses références politiques ont vieillies, le fond de ce discours, lui, raisonne dans les récents évènements -grèves, blocages économiques, occupations, manifs sauvages, affrontements, etc- en France (et notamment dans les raffineries en grève où, comme ailleurs, la répression administrative, policière et judiciaire a frappé fort et où la résistance à été la hauteur de ces attaques) qui démontrent qu'une grève est toujours synonyme de violences, à moins d'être inoffensive. Les réflexions portées dans ce trésor de la subversion viennent aussi à point nommé faire contre-poids à toutes les accusations stériles contre les camarades et compagnons accusé-e-s de "faire le jeu de la police" voir même d'être "manipulés par elle", ainsi que des débats sans fin et sans fond sur la "légitimité". C'est un vibrant plaidoyer contre ceux ou celles qui utilisent "la violence" comme argument pour discréditer tout mouvement ou toute action, en nous confinant à l'apathie.]
"Pourquoi les patrons ont peur des grèves ?

Les syndicats ont atteint une taille bien plus imposante que celle des Knights of Labor et leur pouvoir a continué à croître, lentement mais sûrement. Certes cette croissance a connu des fluctuations, des reculs ; de grandes organisations ont surgi puis disparu. Mais dans l’ensemble, les syndicats constituent un pouvoir en plein développement. Malgré leurs faibles ressources, ils ont offert, à une certaine fraction des travailleurs, un moyen d’unir leurs forces, de faire pression directement sur leurs maîtres et d’obtenir ainsi une petite partie de ce qu’ils voulaient — de ce qu’ils devaient essayer d’obtenir, vu leur situation. La grève est leur arme naturelle, celle qu’ils se sont forgée eux-mêmes. Neuf fois sur dix, les patrons redoutent la grève — même si, bien sûr, il peut arriver que certains s’en réjouissent, mais c’est plutôt rare. Les patrons savent qu’ils peuvent gagner contre les grévistes, mais ils ont terriblement peur que leur production s’interrompe. Par contre, ils ne craignent nullement un vote qui exprimerait «la conscience de classe» des électeurs; à l’atelier, vous pouvez discuter du socialisme, ou de n’importe quel autre programme ; mais le jour où vous commencez à parler de syndicalisme, attendez-vous à perdre votre travail ou au moins à ce que l’on vous menace et que l’on vous ordonne de vous taire. Pourquoi? Le patron se moque de savoir que l’action politique n’est qu’une impasse où s’égare l’ouvrier, et que le socialisme politique est en train de devenir un mouvement petit-bourgeois. Il est persuadé que le socialisme est une très mauvaise chose — mais il sait aussi que celui-ci ne s’instaurera pas demain. Par contre, si tous ses ouvriers se syndiquent, il sera immédiatement menacé. Son personnel aura l’esprit rebelle, il devra dépenser de l’argent pour améliorer les conditions de travail, il sera obligé de garder des gens qu’il n’aime pas et, en cas de grève, ses machines ou ses locaux seront peut-être endommagés.

On dit souvent, et on le répète parfois jusqu’à la nausée, que les patrons ont une «conscience de classe», qu’ils sont solidement soudés pour défendre leurs intérêts collectifs, et sont prêts individuellement à subir toutes sortes de pertes plutôt que de trahir leurs prétendus intérêts communs. Ce n’est absolument pas vrai. La majorité des capitalistes sont exactement comme la plupart des ouvriers : ils se préoccupent beaucoup plus de leurs pertes personnelles (ou de leurs gains) que des pertes (ou des victoires) de leur classe. Et lorsqu’un syndicat menace un patron, c’est à son portefeuille qu’il s’en prend.

Toute grève est synonyme de violence

Aujourd’hui chacun sait qu’une grève, quelle que soit sa taille, est synonyme de violence. Même si les grévistes ont une préférence morale pour les méthodes pacifiques, ils savent parfaitement que leur action causera des dégâts. Lorsque les employés du télégraphe font grève, ils sectionnent des câbles et scient des pylônes, tandis que les jaunes bousillent leurs instruments de travail parce qu’ils ne savent pas les utiliser. Les sidérurgistes s’affrontent physiquement aux briseurs de grève, cassent des carreaux, détraquent certains appareils de mesure, endommagent des laminoirs qui coûtent très cher et détruisent des tonnes de matières premières. Les mineurs endommagent des pistes et des ponts et font sauter des installations. S’il s’agit d’ouvriers, ou d’ouvrières, du textile, un incendie d’origine inconnue éclate, des pierres volent à travers une fenêtre apparemment inaccessible ou une brique est lancée sur la tête d’un patron. Quand les employés des tramways font grève, ils arrachent les rails ou élèvent des barricades sur les voies avec des charrettes ou des wagons retournés, des clôtures volées, des voitures incendiées. Lorsque les cheminots se mettent en colère, des moteurs « expirent», des locomotives folles démarrent sans conducteur, des chargements déraillent et des trains sont bloqués. S’il s’agit d’une grève du bâtiment, les travailleurs dynamitent des constructions. Et à chaque fois, des combats éclatent entre d’un côté les briseurs de grève et les jaunes et, de l’autre, les grévistes et leurs sympathisants, entre le Peuple et la Police.

Pour les patrons, une grève sera synonyme de projecteurs, de fil de fer barbelé, de palissades, de locaux de détention, de policiers et d’agents provocateurs, de kidnappings violents et d’expulsions. Ils inventeront tous les moyens possibles pour se protéger directement, sans compter l’ultime recours à la police, aux milices, aux brigades spéciales et aux troupes fédérales.

