jeudi 28 juillet 2011

[Squat] Montreuil, la M.Q.P : un proprio, et quelques mercenaires...

"Ce que nous refusons, c'est votre enfer", sur la maison qui pue.

Source : Indymedia Paris.

« Ce que nous refusons, c’est votre enfer »

Du jour au lendemain, sentir que notre petit monde s’écroule, et avec lui toutes nos habitudes. Et avec lui, encore, toute une vie passée qui se transforme en souvenir, où l’on se surprend à vouloir retrouver des photos dont l’on se fichait pas mal auparavant. Et avec lui, enfin, la peur d’être dispersés, la peur d’une nouvelle galère, la peur de devoir tout reprendre à zéro. Notre maison s’est faite attaquer, à plusieurs reprises. Devant la menace, nous avons dû évacuer nos affaires. Et nous nous sommes sentis trop en danger pour y retourner. À présent, des amis, des voisins, des connaissances nouvelles ou anciennes se préoccupent de la maison, la sécurisent. Les attaques peuvent recommencer : le soi-disant simple propriétaire veut à tout prix récupérer son bien.

Les débuts de la propriété, ce fut cela : un type avec un papier dans la main, accompagné d’hommes de main, qui débarque sur un champ ou dans une maison et déclare : ceci est à moi. Aux débuts de la propriété, il a fallu que des salauds se présentent, les armes à la main. En allant contre l’évidence, ils dirent : non, la terre n’est pas à ceux qui la travaillent, pas plus qu’une maison n’est à ceux qui l’habitent.

Nous ne sommes pas naïfs. Nous savions qu’un jour ou l’autre un type allait se présenter et exiger de nous, grâce à la puissance d’un simple bout de papier, que nous nous en allions. Ce lieu, nous l’avions trouvé abandonné, la porte ouverte, il y a presque quatre ans, et nous savions qu’un jour quelqu’un allait se saisir du bout de papier qui va avec. Et reprendre la maison.

Des dizaines de personnes sont passées par cette maison, pour des périodes plus ou moins longues, et un groupe stable d’habitants s’est dégagé avec le temps. Les loyers sont tellement élevés, l’accès à un logement décent est si difficile, que nous sommes des dizaines, voire des centaines de milliers à nous entasser, à passer de canapés en canapés. La concurrence pour le travail, ainsi que ses conditions actuelles, font que celles et ceux qui, pour de multiples raisons, ne trouvent pas la force de rentrer comme des dingues dans ce jeu sont de plus en plus nombreux. Cette maison s’est offerte pour une partie de ces gens-là, c’est-à-dire nous-mêmes. Un toit gratuit, ainsi que la possibilité de vivre à plusieurs, nous a permis de faire face à cette réalité ensemble, de ne pas nous laisser broyer individuellement. Nous nous disions : l’amitié, la solidarité, l’hospitalité sont des valeurs sur lesquelles nous pouvons compter face à la machine économique. Face aux rêves brisés, face aux vies niquées, face aux dépressions qui minent les relations à l’intérieur de cette société.

On nous dira : votre vision est trop noire, il y a des chances pour tous. Mais ce que nous avons vécu ne fait que confirmer cette appréhension du monde. Si le type qui a attaqué a agi pour lui-même, pour avoir son propre pavillon, on ne peut que s’interroger sur la morale de l’intérêt personnel qui ronge cette société, morale qui veut que l’intérêt prime sur toute considération des personnes — car il n’a jamais réellement voulu discuter avec nous. Et si le type qui a attaqué l’a fait pour son biz, pour revendre par la suite comme le veut son métier d‘agent immobilier, on ne peut que questionner ce qu’est, plus généralement, la réalité du travail aujourd’hui : ne serait-ce pas, bien souvent, écraser les autres pour se faire sa place ? On ne peut croire, en tout cas, que cette situation est isolée. En haut, les puissants affirment chaque jour la validité de cette morale. Au commissariat, un flic de base a expliqué au « propriétaire » qu’il aurait dû faire cela cagoulé. Tous les flics présents le justifiaient, se mettaient à sa place. Eux aussi auraient été prêts à acheter un lieu occupé, et à virer les habitants à coups de barre. Comme le disait un autre flic : “quand on a un crédit sur le dos, on fait avec ce qu’on peut”. L’endettement individuel — qui fait échos à l’effondrement des garanties collectives — semble pouvoir justifier la guerre de tous contre tous.

La crise économique que nous vivons a pour conséquence d’accentuer les clivages, et pas seulement entre les classes. Entre ceux d’en bas, les petits, il y a aussi de graves divergences. D’un côté, il y a ceux qui acceptent les lois de l’économie comme des lois naturelles et font leurs la morale du “chacun pour soi et peu importent les conséquences” qui va avec. De l’autre, il y a ceux qui disent : nous ne nous en sortirons qu’ensemble, il n’y a qu’ensemble que nous parviendrons à refuser la loi de l’argent, du travail qui tue, le règne du vice et de la petite méchanceté. Comme le disait une personne solidaire aux assaillants : “ce que nous refusons, c’est votre enfer, et vous ne parviendrez pas à nous faire cesser de croire dans la beauté et la puissance de la solidarité”.

Comme le montre le soutien qui nous est apporté aujourd’hui — face aux attaques, face aux menaces qui pèsent sur nous — nous savons que nous sommes loin d’être les seuls à porter ces valeurs. Des habitants de nombreux autres squats sont venus à notre secours, ainsi que des voisins. Des sans-papiers, des précaires, des chômeurs, des salariés un peu plus installés se sont montrés à nos côtés. Des gens ordinaires, comme nous, qui refusent la loi du plus fort. L’urgence, plus que jamais, est de construire les liens pour faire face à la barbarie de l‘économie.