Tout le monde sait cela et sourit lorsque les responsables syndicaux protestent, affirmant que leurs organisations sont pacifiques et respectent les lois. Tout le monde est conscient qu’ils mentent. Les travailleurs savent que les grévistes utilisent la violence, à la fois ouvertement et clandestinement, et qu’ils n’ont pas d’autres moyens, s’ils ne veulent pas capituler immédiatement. Et la population ne confond pas les grévistes qui sont obligés de recourir à la violence avec les crapules destructrices qui les provoquent délibérément. Généralement, les gens comprennent que les grévistes agissent ainsi parce qu’ils sont poussés par la dure logique d’une situation qu’ils n’ont pas créée, mais qui les force à attaquer pour survivre, sinon ils seront obligés de tomber tout droit dans la misère jusqu’à ce que la mort les frappe, à l’hospice, dans les rues des grandes villes ou sur les berges boueuses d’une rivière. Telle est l’horrible situation devant laquelle se trouvent les ouvriers; ce sont les êtres les plus humains — ils font un détour pour soigner un chien blessé, ou ramener chez eux un chiot et le nourrir, ou s’écartent d’un pas pour ne pas écraser un ver de terre — et ils recourent à la violence contre leurs congénères. Ils savent, parce que la réalité le leur a appris, que c’est l’unique façon de gagner, si tant est qu’ils puissent gagner quelque chose. «Vous n’avez qu’à mieux voter aux prochaines élections!» affirment certains. Il m’a toujours semblé qu’il s’agit de l’une des réponses les plus ridicules qu’une personne puisse faire, lorsqu’un gréviste lui demande de l’aide face à une situation matérielle délicate, et alors que les élections auront lieu dans six mois, un an voire deux ans.

Malheureusement, ceux qui savent comment la violence est utilisée dans la guerre des syndicats contre les patrons ne prennent pas publiquement la parole pour dire: «Tel jour, à tel endroit, telle action spécifique a été entreprise; telles et telles concessions ont été accordées à la suite de cette action ; tel patron a capitulé.» Agir ainsi mettrait en péril leur liberté et leur pouvoir de continuer le combat. C’est pourquoi ceux qui sont les mieux informés doivent se taire et ricaner discrètement en écoutant les ignorants pérorer. [...]"

Voltairine De Cleyre
La suite du texte : ici.

mercredi 20 octobre 2010

"Avis d'Insoumission à la population"


[Trouvé sur Indymedia Paris]

"Tout les uniformes ne sont pas bleus" 2e épisode...

Merci qui ? Merci la CGT !


[Témoignage. Si vous avez d’autres détails, n’hésitez pas à compléter]



Aujourd’hui Mardi 19 Octobre 2010, Nous sommes dans le cortège étudiant unitaire, avec le PS juste devant nous. Quelques slogans dérisoires fusent "Socialos, on vous voit pas souvent, mais bon là, on est contants", et autres trucs du même style. L’ambiance est bon enfant malgré les socialos qui tirent la tronche. De petits attroupements de lycéens circulent dans les cortèges étudiants et lycéens, et juste à coté de nous.

Il est environ 15H00, et nous sommes à hauteur de la société générale, en face du métro Gobelins, ligne 7.

Nous voyons alors une petite bousculade et comprenons qu’il y a eu une sorte de chahut entre quelques lycéens. Certains parlent d’une baston pourrie, d’autre d’une tentative minable de dépouille. Rien de bien méchant, mais en curieux quand même, nous nous rapprochons. C’est là que nous voyons le SO de la CGT, qui était à proximité, débouler et s’improviser justiciers comme ils savent le faire : en chargeant tout ce bouge et en cognant.

Soyons clairs, quelques minutes plus tard, les jeunes des lycées nous diront " ils nous ont tous chargé comme ça, d’un coup, sans distinction : ils ont foncé sur nous et nous ont éclaté !". S’en suit une bousculade, le SO CGT matraque à tout va, panique, mouvement de foule, les gens se piétinent et plusieurs personnes tombent à terre, dont une lycéenne en pleurs, qui n’arrive plus à se relever. On fait de la place pour la laisser réspirer, et là : viens la colère.

Le SO CGT, environ une 20ene (peut être plus), tous grands avec leur brassards rouges et leur autocollants cgt, armés de barre en bois et de téléscopiques, ainsi que de lacrymogènes dites "familiales" (grand modèle), est désormais regroupé en bloc compact devant la société générale. Les insultes fusent, des étudiants, lycéens, et même des syndiqués leurs demandent pourquoi ils ont fait ça, l’air ébahi et en leur montrant les gens tombés par terre et les lycéens qui pour certains cherchent encore à comprendre ce qui s’est passé. Aucune réponse. Seulement des insultes de leur part, des doigts d’honneur. La foule commence à s’énerver, plusieurs personnes leur crachent dessus et un groupe commence à gueuler "SOCIAL-TRAITRES ! SOCIAL-TRAITRES" en les pointant du doigt. Quelques canettes de bière leur volent dessus. Plusieurs personnes leur hurlent dessus. Certains lycéens remontés s’énèrvent "il faut les défoncer ! Ils nous ont tappé sans raison, c’est des oufs !".

Sentant la pression monter, le SO sort les gazeuses et allume encore la foule en se frayant un chemin à coups de barre de bois et de matraque et disparait dans la panique pour rejoindre leur cortège... Une vieille dâme dira " ça fait 40 ans que ça dure. Les flics devraient leur filer un salaire, au moins ce serait plus clair".

Quelques minutes plus tard, des lycéennes d’un lycée en banlieue (je ne sais plus où) iront expliquer à une journaliste et sa caméra "On s’est fait tappées et gazées pour rien par leur SO. C’est déjà les mêmes qui avaient expulsés les sans-papiers de la bourse du travail. Merci le PS, merci la CGT, merci la bourgeoisie." un autre s’esclaffe " ils nous ont tappé parce qu’on ressemble pas à des petits blancs parisiens : c’est des racistes madame !". " Vous allez les diffuser ces images là ?".

Les yeux qui piquent nous regagnons notre cortège en pestant. Pour la première fois de ma vie, je me suis fait gazé par autre chose que des flics : quelle différence ?



En effet, tout les uniformes ne sont pas bleus. Et le SO de la CGT devra finir par rendre des comptes...

Une phrase qui m’a choqué : alors que ces gros bouffons venaient de matraquer des lycéens (vous savez, les futurs prol qu’on déstine à crever au boulot), un gars en colère s’adresse à eux "vous frappez des gens qui sont de la même classe que vous. Vous êtes des ennemis. Vous agissez contre le prolétariat". Un vieux du SO, hargneux, lui rétorque "Ta gueule ! tu sais même pas ce que c’est que le prolétariat !". On dirait une réplique de film. Malheureusement, c’était cette après-midi en pleine manif parisienne.

Signé : Un ex-étudiant, "demandeur d’emploi" comme on dit, et gréviste, accessoirement.



voir aussi :

-"En France, comme en Belgique : Tout les uniformes ne sont pas bleus"
sur Indymedia Paris.
- "SO CGT, Condés : Même Combat !"

mardi 12 octobre 2010

Aujourd'hui : c'est la grève... mais demain ?

[photo : Strasbourg, Manifestation du 12 Octobre 2010]

En France comme au Portugal, comme en Italie, comme en Grèce, comme dans le reste de l'Europe et ailleurs dans le monde : la crise du capitalisme s'intensifie, et les conflits de classe éclatent au grand jour. Grève Générale en Espagne avec affrontements entre grévistes et flics sur les piquets de grève, à Madrid et à Barcelone, manifestations géantes qui dégénèrent à l'émeute. Ici, partout,
et pas seulement contre "la réforme des retraites" (comme la Gauche s'y plait à enfermer le débat) des grèves contre la baisse des salaires et prestations sociales, l'augmentation du temps de travail et du prix de la vie, et la dégradation générale des conditions d'existence... mais aussi contre la présence policière et son inévitable violence : dans tout les secteurs, public ou privé, dans toutes les catégories professionnelles, voilà qui pointe son nez : la grève.

La vraie : la cessation de travail et le blocage de l'économie, avec des piquets de grève, des occupations, des explosions de colère, la révolte qui tend à se généraliser. Et même chez les lycéens et les étudiants, ça chauffe.
Marre d'être fliqués, surveillés, suspectés, contrôlés et condamnés pour simple délit d'existence. Dans ces bahuts qui ressemblent de plus en plus à des prisons, et où bientôt comme à la fac, on y voit se croiser surveillants, vigiles, et autres annexes policières. Tout est fait pour y canaliser la révolte. La prévenir. L'étouffer : l'empêcher.

Dans les universités aussi, où ce ne sont plus les quelques "étudiant-e-s gauchistes" qui mènent l'agitation, mais des salarié-e-s du personnel, et autres supports du mépris de classe de la direction de l'administration partout triomphante dans son application zélée des réformes gouvernementales et de la logique même de l'université comme usine à trier les "gagnant-e-s" des futur-e-s prolétaires.

Mais de la simple révolte, qui va encore s'étendre, doit venir la critique de l'économie, du capitalisme, et de l'Etat. Tant que nous serons gouverné-e-s, nous serons soumis-e-s et donc insatisfait-e-s. Nous devons oser penser le monde autrement que comme il nous a été montré depuis toujours. Nous devons imaginer
que si cette vie n'est pas souhaitable, il faut la changer.

Il faut détruire ce qui nous détruit.

Il faut renverser les rapports de pouvoir partout où nous les trouvons.
Ce sont les assemblées générales de grève qui doivent mener les mouvements (comme structure de base ouverte à tous et toutes) sur des principes de démocratie directe, sans médiation (syndicale, organisationnelle ou de parti) et se coordonner en vue de poursuivre et intensifier la grève de manière auto-organisée,
pour l'étendre jusqu'à son point de rupture :

Celui où l'Etat voudra sonner "la fin de la récrée".

Organisons nous pour lui opposer la force collective,
LA GREVE GENERALE, AUTOGESTIONNAIRE ET EXPROPRIATRICE !

Tout est à tous, rien n'est à l'exploiteur.
Reprenons le contrôle de nos vies :
SABOTONS L'ECONOMIE !

mercredi 6 octobre 2010

En Belgique aussi, la police torture dans les commissariats

[Nous relayerons ici plusieurs témoignages et brèves décrivant la violence particulière qui s'est exercée à l'encontre des camarades, compagnon-e-s et autres personnes arrêtés dans le cadre des actions et manifestations de la semaine du No Border et autres initiatives connexes contre les politiques d'immigration belges, européenne et l'enfermement en général. Nous souscrivons parfaitement à l'idée que la torture est la seule récompense que les polices ont désormais à offrir à quiconque oserait se révolte en dehors du cadre imposé. En particulier lors de révoltes collectives et ne faisant pas mystère de leurs motivations politiques. En clair : qu'il n'y a pas de révoltes avec l'assentiment ou la tolérance des oppresseurs et de ceux qui les servent. Comme en Grèce, comme en Russie, comme en France, comme dans le reste du monde, et dans des mesures et des proportions évidemment différentes, mais dont des buts restent similaires : oui, en Belgique la police torture dans les commissariats. Nous ne voyons pas comme ridicule le fait de parler de nos traumatismes, de nos souffrances, de nos illusions perdues, de nos peurs refoulées et de nos inquiétudes sur l'avenir. Au moins, nous n'avons pas peur d'en parler, et saluons chaleureusement ceux et celles qui ont eu le courage de le faire jusqu'ici. Car à mesure que la violence de l'Etat se montre de manière plus apparente comme ce qu'elle est depuis toujours essentiellement : nous voyons comme urgente la nécessité de non seulement rendre visible le scandale qu'elle constitue, mais de la combattre sur le même terrain que tout le reste : celui des luttes !]