- Les flics protégeant les mercenaires -

Des habitants de la MQP/Kipue/Maison Qui Pue, 74 rue des caillots


Vigiles à Montreuil : le point sur le 74, rue des Caillots


jeudi 28 juillet 2011

Le 74, rue des Caillots à Montreuil est une maison squattée depuis quatre ans. Durant cette période, elle a été vendue et rachetée à plusieurs reprises par des spéculateurs. Le dernier en date, un agent immobilier appelé Hafid Hafed [à droite sur la photo] et affilié au réseau IAD, prétend en être devenu propriétaire le vendredi 22 juillet.

Le samedi 23, il fait irruption par surprise dans la maison avec une équipe de gros bras et commence à démolir le compteur électrique et d’autres installations. Le lendemain, dimanche 24 juillet, après une nouvelle pression physique directe sur les habitants sous prétexte de « négociations », il lance une attaque frontale sur la maison avec une vingtaine de mercenaires armés de masses, de barres de fer et de gaz lacrymogène. Trois personnes ont été blessées au cours de cette attaque.

Ces faits appellent, de notre part, les observations suivantes :

1) Le dimanche 24 juillet, nous n’avons pas laissé faire les vigiles et les avons empêché de pénétrer à l’intérieur de la maison. Nous nous opposerons de nouveau dans l’avenir à ce type d’attaque, que ce soit au 74, rue des Caillots ou dans d’autres maisons. Il y a un enjeu à agir directement contre ce genre de pratiques, qui ne concernent certainement pas que les squatteurs. L’histoire récente est remplie d’exemples où les hommes de main des promoteurs et des marchands de biens s’en prennent à tous ceux qui ne peuvent payer leur loyer ou rembourser leur crédit, ou encore à ceux qui ont le malheur de gêner des projets immobiliers en refusant de quitter leur logement volontairement.

2) Le dimanche 24, la police, appelée par le voisinage, s’est employée à protéger les vigiles qui ont pu continuer à pénétrer dans le jardin tandis que les personnes soutenant les squatteurs étaient repoussées par la BAC. La collusion avec la police de Montreuil est avérée, et bien visible sur les images filmées par des voisins et diffusées sur Internet par leurs soins. Jamais un petit agent immobilier comme Hafid Hafed n’aurait osé lancer une attaque armée en plein jour, un dimanche après-midi, s’il n’avait pensé pouvoir compter sur la bienveillance du commissariat local. Ce n’est pas parce que la police est arrivée que les vigiles ne se sont pas emparés de la maison, mais parce que nous étions déterminés à rester.

3) Parmi les personnes venues soutenir les squatteurs de la rue des Caillots se trouvaient des habitants d’une maison occupée, située rue des Sorins et actuellement menacée d’expulsion. A la suite de cette démonstration de solidarité active, les flics ont multiplié le harcèlement sur les habitants de cette maison, pénétrant dans la cour de l’immeuble et arrêtant cinq personnes sans papiers. Trois sont actuellement en centre de rétention. Rue des Caillots comme rue des Sorins, la pression sur les squatteurs, qu’elle soit légale par les flics ou extra-légale par les vigiles armés, poursuit le même objectif : faire fuir les indésirables pour maximiser les profits.

4) Ces actions concomitantes des vigiles et des flics contre les squats ont eut lieu dans une ville, Montreuil, qui est le siège d’enjeux urbanistiques majeurs (prolongements des lignes de transports, écoquartiers, etc.) L’opposition à ces projets, qui se développe rapidement (comme par exemple aux Roches) commence à gêner beaucoup d’intérêts. L’enjeu dépasse donc de beaucoup la seule question de l’occupation des maisons vides : il s’agit de se débarrasser de tout ce qui peut gêner ou entraver l’action des promoteurs et des spéculateurs.

5) Maintenant que l’opération a échoué, les différentes autorités cherchent à se dédouaner : la société IAD a « suspendu » son agent immobilier, la préfecture a ouvert une « enquête administrative » sur l’action de la police ce jour-là, et la maire de Montreuil a pris des « mesures conservatoires » à l’encontre d’Hafid Hafed. Ne nous y trompons pas : dans ce genre d’histoire, les puissants gagnent toujours. Soit le coup de force réussit, et on est débarrassé à bon compte des indésirables. Soit il échoue, et la faute en retombe sur les exécutants. Ceux qui ont cru qu’en écrasant plus faibles qu’eux ils pourraient jouer dans la cour des grands, comme cet Hafid Hafed, sont alors lâchés comme des merdes par leurs anciens protecteurs. Dans les méandres tortueuses de la vie politique locale, nous ignorons qui, exactement, soutenait Hafid Hafed : et d’ailleurs nous nous en foutons. Le résultat est de toute façon le même.

6) C’est un système tout entier qui s’en prend aux pauvres en général : c’est un système tout entier que nous entendons combattre.

Le collectif de défense du 74, rue des Caillots.

Photos : de gauche à droite, Medhi Ibanez et Hafid Hafed d'I.@.D France.

Source : Indymedia Paris.


Une vidéo de l'attaque du squat reprise
par Leurs médias (BFM tv) ... :




Vidéo-montage "Les rois du pétrole"
censurée par Dailymotion et Youtube :


"Les rois du pétroles"
(Nouveau lien actif)

Vidéo à propos de la tentative d'expulsion du 74 rue des Caillots à Montreuil

Montage vidéo de l'attaque du squat la Maison Qui Pue, au 74 rue des Caillots à Montreuil, par les soit disant nouveaux propriétaires et une quinzaine d'hommes.

La vidéo « Les rois du pétrole » (à propos de l’attaque de la Maison Qui Pue à Montreuil par les soit disant propriétaires accompagnés d’une quinzaine d’hommes prêts à en découdre pour mettre les habitants dehors) avait été postée hier sur daily motion et youtube. Elle n’aura tenue que 20 minutes avant que la censure tombe et que la vidéo ne soit retirée, probablement sous la pression des propriétaires ou de la société I@D.
Aujourd’hui nous postons à nouveau ce montage, en passant par Rutube
…Tous les chemins mènent à Rome…

Pour Visionner la vidéo, c’est ici :
http://video.rutube.ru/fbe59a4358c75560536fde799ac8fbcb




mercredi 13 juillet 2011

"L’idéologie sociale de la bagnole", par André Gorz

Le vice profond des bagnoles, c’est qu’elles sont comme les châteaux ou les villa sur la Côte : des biens de luxe inventés pour le plaisir exclusif d’une minorité de très riches et que rien, dans leur conception et leur nature, ne destinait au peuple. A la différence de l’aspirateur, de l’appareil de T.S.F. ou de la bicyclette, qui gardent toute leur valeur d’usage quand tout le monde en dispose, la bagnole, comme la villa sur la côte, n’a d’intérêt et d’avantages que dans la mesure où la masse n’en dispose pas. C’est que, par sa conception comme par sa destination originelle, la bagnole est un bien de luxe. Et le luxe, par essence, cela ne se démocratise pas : si tout le monde accède au luxe, plus personne n’en tire d’avantages ; au contraire : tout le monde roule, frustre et dépossède les autres et est roulé, frustré et dépossédé par eux.

La chose est assez communément admise, s’agissant des villas sur la côte. Aucun démagogue n’a encore osé prétendre que démocratiser le droit aux vacances, c’était appliquer le principe : Une villa avec plage privée pour chaque famille française. Chacun comprend que si chacune des treize ou quatorze millions de familles devait disposer ne serait-ce que 10 m de côte, il faudrait 140 000 km de plages pour que tout le monde soit servi ! En attribuer à chacun sa portion, c’est découper les plages en bandes si petites - ou serrer les villas si près les unes contre les autres - que leur valeur d’usage en devient nulle et que disparaît leur avantage par rapport à un complexe hôtelier. Bref, la démocratisation de l’accès aux plages n’admet qu’une seule solution : la solution collectiviste. Et cette solution passe obligatoirement par la guerre au luxe que constituent les plages privées, privilèges qu’une petite minorité s’arroge aux dépens de tous.

Or, ce qui est parfaitement évident pour les plages, pourquoi n’est-ce pas communément admis pour les transports ? Une bagnole, de même qu’une villa avec plage, n’occupe-t-elle un espace rare ? Ne spolie-t-elle pas les autres usagers de la chaussée (piétons, cycliste, usagers des trams ou bus) ? Ne perd-elle pas toute valeur d’usage quand tout le monde utilise la sienne ? Et pourtant les démagogues abondent, qui affirment que chaque famille a droit à au moins une bagnole et que c’est à l’ « Etat » qu’il appartient de faire en sorte que chacun puisse stationner à son aise, rouler à 150 km/h, sur les routes du week-end ou des vacances.

La monstruosité de cette démagogie saute aux yeux et pourtant la gauche ne dédaigne pas d’y recourir. Pourquoi la bagnole est-elle traitée en vache sacrée ? Pourquoi, à la différence des autres biens « privatifs », n’est-elle pas reconnue comme un luxe antisocial ? La réponse doit être cherchée dans les deux aspects suivants de l’automobilisme.

1. L’automobilisme de masse matérialise un triomphe absolu de l’idéologie bourgeoise au niveau de la pratique quotidienne : il fonde et entretient en chacun la croyance illusoire que chaque individu peut prévaloir et s’avantager aux dépens de tous. L’égoïsme agressif et cruel du conducteur qui, à chaque minute, assassine symboliquement « les autres », qu’il ne perçoit plus que comme des gênes matérielles et des obstacles à sa propre vitesse, cet égoïsme agressif et compétitif est l’avènement, grâce à l’automobilisme quotidien, d’un comportement universellement bourgeois (« On ne fera jamais le socialisme avec ces gens-là », me disait un ami est-allemand, consterné par les spectacle de la circulation parisienne).

2. L’automobile offre l’exemple contradictoire d’un objet de luxe qui a été dévalorisé par sa propre diffusion. Mais cette dévalorisation pratique n’a pas encore entraîné sa dévalorisation idéologique : le mythe de l’agrément et de l’avantage de la bagnole persiste alors que les transports collectifs, s’ils étaient généralisés, démontreraient une supériorité éclatante. La persistance de ce mythe s’explique aisément : la généralisation de l’automobilisme individuel a évincé les transports collectifs, modifié l’urbanisme et l’habitat et transféré sur la bagnole des fonctions que sa propre diffusion a rendues nécessaires. Il faudra une révolution idéologique
(« culturelle ») pour briser ce cercle. Il ne faut évidemment pas l’attendre de la classe dominante (de droit ou de gauche).