Retour sur l’arrestation du 1er octobre et le choc qui en est resté
[No Border Bruxelles : Dans la nuit du 1er octobre]

http://img831.imageshack.us/img831/2367/52339804.jpg

«Je ne sais pas si celui qui est roué de coups par la police perd sa “dignité humaine”. Mais ce dont je suis certain c’est qu’avec le premier coup qui s’abat sur lui, il est dépossédé de ce que nous appellerons provisoirement la confiance dans le monde. Confiance dans le monde. Beaucoup de choses la constituent : par exemple la foi en une causalité à toute épreuve, foi irrationnelle, impossible à justifier logiquement, ou encore la conviction également aveugle de la validité de la conclusion inductive. Un autre élément plus important dans cette confiance — et seul pertinent ici — est la certitude que l’autre va me ménager en fonction de contrats sociaux écrits ou non-écrits, plus exactement qu’il va respecter mon existence physique et dès lors métaphysique. Les frontières de mon corps sont les frontières de mon Moi. La surface de ma peau m’isole du monde étranger : au niveau de cette surface j’ai le droit, si l’on veut que j’aie confiance, de n’avoir à sentir que ce que je veux sentir.»

Jean Améry, résistant et juif, analysait ainsi la violence qu’il avait subi de la part de la Gestapo belge en 1943 dans son livre Par-delà le crime et le châtiment.

Dans la semaine du 27 septembre au 3 octobre 2010, plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées tout à fait arbitrairement dans les rues de Bruxelles à l’occasion d’un campement de protestation contre les politiques migratoires et le régime de contrôle et de répression qui les accompagne.

Toléré par les autorités, ce type de rassemblement ne peut se faire qu’en faisant un certain nombre de compromis avec les forces de police (obtention d’un terrain, parcours de manifestation, contacts quotidiens avec la préfecture…). C’est un fait que nous déplorons, mais que nous acceptons pour avoir la possibilité de sensibiliser un minimum la population à nos inquiétudes et nos analyses du monde existant. Mais par ces compromis, nous savons qu’il nous est impossible de combattre effectivement le régime en place, étant donné qu’aucune action directe ne saurait souffrir d’une négociation avec l’ennemi : on ne combat pas un pouvoir avec son autorisation. La manifestation «familiale» et festive du samedi est donc la seule forme de «contestation» réellement autorisée — et non réprimée — par le pouvoir, bien que cela s’apparente davantage à un carnaval qu’à un acte de révolte. Il est difficile de croire à la portée révolutionnaire de ces représentations médiatiques et spectaculaires.

Devant la violence quotidienne et le racisme décomplexé du système actuel, face au saccage des structures sociales, l’exploitation et la destruction des vies qu’il implique, nous sommes pourtant nombreux à vouloir nous opposer sans attendre que le pouvoir nous y autorise. Ces campements sont donc l’occasion de mener des actions, symboliques ou non, contre les acteurs de notre oppression, en ciblant des institutions, entreprises et organisations non gouvernementales qui participent à la gestion du contrôle que nous subissons continuellement et de façon chaque jour plus inquiétante. Il s’agit pour nous d’exprimer notre opposition de façon radicale. Et on ne saurait parler de violence, puisqu’aucune personne physique n’est jamais prise pour cible dans nos actions, sauf si elle s’oppose elle-même avec violence à ce que nous entreprenons (policiers). Qu’on se le dise une fois pour toute : nous croyons au sabotage, mais rejetons comme tout-un-chacun la violence physique. Contrairement aux communistes autoritaires, nous désaprouvons toute forme de justice populaire visant à punir collectivement nos détracteurs et opposants. Nous n’avons et ne voulons exercer aucun pouvoir ni aucune autorité, car nous sommes contre toute forme de hiérarchie.


Ceci étant dit, en dehors de toute considération idéologique, je souhaiterais aborder de façon plus personnelle ce qui s’est produit à Bruxelles durant la semaine passée et qui, je n’en doute pas, me laissera des marques profondes et pour longtemps. Pour dire la vérité, j’ai eu du mal à ne pas pleurer une fois rentré chez moi, tant j’ai été secoué par ce que j’ai vu et subi là-bas.

Bien que ces violences aient eu lieu toute la semaine à l’encontre des personnes investies dans le campement, je voudrais focaliser mon récit sur les douze heures durant lesquelles j’ai moi-même été arrêté et placé en prison au cours de la nuit du vendredi 1er au samedi 2 octobre. Ces quelques heures ont eu sur moi comme un effet de marteau, tant ce que j’ai vu n’avait pas de commune mesure avec les violences policières dont j’ai eu l’occasion d’être souvent témoin auparavant. Et à ce propos, je veux dénoncer le relativisme des copains et copines de lutte qui estiment qu’il n’y avait là rien de plus ordinaire. Pour moi, il n’y a pas de banalité du mal à laquelle il faudrait s’habituer ou devant laquelle il faudrait rester de marbre. Il ne suffit pas de dire «Ce ne sont pas des abus, ces flics ont agi en tant que flics, avec une violence qui leur est propre et qui appartient au rôle social et à la fonction répressive du flic» pour expliquer le comportement barbare des policiers. Il existe des paliers dans l’utilisation de la violence. Le coup de matraque en manif n’est pas comparable aux traitements humiliants dans l’enceinte d’un commissariat. Le déchaînement isolé des policiers pris individuellement dans la mêlée au cours d’une charge et la torture appliquée collectivement et dans une atmosphère «détendue» à l’abri des regards sont deux choses complètement différentes. Et ce que nous avons subi au cours de notre arrestation et de notre mise en détention tient pour moi davantage de la torture.