Voyons maintenant ces deux points de plus près. Quand la voiture a été inventée, elle devait procurer à quelques bourgeois très riches un privilège tout à fait inédit : celui de rouler beaucoup plus vite que tous les autres. Personne, jusque-là, n’y avait encore songé : la vitesse des diligences était sensiblement la même, que vous fussiez riches ou pauvres ; la calèche du seigneur n’allait pas plus vite que la charrette du paysan, et les trains emmenaient tout le monde à la même vitesse (ils n’adoptèrent des vitesses différenciées que sous la concurrence de l’automobile et de l’avion). Il n’y avait donc pas, jusqu’au tournant du dernier siècle, une vitesse de déplacement pour l’élite, une autre pour le peuple. L’auto allait changer cela : elle étendait, pour la première fois, la différence de classe à la vitesse et au moyen de transport.

Ce moyen de transport parut d’abord inaccessible à la masse tant il était différent des moyens ordinaires : il n’y avait aucune mesure entre l’automobile et tout la reste : la charrette, le chemin de fer, la bicyclette ou l’omnibus à cheval. Des êtres d’exception se promenaient à bord d’un véhicule autotracté, pesant une bonne tonne, et dont les organes mécaniques, d’une complication extrême, étaient d’autant plus mystérieux que dérobés aux regards. Car il y avait aussi cet aspect-là, qui pesa lourd dans le mythe automobile : pour la première fois, des hommes chevauchaient des véhicules individuels dont les mécanismes de fonctionnement leur étaient totalement inconnus, dont l’entretien et même l’alimentation devaient être confiés par eux à des spécialistes.

Paradoxe de la voiture automobile : en apparence, elle conférait à ses propriétaires une indépendance illimitée, leur permettant de se déplacer aux heures et sur les itinéraires de leur choix à une vitesse égale ou supérieure à celle du chemin de fer. Mais, en réalité, cette autonomie apparente avait pour envers une dépendance radicale : à la différence du cavalier, du charretier ou du cycliste, l’automobiliste allait dépendre pour son alimentation en énergie, comme d’ailleurs pour la réparation de la moindre avarie, des marchands et spécialistes de la carburation, de la lubrification, de l’allumage et de l’échange de pièces standard. A la différence de tous les propriétaires passés de moyens de locomotion l’automobiliste allait avoir un rapport d’usager et de consommateur - et non pas de possesseur et de maître - au véhicule dont, formellement, il était le propriétaire. Ce véhicule, autrement dit, allait l’obliger à consommer et à utiliser une foule de services marchands et de produits industriels que seuls des tiers pourraient lui fournir. L’autonomie apparente du propriétaire d’une automobile recouvrait sa radicale dépendance.

Les magnats du pétrole perçurent les premiers le parti que l’on pourrait tirer d’une large diffusion de l’automobile : si le peuple pouvait être amené à rouler en voiture à moteur, on pourrait lui vendre l’énergie nécessaire à sa propulsion. Pour la première fois dans l’histoire, les hommes deviendraient tributaires pour leur locomotion d’une source d’énergie marchande. Il y aurait autant de clients de l’industrie pétrolière que d’automobilistes - et comme il y aurait autant d’automobilistes que de familles, le peuple tout entier allait devenir client des pétroliers. La situation dont rêve tout capitaliste allait se réaliser : tous les hommes allaient dépendre pour leurs besoins quotidiens d’une marchandise dont une seule industrie détiendrait le monopole.

Il ne restait qu’à amener le peuple à rouler en voiture. Le plus souvent, on croit qu’il ne se fit pas prier : il suffisait, par la fabrication en série et le montage à la chaîne, d’abaisser suffisamment le prix d’une bagnole ; les gens allaient se précipiter pour l’acheter. Il se précipitèrent bel et bien, sans se rendre compte qu’on les menait par le bout du nez. Que leur promettait, en effet, l’industrie automobile ? Tout bonnement ceci : « Vous aussi, désormais, aurez le privilège de rouler, comme les seigneurs et bourgeois, plus vite que tout le monde. Dans la société de l’automobile, le privilège de l’élite est mis à votre portée. »

Les gens se ruèrent sur les bagnoles jusqu’au moment où, les ouvriers y accédant à leur tour, les automobilistes constatèrent, frustrés, qu’on les avait bien eus. On leur avait promis un privilège de bourgeois ; ils s’étaient endettés pour y avoir accès et voici qu’ils s’apercevaient que tout le monde y accédait en même temps. Mais qu’est-ce qu’un privilège si tout le monde y accède ? C’est un marché de dupes. Pis, c’est chacun contre tous. C’est la paralysie générale par empoignade générale. Car lorsque tout le monde prétend rouler à la vitesse privilégiée des bourgeois, le résultat, c’est que rien ne roule plus, que la vitesse de circulation urbaine tombe - à Boston comme à Paris, à Rome ou à Londres - au-dessous de celle de l’omnibus à cheval et que la moyenne, sur les routes de dégagement, en fin de semaine, tombe au-dessous de la vitesse d’un cycliste.

Rien n’y fait : tous les remèdes ont été essayés, ils aboutissent tous, en fin de compte, à aggraver le mal. Que l’on multiplie les voies radiales et les voies circulaires, les transversales aériennes, les routes à seize voies et à péages, le résultat est toujours le même : plus il y a de voies de desserte, plus il y a de voitures qui y affluent et plus est paralysante la congestion de la circulation urbaine. Tant qu’il y aura des villes, le problème restera sans solution : si large et rapide que soit une voie de dégagement, la vitesse à laquelle les véhicules la quittent, pour pénétrer dans la ville, ne peut être plus grande que la vitesse moyenne, dans Paris, sera de 10 à 20 km/h, selon les heures, on ne pourra quitter à plus de 10 ou 20 km/h les périphériques et autoroutes desservant la capitale. On les quittera même à des vitesses beaucoup plus faibles dès que les accès seront saturés et ce ralentissement se répercutera à des dizaines de kilomètres en amont s’il y a saturation de la route d’accès.

Il en va de même pour toute ville. Il est impossible de circuler à plus de 20 km/h de moyenne dans le lacis de rues, avenues et boulevards entrecroisés qui, à ce jour, étaient le propre des villes. Toute injection de véhicules plus rapides perturbe la circulation urbaine en provoquant des goulots, et finalement le paralyse.

Si la voiture doit prévaloir, il reste une seule solution : supprimer les villes, c’est-à-dire les étaler sur des centaines de kilomètres, le long de voies monumentales, de banlieues autoroutières. C’est ce qu’on a fait aux Etats-Unis. Ivan Illich (Energie et Equité. Ed. Le Seuil ) en résume le résultat en ces chiffres saisissants : « L’Américain type consacre plus de mille cinq cents heures par an (soit trente heures par semaine, ou encore quatre heures par jour, dimanche compris) à sa voiture : cela comprend les heures qu’il passe derrière le volant, en marche ou à l’arrêt ; les heures de travail nécessaires pour la payer et pour payer l’essence, les pneus, les péages, l’assurance, les contraventions et impôts... A cet Américain, il faut donc mille cinq cents heures pour faire (dans l’année) 10 000 km. Six km lui prennent une heure. Dans les pays privés d’industrie des transports, les gens se déplacent à exactement cette même vitesse en allant à pied, avec l’avantage supplémentaire qu’ils peuvent aller n’importe où et pas seulement le long des routes asphaltées. »

Il est vrai, précise Illich, que dans les pays non industrialisés les déplacements n’absorbent que 2 à 8 % du temps social (ce qui correspond vraisemblablement à deux à six heures par semaine). Conclusion suggérée par Illich : l’homme à pied couvre autant de kilomètres en une heure consacrée au transport que l’homme à moteur, mais il consacre à ses déplacements cinq à dix fois moins de temps que ce dernier. Moralité : plus une société diffuse ces véhicules rapides, plus - passé un certain seuil - les gens y passent et y perdent de temps à se déplacer. C’est mathématique.

La raison ? Mais nous venons à l’instant de la voir : on a éclaté les agglomérations en interminables banlieues autoroutières, car c’était le seul moyen d’éviter la congestion véhiculaire des centres d’habitation. Mais cette solution a un revers évident : les gens, finalement, ne peuvent circuler à l’aise que parce qu’ils sont loin de tout. Pour faire place à la bagnole, on a multiplié les distances : on habite loin du lieu de travail, loin de l’école, loin du supermarché - ce qui va exiger une deuxième voiture pour que la « femme au foyer » puisse faire les courses et conduire les enfants à l’école. Des sorties ? Il n’en est pas question. Des amis ? Il y a des voisins... et encore. La voiture, en fin de compte, fait perdre plus de temps qu’elle n’en économise et crée plus de distances qu’elle n’en surmonte. Bien sûr, vous pouvez vous rendre à votre travail en faisant du 100 km/h ; mais c’est parce que vous habitez à 50 km de votre job et acceptez de perdre une demi-heure pour couvrir les dix derniers kilomètres. Bilan : « Les gens travaillent une bonne partie de la journée pour payer les déplacements nécessaires pour se rendre au travail » (Ivan Illich).

Vous direz peut-être : « Au moins, de cette façon, on échappe à l’enfer de la ville une fois finie la journée de travail. » Nous y sommes : voilà bien l’aveu. « La ville » est ressentie comme « l’enfer », on ne pense qu’à s’en évader ou à aller vivre en province, alors que, pour des générations, la grande ville, objet d’émerveillements, était le seul endroit où il valût la peine de vivre. Pourquoi ce revirement ? Pour une seule raison : la bagnole a rendu la grande ville inhabitable. Elle l’a rendu puante, bruyante, asphyxiante, poussiéreuse, engorgée au point que les gens n’ont plus envie de sortir le soir. Alors, puisque les bagnoles ont tué la ville, il faut davantage de bagnoles encore plus rapides pour fuir sur des autoroutes vers des banlieues encore plus lointaines. Impeccable circularité : donnez-nous plus de bagnoles pour fuir les ravages que causent les bagnoles.

D’objet de luxe et de source de privilège, la bagnole est ainsi devenue l’objet d’un besoin vital : il en faut une pour s’évader de l’enfer citadin de la bagnole. Pour l’industrie capitaliste, la partie est donc gagnée : le superflu est devenu nécessaire. Inutile désormais de persuader les gens qui désirent une bagnole : sa nécessité est inscrite dans les choses. Il est vrai que d’autres doutes peuvent surgir lorsqu’on voit l’évasion motorisée le long des axes de fuite : entre 8 heures et 9 h 30 le matin, entre 5 h 30 et 7 heures le soir et, les fins de semaine, cinq à six heures durant, les moyens d’évasion s’étirent en processions, pare-chocs contre pare-chocs, à la vitesse (au mieux) d’un cycliste et dans un grand nuage d’essence au plomb. Que reste-t-il quand, comme c’était inévitable, la vitesse plafond sur les routes est limitée à celle, précisément, que peut atteindre la voiture de tourisme la plus lente.