A contrario de la manif-parade du samedi, la manifestation radicale du vendredi prévue au départ de la gare du Midi faisait l’objet d’une interdiction de la part des autorités. Si les révolutionnaires avaient attendu l’autorisation des seigneurs pour prendre la Bastille, la République n’aurait jamais existé (et on n’aurait pas eu à s’en plaindre au vu de ce qu’elle nous fait subir). Bien qu’on ne se considère pas comme des révolutionnaires (nous n’avons ni programme, ni solution «prêt-à-adopter» pour changer le système, mais seulement des pistes expérimentales et des idées à faire évoluer), il est pour nous hors de question de négocier avec la police le droit d’occuper la rue (qui soit appartient à tous, soit à personne). C’est pourquoi les autorités avaient à craindre notre présence et ont publié un arrêté interdisant tout rassemblement de plus de cinq personnes aux abords de la gare du Midi et permettant l’arrestation administrative de tous les contrevenants à cet arrêté dictatorial.


Tous les alentours de la gare, à partir de quinze heures, étaient sous blocus policier. Les véhicules de polices étaient stationnés partout, girophares allumés, pour traquer les manifestants. Des centaines de personnes ont été arrêtées, même lorsqu’elles marchaient en groupes de moins de cinq. Si l’on veut être fidèle à l’Encyclopédie, le terme «rafle» convient tout à fait à ce type d’opération de police, quoi qu’en disent les plus frileux. L’arbitraire s’est abattu, bannissant de l’espace public l’expression de certaines idées trop gênantes pour le pouvoir. On peut manifester si cela n’ébranle pas le système. Seul faire semblant est autorisé. Une grande majorité des interpellations a fait l’objet de violences gratuites et d’humiliations, non seulement près de la gare, mais aussi à proximité de la porte de Hal où certains se sont repliés pour échapper à l’étau policier et tenter de manifester quand même. Tout s’est fait dans un calme assourdissant, sans courses poursuites ni opposition physique de la part des personnes interpellées. Échappant aux arrestations de la porte de Hal, quelques personnes dont je faisais partie se sont faites arrêter après avoir rencontré des copains et copines tout juste arrivé.e.s sur Bruxelles.

À partir de là, et dès l’arrêt des véhicules à nos côtés le long du trottoir, les agents de la police fédérale belge, pour certains originaires de Anvers, se sont comportés avec nous de façon arbitraire et humiliante, nous menaçant verbalement et physiquement, plaquant nos visages contre le mur et exerçant des pressions physiques sur certains d’entre nous. Refuser pour une fille d’être palpée par un homme ou protester contre la rudesse du traitement infligé nous a exposé à des coups et des pinces au niveau de la gorge. Les menottes en plastique ont été serrées dans le dos jusqu’au sang de façon à ce que la plupart d’entre nous ait les membres ankylosés. Ils nous ont ensuite assis les uns derrière les autres dans les flaques d’eau, puis ont proféré des insultes et vexations à notre égard pendant près de quarante-cinq minutes, tenant des propos injurieux : «Ferme ta gueule !», «On va faire du sexe avec lui… avec ma matraque» (à propos de moi, en flamand), «Ça fait longtemps qu’elles n’ont pas vu une bite» (aux filles), «Dis au bougnoule de contourner le camion» (à propos d’un passant), «Ici, c’est pas la République, c’est la monarchie. Si ça vous plait pas, retournez dans votre pays !», «Tu ressembles à un clochard» (à propos d’un copain), «Je hais les gens qui ne travaillent pas»…

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Pour la première fois de ma vie, je me suis mis dans la peau des personnes soumises à l’arbitraire des nazis durant la Seconde Guerre mondiale, le droit de mort constituant la seule différence notable. Ils nous entouraient tous, en nous insultant et en se moquant de nous. Nous étions assis à leurs pieds, dans l’eau, les mains entravées et douloureuses, sans que quoi que ce soit ne puisse nous être reproché. Au moment de nous transporter dans le panier à salade, ils m’ont penché en avant et m’ont suspendu avec les mains vers le haut. L’un d’eux m’a mis des coups de genoux dans le thorax, pendant qu’un autre me mettait un coup de pied dans la cuisse. Lorsque j’étais assis dans le bus, le premier m’a mis encore une claque. Un copain belge qui nous a rejoint dans le bus a reçu un coup de poing au visage au moment de son arrestation. Une copine qui refusait de se faire palper par un homme a été jetée au sol, la tête écrasée contre le trottoir, tandis qu’un policier lui palpait ostensiblement les fesses. Ces violences faisaient écho à celles déjà subies par d’autres les jours d’avant : un copain anglais recevant un coup de tête dans le visage pour avoir refusé de se laisser prendre en photo, un copain français frappé contre une table pour n’avoir pas voulu signer un papier reconnaissant des faits inventés de «troubles à l’ordre public», des camarades frappés au visage et à la nuque durant la manifestation du mercredi, etc. Il ne s’agissait pas ici d’abus isolés, étant donné que les faits étaient commis en réunion, au vu et au su des officiers, voire avec leur assentiment.

Une fois parvenues au dépôt de police, les centaines de personnes arrêtées ont été rassemblées dans des cellules de vingt personnes (parmi lesquelles des mineurs d’un mouvement de jeunes juifs antisionistes de gauche), tout d’abord avec leurs affaires, puis amenées une par une à la fouille. De notre cellule, on pouvait voir distinctement les conditions de ces fouilles. Un certain nombre de personnes, dès lors qu’elles refusaient d’être palpées par un agent de l’autre sexe, ont reçu des coups. Une fille a ainsi été plaquée avec force sur la table et a reçu des coups de poings. Nous étions invités à signer un papier en flamand sur lequel nous reconnaissions avoir donné nos affaires et du même coup admettions être les auteurs de «troubles à l’ordre public». J’ai exigé d’avoir la traduction du document avant de signer, mais on m’a enlevé la feuille des mains et signifié de «dégager». Nous étions 26 dans ma cellule. Il y avait plus de 25 cellules de cette capacité (dont une qualifiée de V.I.P.). L’arrêté affiché sur les murs des cellules nous informait qu’il «ne saurait nous être donné un avocat». Nous n’avons eu ni repas, ni eau, malgré nos demandes répétées. Injustice à laquelle beaucoup ont répondu en saccageant l’intérieur de leur cellule (lampes, urinoirs, murs et porte). Légitime révolte face à l’arbitraire.