Juste retour des choses : après avoir tué la ville, la bagnole tue la bagnole. Après avoir promis à tout le monde qu’on irait plus vite, l’industrie automobile aboutit au résultat rigoureusement prévisible que tout le monde va plus lentement que le plus lent de tous, à une vitesse déterminée par les lois simples de la dynamique des fluides. Pis : inventée pour permettre à son propriétaire d’aller où il veut, à l’heure et à la vitesse de son choix, la bagnole devient, de tous les véhicules, le plus serf, aléatoire, imprévisible et incommode : vous avez beau choisir une heure extravagante pour votre départ, vous ne savez jamais quand les bouchons vous permettront d’arriver. Vous êtes rivé à la route (à l’autoroute) aussi inexorablement que le train à ses rails. Vous ne pouvez, pas plus que le voyageur ferroviaire, vous arrêter à l’improviste et vous devez, tout comme dans un train, avancer à une vitesse déterminée par d’autres. En somme, la bagnole a tous les désavantages du train - plus quelques-un qui lui sont spécifiques : vibrations, courbatures, dangers de collision, nécessité de conduire le véhicule - sans aucun de ses avantages.

Et pourtant, direz-vous, les gens ne prennent pas le train. Parbleu : comment le prendraient-ils Avez-vous déjà essayer d’aller de Boston à New York en train ? Ou d’Ivry au Tréport ? Ou de Garches à Fontainebleu ? Ou de Colombes à l’Isle Adam ? Avez-vous essayé, en été, le samedi ou le dimanche ? Eh bien ! essayez donc, courage ! Vous constaterez que le capitalisme automobile a tout prévu : au moment où la bagnole allait tuer la bagnole, il a fait disparaître les solutions de rechange : façon de rendre la bagnole obligatoire. Ainsi, l’Etat capitaliste a d’abord laissé se dégrader, puis a supprimé, les liaisons ferroviaires entre les villes, leurs banlieues et leur couronne de verdure. Seules ont trouvé grâce à ses yeux les liaisons interurbaines à grande vitesse qui disputent aux transports aériens leur clientèle bourgeoise. L’aérotrain, qui aurait pu mettre les côtes normandes ou les lacs du Morvan à la portée des picniqueurs parisiens du dimanche, servira à faire gagner quinze minutes entre Paris et Pontoise et à déverser à ses terminus plus de voyageurs saturés de vitesse que les transports urbains n’en pourront recevoir. Ça, c’est du progrès !

La vérité, c’est que personne n’a vraiment le choix : on n’est pas libre d’avoir une bagnole ou non parce que l’univers suburbain est agencé en fonction d’elle - et même, de plus en plus, l’univers urbain. C’est pourquoi la solution révolutionnaire idéale, qui consiste à supprimer la bagnole au profit de la bicyclette, du tramway, du bus et du taxi sans chauffeur, n’est même plus applicable dans les cités autoroutières comme Los Angeles, Detroit, Houston, Trappes ou même Bruxelles, modelées pour et par l’automobile. Villes éclatées, s’étirant le long de rues vides où s’alignent des pavillons tous semblables et où le paysage (le désert) urbain signifie : « Ces rues sont faites pour rouler aussi vite que possible du lieu de travail au domicile et vice versa. On y passe,, on n’y demeure pas. Chacun, son travail terminé, n’a qu’à rester chez soi et toute personne trouvée dans la rue la nuit tombée doit être tenue pour suspecte de préparer un mauvais coup. » Dans un certain nombre de villes américaines, le fait de flâner à pied la nuit dans les rues est d’ailleurs considéré comme un délit.

Alors, la partie est-elle perdue ? Non pas ; mais l’alternative à la bagnole ne peut être que globale. Car pour que les gens puissent renoncer à leur bagnole, il ne suffit point de leur offrir des moyens de transports collectifs plus commodes : il faut qu’ils puissent ne pas se faire transporter du tout parce qu’ils se sentiront chez eux dans leur quartier, leur commune, leur ville à l’échelle humaine, et qu’ils prendront plaisir à aller à pied de leur travail à leur domicile - à pied ou, à la rigueur, à bicyclette. Aucun moyen de transport rapide et d’évasion ne compensera jamais le malheur d’habiter une ville inhabitable, de n’y être chez soi nulle part, d’y passer seulement pour travailler ou, au contraire, pour s’isoler et dormir. « Les usagers, écrit Illich, briseront les chaînes du transport surpuissant lorsqu’ils se remettront à aimer comme un territoire leur îlot de circulation, et à redouter de s’en éloigner trop souvent. » Mais, précisément, pour pouvoir aimer « son territoire », il faudra d’abord qu’il soit rendu habitable et non pas circulable : que le quartier ou la commune redevienne le microcosme modelé par et pour toutes les activités humaines, où les gens travaillent, habitent, se détendent, s’instruisent, communiquent, s’ébrouent et gèrent en commun le milieu de leur vie commune. Comme on lui demandait une fois ce que les gens allaient faire de leur temps, après la révolution, quand le gaspillage capitaliste sera aboli, Marcuse répondit : « Nous allons détruire les grandes villes et en construire de nouvelles. Ça nous occupera un moment. »

On peut imaginer que ces villes nouvelles seront des fédérations de communes (ou quartiers), entourées de ceintures vertes où les citadins - et notamment les « écoliers » - passeront plusieurs heures par semaine à faire pousser les produits frais nécessaires à leur subsistance. Pour leur déplacements quotidiens, ils disposeront d’une gamme complète de moyens de transport adaptés à une ville moyenne : bicyclettes municipales, trams ou trolleybus, taxis électriques sans chauffeur. Pour les déplacements plus importants dans les campagnes, ainsi que pour le transport des hôtes, un pool d’automobiles communales sera à la disposition de tous dans les garages de quartier. La bagnole aura cessé d’être besoin. C’est que tout aura changé : le monde, la vie, les gens. Et ça ne se sera pas passé tout seul.