Ce n’est qu’à 5 heures du matin que nous avons été relâchés, ramenés au camp en bus escortés par des fourgons de police.

Nous vivons des heures inquiétantes. L’extrême-droite reprend du poil de la bête. Le fascisme non seulement n’est jamais mort, mais il revient au galop. Les arrestations administratives signalent que le pouvoir n’a plus à s’embarrasser de formalités, il peut réprimer en silence, embarquer tout-un-chacun sans avoir à s’en justifier. Des passants sont traités comme les opposants politiques. Ils reçoivent du gaz et des coups, juste parce qu’ils sont dans la rue. Dommages collatéraux, ils n’avaient qu’à pas être là : on est mieux chez soi, seul devant sa télé. La rue, c’est juste pour aller travailler et consommer. Les policiers y règnent en maîtres. Les photographes qui veulent montrer l’inmontrable se font agresser par des policiers en civil qui les menacent de détruire leurs appareils. Les médias font l’impasse sur la répression, servent le pouvoir en place, déversent des statistiques insipides et se réjouissent des laspsus des puissants. Aucune info ne perce, tandis qu’à l’ombre on frappe les indociles et on expulse les indésirables. De toute façon, ce sont des parasites. On leur a construit des prisons spéciales et des cellules à part. À force de coups, ils finiront bien par comprendre qu’il faut fermer sa gueule et marcher droit, consommer et produire, être rentables.

Pour la première fois j’ai eu peur. Pour la première fois, j’ai baissé la tête par peur de me faire casser le nez. Pour la première fois, ma colère s’est transformée en haine. Pourtant, j’étais venu par amour. Par amour pour ces gens que l’Europe veut foutre dehors sans raison, juste parce qu’ils sont nés ailleurs ou vivent différemment. Ce que le pouvoir y gagnera, c’est d’avoir face à lui des personnes qui agissent dans l’ombre et qui seront prêtes à tout, parce qu’elles ont tout perdu. Qu’il en soit ainsi, nous ne sommes pas contre. Tant qu’il n’y aura pas de justice, il n’y aura pas de paix.

Dans la nuit du 1er octobre 2010, j’ai perdu ma confiance dans le monde…

Indymedia Bruxelles, 3 octobre 2010.

No Border - suites et fin...



La semaine du No Border à Bruxelles est clôturée. Plusieurs discussions et débats intéressants ont eu lieu. Des liens se sont tissés. Une manifestation bruyante et opaque de milliers de personnes dans les rues de Bruxelles a eu lieu avec plusieurs slogans pour la liberté totale de circulation, contre les prisons et les centres fermés. Pendant toutes la semaine, diverses actions ont été menées en faveur de la liberté de circulation, et contre la machine à expulser. Mais aussi, malheureusement, une importante répression policière en amont et en aval de ces luttes. Pour ce que nous en savons : 2 personnes ont été arrêtées et sont suspectés dans une action contre Sodexo (entreprise qui participe à la machine à expulser - voir tract ci-dessous).
5 autres, arrêtées Vendredi 1 Octobre, sont soupçonnées dans une attaque contre un commissariat suite à de nombreuses arrestations préventives contre la tenue de la manifestation du même jour et risquent jusqu'à 10 ans de prison sur seule présomption policière. Et enfin, un nombre de violences policières importantes, de coups, d'insultes, de passages à tabac, d'humiliations et de traitements dégradants et à caractère sexistes ont été infligés durant leur détention à des militant-e-s arrêté-e-s dans leur ultime majorité préventivement : comme de nombreux témoignages recueillis par la Legal Team en attestent. Nous relayerons ici quelques contributions qui nous semblent illustrer plusieurs de ces faits. Qu'ils soient récits anonymes, contributions du site du -No Border Bxl- ou de tracts. Nous réaffirmons par la même notre solidarité avec les personnes inculpées durant la semaine du No Border et toutes les luttes qui y ont été portées, dehors comme dedans. Liberté pour toutes et tous ! La lutte continue !

Tout les uniformes ne sont pas bleus

[vidéo publiée sur le site du No Border Bruxelles à propos de la répression policière -et du comportement complice ou au moins compatissant de certains syndicats- contre le bloc anti-capitaliste lors de la manifestation contre l'austérité et contre Ecofin le Mercredi 29 Septembre 2010 dans la capitale belge]


"Rapport minoritaire" récit d'arrestations

Récit «d’arrestations administratives» massive et indistincte pour «trouble à la tranquilité» et retour critique.

Bruxelles, le 2 octobre 2010, dans la nuit.

1.

Tout d’abord, aucun détail ne sera donné sur ces évènements, de nature à compromettre la sécurité de camarades ou compagnon-e-s sur le récit des faits (de par leur nature, et leur caractère fantasmé ou réel), et dont la présentation reste dans ce texte purement pratique dans le but de mener un retour critique sur ce qui s’est passé ce soir. Aucune manifestation n’a réellement eu lieu. Il n’y a donc pas matière à débat sur ce sujet, mais sur ce qui s’est finalement passé, et ce qui aurait pu se passer.

2.

Tout d’abord, ici comme ailleurs, les arrestations préventives, comme à Copenhague, comme ailleurs, redeviennent, partout en Europe, la norme. Le délit d ’ intention, et les arrestations «en amont de toute violation de la loi» ne sont plus du ressort de la science-fiction mais du présent. Notre présent. Et si les condamnations juridiques tarderont peut-être à se généraliser, les détentions interminables existent déjà, et annoncent ce qui peut être à venir.

Avant la manifestation, plusieurs discussions ont eu lieu, de différentes façons, en se questionnant de savoir si la manifestation serait déclarée, si nous irions, pourquoi et comment ? Pointant d’un moment à l’autre, d’une discussion à une autre, la dangerosité d’une telle manifestation, et le risque de finir toutes et tous arrêtéEs, car non-déclarée et non-autorisée dans Bruxelles (certainEs ignorant même jusqu’au fait qu’elle ait été interdite) dans les circonstances particulières qui sont celles de cette semaine et dans un contexte particulier. Plusieurs d’entre nous, loin de dénier l’évidente nécesité que représente le besoin essentiel et même vital de nous affirmer politiquement sans aucune espèce d’autorisation, ont rappeléEs que tout n’est pas question que de «bonne volonté», mais aussi de circonstances. La situation belge n’est pas la situation grecque, qui n’est pas la situation italienne, qui n’est pas la situation française ou espagnole. Et décembre 2008 ici n’est pas le printemps 2006 là-bas, etc.

Nous devons, tout en préservant intacte notre éthique et nos désirs, savoir faire germer l’anarchie dans des contextes et des configurations différentes. En clair : nous préoccuper au moins autant de nous-mêmes que le bassin dans lequel nous sommes plongéEs à tel ou tel moment, en tel ou tel lieu. Dépasser la simple révolte existentielle.

3.

En définitive, si il ne peut y avoir une mesure, et une prise en compte des paramètres environementaux, sociaux, physiques, matériels, culturels, ponctuels ou permanents, numériques, idéologiques, stratégiques, politiques et policiers qui définissent notre situation, à tel endroit, à tel instant : nous devons accepter l’idée que nous [allons] aller droit dans le mur.

Si rien ne permet de faire en sorte qu’il doive pouvoir exister, dans les limites du bon sens, une position souhaitable entre opportunisme et rigidité abstraite, entre bonne volonté et rationalisme plat. En bref, si nous devons bannir tout pragmatisme en le sacrifiant sur l’autel de l’attachement entêté : alors nous devons nous résigner à penser que nous nous battons contre des moulins, que nous restons sagement là où on nous attend, que nous demeurons en fin de compte sinistrement prévisibles, et que tôt ou tard, nous le payerons cher. Avec une «monnaie» qui est la seule qui représente réellement quelque chose pour nous : notre liberté, celle de toutEs les autres, et notre capacité à l’étendre à l’infini.

4.

Pour nombre de camarades et compagnon-e-s, il était évident qu’organiser une manifestation en plein Bruxelles, dans un tel contexte, avec un tel dispositif policier était voué à connaître la fin malheureuse qui a été celle d’aujourd’hui. Et nous osons affirmer que cela aurait pu être bien pire, et que nous avons de la chance, si le mot n’est pas ridicule.

Mais que cela aurait pu être bien mieux. Ce pourquoi nous nous y sommes malgré tout rendu. Parce que nous étions déterminéEs, avec des intentions et des motivations variées, mais aussi et d’abord parce que les mots d’ordre de cette manifestation étaient aussi les nôtres. Malgré tout. Mais nous avions imaginé aussi que d’autres pourraient être capables de ne pas rester accrochéEs à une idée de départ avec trop d’aveuglement : comme à qui on dit «Il y a de l’orage dehors, la sortie est compromise» qui réponde «Non, nous allons sortir». Malheureusement, ici ou ailleurs, aujourd’hui ou demain : les tôles, les commissariats, les hôpitaux psychiatriques, les centres fermés pour mineurs, les centres de rétention et tout le reste seront toujours là demain, et peut-être même après-demain. Et peut-être qu’il sera toujours temps de faire quelque chose sans aller là où il y a le plus «d’orage» : «au mauvais endroit, au mauvais moment».

5.

Certes, à plusieurs instants, dans plusieurs initiatives différentes, qu’elles proviennent de gens du No Border ou d’ailleurs, ont su répondre et se montrer courageux/ses et déterminéEs devant la police. Ne jamais plier. Mais celle-ci s’est montrée, pour sa part, comme le précisait l’affichette dans nos cellules, comme un personnel «spécialisé dans la gestion des personnes privées de liberté». Impassible, imperturbable, sadique, et froidement violente.

Entre autres spectacles navrants d’autorité de pacotille, les prisonniers d’une cellule ont pu par exemple assister à la pitoyable et pathétique démonstration de virilisme en uniforme du gradé Monsieur Van Der Smissen, qui, suivi de ses sous-flics, s’est alors pris au jeu de provoquer chaque prisonnier avec sa matraque sous l’épaule pour voir qui aurait l’audace de lui tenir tête. Le spectacle aurait pu être risible si l’individu n’était pas connu de plusieurs d’entre nous, notamment des manifestations contre les centres de rétention et pour la liberté de circulation totale en faveur des migrant-e-s, comme un harangueur de troupes, galvanisant la haine de sa meute, et notoirement connu pour ses petites phrases racistes et autres crachats de misérable chiens de garde.

Entre autres situations insupportables : plusieurs individuEs, et en particulier des femmes qui ont résisté à la manière dont on les traitait (si l’on considère que des insultes sexistes et un traitement «de faveur», humiliant et même agressif constituent — sans tomber dans le paternalisme observé chez quelques-uns des hommes — des violences supplémentaires à celle que constitue, de par le fait même qu’elles existent, une arrestation et une garde à vue) ont reçu des coups, ont été plaquées au sol, baffées avec gants plombés lorsqu’elles l’ouvraient trop, devant les regards médusés et enragés, et sous les huées et les cris de plusieurs d’entre nous, alors en cellules. S’ajoutent également les camarades et compagnonEs éclatéEs à coups de genoux, de poings, de clés-de-bras et de gel (sorte de pâte urticante et brûlante) dans le visage, et dans les bus nous menant à nos geôles, dans lesquels nous avons été sommairement jetéEs. Bien sûr, mélangéEs entre passantEs arrêtéEs, camarades criant quand d’autres choisissaient de garder un silence de défiance devant toute cette mascarade.