Entre-temps, que faire pour en arriver là ? Avant tout, ne jamais poser le problème du transport isolément, toujours le lier au problème de la ville, de la division sociale du travail et de la compartimentation que celle-ci a introduite entre les diverses dimensions de l’existence : un endroit pour travailler, un autre endroit pour « habiter », un troisième pour s’approvisionner, un quatrième pour s’instruire, un cinquième pour se divertir. L’agencement de l’espace continue la désintégration de l’homme commencée par la division du travail à l’usine. Il coupe l’individu en rondelles, il coupe son temps, sa vie, en tranches bien séparées afin qu’en chacune vous soyez un consommateur passif livré sans défense aux marchands, afin que jamais il ne vous vienne à l’idée que travail, culture, communication, plaisir, satisfaction des besoins et vie personnelle peuvent et doivent être une seule et même chose : l’unité d’une vie, soutenue par le tissu sociale de la commune.

André Gorz,
L’idéologie sociale de la bagnole,
in Le Sauvage, septembre-octobre 1973.

mardi 12 juillet 2011

[NO TAV] De retour du Val Susa

Dimanche 3 juillet 2011, le siège de la Maddalena

Rappel des faits

Les opposant.e.s à la ligne de TGV Lyon-Turin (en italien « TAV », pour « Treno Alta Velocità »), habitant.e.s de la vallée et soutiens extérieurs, occupaient depuis plusieurs semaines la Maddalena, un lieu-dit se trouvant sur l’emplacement d’un futur chantier de forage d’un tunnel, près du village de Chiomonte, et y avaient installé un « presidio », à la fois quartier général et assemblée de lutte. Le matin du lundi 27 juin, des centaines de flics ont violemment expulsé le campement, malgré les barricades et une résistance tenace des occupant.e.s, permettant aux entreprises de BTP de commencer leur sale boulot et de palper, in extremis, les faramineuses subventions de l’Union Européenne. En effet, l’U.E. octroyait 671 millions d’euros à la condition que le chantier commence avant le 30 juin. En réponse à l’expulsion, les NO TAV avaient lancé un appel international pour une grosse manifestation le dimanche 3 juillet, répartie en plusieurs cortèges convergeants. L’objectif affiché de la journée était « le siège de la Maddalena ». Voici un récit à six mains, de l’intérieur, par des militant.e.s anarchistes ayant décidé d’apporter une solidarité en actes aux habitant.e.s en lutte du Val Susa.
Filets de morve et solidarité active

Arrivé.e.s la veille à Chiomonte, nous avons décidé de ne pas passer la nuit dans le camp installé au bas du village : la proximité du barrage de flics et la situation très encaissée de l’endroit ne nous disait rien qui vaille. Il nous a cependant suffit de traverser Chiomonte à pied pour recevoir un accueil très chaleureux des habitant.e.s, de 7 à 77 ans, pépés et mémés nous accostant avec de larges sourires, nous remerciant d’être venu.e.s et nous demandant si nous avions assez d’informations et si nous étions assez équipé.e.s pour le lendemain. Sous l’apparence paisible de la bourgade, la colère et la sympathie sincère de gens qui se battent tout simplement pour l’endroit où ils et elles vivent nous ont réchauffé le cœur. La nuit fut bonne, accompagnée tout de même de quelques détonations en provenance de la montagne.

Dimanche matin, le cortège au départ d’Exilles était impressionnant et se répandait sur plusieurs kilomètres le long de la route nationale. L’autoroute étant elle aussi coupée par craintes de tentatives de blocages, c’est toute la vallée qui était délivrée de son flot habituel de camions et de touristes, remplacé par une marée humaine, la rage au ventre, recyclant les barrières de sécurité en une batucada géante. Les premiers « Giù le mani dalla Val Susa ! » (« Bas les pattes du Val Susa ! ») retentirent. De nombreux.ses manifestant.e.s portaient déjà casque à la ceinture et lunettes de plongée sur la tête. Alors qu’un cortège « familial » se dirigeait vers le fond de la vallée et le barrage de flics sur la route de la centrale électrique située avant le lieu du futur chantier, celles et ceux qui le souhaitaient pouvaient monter à travers les vignes vers le village de San Antonio, en un cortège non-déclaré. Nous en étions, et après environ deux heures de marche nous redescendions vers la Maddalena, à l’ombre des châtagniers, sur de magnifiques terrasses en pierres sèches. L’hélicoptère se faisait plus pressant au-dessus de nos têtes, et les cris des camarades en contrebas ainsi que les premiers gaz lacrymogènes nous indiquaient que nous étions sur la bonne route, sur ce terrain escarpé que nous ne connaissions pas encore.