6.

Nous vient alors une question : Tout ça pour quoi ?

L’ultime majorité des arrestations n’a pas été si rondement menée pour seulement nous effrayer ou nous décourager de toute espèce d’action (Monsieur le bourgmestre et toute sa flicaille ne sont pas bêtes au point de croire que cela suffira — sans non plus nier le fait que certaines personnes ont nécessairement vécu, à travers ces violences, une expérience traumatisante. Les sensibilités et ressentis variants d’unE individuE à l’autre. Si ce qui ne nous tue pas nous rend plus fortEs, ce qui nous tue à petit feu ne nous rend pas plus fortEs.) mais dans un but, lui, tout pragmatique justement ; celui de nous photographier et de nous ficher, suivi d’un hypocrite et «courtois» au-revoir pour l’essentiel d’entre nous qui ont ensuite été relâchéEs (même si nous craignons toujours que certaines personnes — en plus d’autres «suspectéEs» — n’aient toujours pas été relâchéEs).



Nous ne portons strictement aucun jugement de valeur, ni moral, ni même éthique sur le fait d’avoir voulu tenir cette manifestation. Nous disons seulement : camarades, amiEs, compagnonEs, n’oublions pas qu’outre la solidarité et l’attaque, il y a aussi la préservation (comme on dit «prévenir plutôt que guérir»), et le sens, si recherché pour nous de la ruse et de la finesse dans un monde aussi brutal et violent, et qui tend à se perfectionner dans son administration de la misère. N’oublions pas que nos énergies ne sont pas infinies. Que nous ne sommes et ne seront jamais un État (et cela, d’abord parce que nous ne le voulons pas). Que nos ressources, comme nos forces et nos vies sont toujours limitées. Nos relations et notre capacité à construire une propagande efficace aussi. Mais brisons le mythe selon lequel toute stratégie d’adaptation est mauvaise, et reconnaissons que le rejet inamovible de réactivité et de souplesse dans nos initiatives (multiples, variées, créatives) est une stratégie qui, en plus de ne porter aucune puissance, nous conduira encore dans le mur, et peut-être plus rudement encore.



N’oublions pas que, comme pour la religion, il ne suffit pas de détruire le clocher, parce que les murs sont surtout faits par des gens et pas seulement avec des briques.



Apprenons de nos erreurs, aguerrissons-nous des mauvaises expériences,



Et par-dessus tout, en préambule de toute lutte, et en particulier de celles contre tous les enfermements :



Élargissons-nous, multiplions-nous, ne nous laissons pas isoler, surtout ne nous laissons pas enfermer !



Les actions et manifestations contre la machine à expulser continueront !



DÉTRUISONS TOUS LES ENFERMEMENTS !

ABOLISSONS LES FRONTIÈRES !

LIBERTÉ DE CIRCULATION TOTALE !

ABANDON DE TOUTES LES POURSUITES !


Des Anarchistes d’ici et là

source : Indymedia Bruxelles, 2 octobre 2010.

No Border Bruxelles - Lettre à Sodexo.

Lettre à Sodexo : On en a marre de vos salades


[Ce vendredi 1er octobre, peu avant 9 heures du matin, une poignée d’activistes s’en est pris au siège social de Sodexo Bruxelles en déversant dans le hall 40 litres d’huile de friture rance pour s’opposer à la collaboration active de cette entreprise pourrie avec la machine à expulser et le système d’exploitation capitaliste (restauration, entretien, «insertion professionnelle» des détenus…).]

Surpris et quelque peu ébahis, la sécurite et les «gardiens de la paix» qui se trouvaient là par hasard, n’ont pas su empêcher ce cirage cagoulé. Voici la lettre qui leur a été adressée par la livreuse qui les accompagnait :

Voilà, cette fois c’est moi qui crache dans ta soupe.

Mais oui, tu me connais, tu m’as déjà vu !

Tu viens dans mon école, à la cantine, tous les midis, me forcer à manger tes purées infâmes, et ton choux-fleurs trop cuit.

Tu viens aussi à l’université, me faire croire que j’ai le choix entre des légumes insipides et du poulet transgénique.

Je te retrouve encore, sur la plateforme pétrolière, ou dans la caserne militaire. Tu trônes là, à la cafet’ derrière tes vitres réfrigérées et tes emballages lyophilisés.

Je t’ai même vu en Afghanistan, au moment de la guerre, tu y faisais recette avec tes haricots gluants et tes frites ramollies.

Je te vois à travers les barreaux de la prison pour étrangers dans laquelle on m’a enfermé. Tu arrives avec ton bouillon stagnant aux effluves de dollars que tu accumules sur l’autel de ma liberté.

Ton beurre, tu le fais encore dans toutes sortes de geôles pour indésirables de la planète.

Et parce que tu as les dents longues, y déverser ta merde ne s’arrête pas au plateau-repas toxique que tu me sers. Tu t’engraisses aussi en m’exploitant sous couvert de ton alibi amer :
«la réinsertion par le travail». En me pro/imposant des contrats précaires comme seule alternative au cachot, tu m’ingères malgré moi dans ta matrice immonde productrice de capital. Il paraît que l’on est ce que l’on mange, et bien moi, le petit enfant, l’indésirable, le migrant, le syndiqué, l’anarchiste, je ne t’ai pas digéré !


Alors, aujourd’hui Sodexo, c’est à mon tour de déverser mon huile rance sur ton parquet ciré. Parce que ta raison d’être est conditionnée par mon enfermement, Parce que tu te remplis la panse sur l’exploitation de la misère, l’existence des frontières, et le fantasme d’une société totalitaire, Parce que tu collabores impunément avec la machine à expulser,
Parce que je ne te laisserai pas faire, Prends cette huile, Sodexo, et va te faire cuire un œuf !

source : Indymedia Bruxelles, 1er octobre 2010.