Au bas de la forêt, dans une sorte de clairière au contact direct du site de la Maddalena où se trouvaient encore quelques tentes des occupant.e.s expulsé.e.s le lundi 27 juin, nous étions sûrement plus d’un millier, peut-être le double. En face, dans un petit pré à ciel ouvert, des centaines de flics gardaient la Maddalena et tentaient des avancées dans les bois, protégés par des camions blindés ou un tractopelle, et étaient repoussés à coups de cailloux. Quant à nous, il nous était bien difficile d’avancer dans le pré, même si quelques offensives appuyées par un ou deux cocktails molotov firent bien reculer les flics. Les camarades les mieux équipé.e.s (casques et masques à gaz) pouvaient tenir la première ligne plus longtemps que nous. La solidarité était bien présente, maalox, citron et eau tournant de main en main, les camarades blessé.e.s étant toujours secouru.e.s et accompagné.e.s. Le caillassage était ininterrompu, les bois nous offrant une réserve de projectiles inépuisable. Pendant plusieurs heures, ce fut pour nous balistique rudimentaire, regards embués, pauses obligatoires à genoux et filets de morve. En effet, en face, les tirs de lacrymos étaient nourris, les plus durs à supporter étant ceux qui vous coupent la respiration et vous secouent de spasmes vomitifs. Les tirs tendus à hauteur de visage nous ont bien fait flipper, et les quelques renvois de pierres de la part des flics ont contribué à faire monter la tension. Pas de flashball ici, pour notre plus grand soulagement. La configuration du terrain (accidenté et offrant de nombreuses planques) et la motivation des personnes présentes nous ont permis d’assiéger la Maddalena pendant plusieurs heures. Le côté « peuple des bois contre la gente casquée » avait un charme certain et, tout buccolisme mis à part, les rochers, les arbres et les cailloux ont été nos meilleurs amis durant la bataille. Quand, vers 17 heures, une trentaine de policiers a pénétré dans les bois plus loin que les fois précédentes, ils ne s’attendaient visiblement pas à un tel comité d’accueil. Il y a eu quelques secondes de presque silence, puis ce sont des centaines de personnes qui se sont ruées sur eux. Les flics, terrorisés, sont repartis en courant dans une succulente débandade, sous une pluie de projectiles et de cris vengeurs, coursés de près par une foule de camarades. Dans le mouvement, un flic s’est retrouvé isolé, abandonné par ses collègues. Il a pris quelques sérieux coups qui l’ont laissé sonné. Il faut comprendre que l’animosité contre la police était à ce moment-là très élevée du fait des nombreux-ses blessé-e-s et des arrestations accompagnées de tabassages gratuits. Malgré le désir de vengeance qui habitait bon nombre d’entre nous, le policier a été ramené dans ses rangs, en échange des camarades arrêté.e.s, qui, bien évidemment, n’ont jamais été libéré.e.s. Malgré cela, satisfait.e.s de notre combativité, mais aussi épuisé.e.s et ayant de faibles réserves d’eau, nous avons quitté les bois.

Nous ne pensons pas que nous aurions pu reprendre la Maddalena. Le but de cette bataille était pour nous de ne pas laisser l’expulsion du lundi 27 juin sans réponse et de maintenir la pression sur les chantiers du Lyon-Turin. Ce que nous avons fait de belle manière, avec nos modes d’action, dans une solidarité sincère avec les habitant.e.s en lutte de la vallée et en appui des autres cortèges. Sous le pont de l’autoroute, des participant.e.s ont été bléssé.e.s par les pierres jetées par les flics postés à une trentaine de mètre au dessus. Quant aux personnes qui se trouvaient de l’autre côté du chantier, sur la route de la centrale électrique, qui tentaient d’arracher la clôture, elles ont eu à subir les tirs tendus de grenades lacrymogènes et l’eau irritante des canons à eau.

Tourisme politique ?

Les manifestations s’adressent aux medias et au pouvoir, elles sont des démonstrations de force qui marquent une rupture entre la population et la caste qui prétend la représenter. Elles sont signifiantes par le nombre de personnes qui y participe et par les discours qui s’y développent. Si le pouvoir les ignore et fait passer en force des décisions contraires à l’intérêt général, on entre dans une lutte d’opposition, dans un rapport de force sur le terrain social, environnemental et politique. Lorsque nous prenons la route pour rejoindre la lutte du Val Susa le 2 juillet, le stade de la manifestation courtoise a été dépassé et l’action directe populaire est déjà une forme de lutte fréquente des habitant.e.s de cette vallée : des blocages et sabotages ainsi que des affrontements ont eu lieu à Venaus dès novembre 2005, puis régulièrement jusqu’à aujourd’hui. Nous n’allons donc pas « manifester » en Val Susa, nous allons participer à la lutte et aux formes que lui ont données les habitant.e.s de la vallée.

Évidemment, nous ne sommes ni des mercenaires, ni des prestataires de services, la lutte contre le TAV est notre lutte puisqu’elle s’inscrit dans le mouvement pour la réappropriation politique de l’économie et des moyens d’échange dans l’intérêt des populations. En outre, le tracé du TAV passe sous les massifs de la Chartreuse et de Belledonne, ainsi qu’en Maurienne. Habitant.e.s des Alpes, nous ne sommes pas moins concerné.e.s que nos ami.e.s italien.nes. Les refus d’un modèle de développement économique fondé sur l’accroissement des échanges internationaux, le dumping social, l’éclatement de la production, les flux tendus, le financement d’entreprises de BTP mafieuses sur fonds publics et le saccage environnemental que cela suppose découlent de notre projet politique émancipateur. Le TAV est une des pièces de l’aménagement planifié qui reliera le « Sillon Alpin » à la prospère Italie du nord et au port de Gènes. Le sillon alpin, c’est une ville de plus de 200 kilomètres de long de Genève à Valence, un espace « high-tech » à l’architecture aseptisée, à l’environnement détruit, aux loyers inabordables, peuplé d’ingénieurs producteurs de gadgets et de précaires lavant leurs chiottes dans les nouveaux « emplois de services aux personnes ». C’est le rêve éveillé de ceux qui nous gouvernent. C’est notre cauchemard. Ce modèle de développement, nous n’avons pas attendu le TAV pour l’analyser et le refuser. Nous étions au tunnel du Somport en 1994 et à celui du Mont-Blanc en 2002, nous sommes au Fréjus et en Val Susa aujourd’hui.

Les bonnes vielles ficelles sont celles qui cassent le moins

Il y a 20 ans, le pouvoir se battait déjà sur le front de la propagande préventive en présentant ces chantiers pharaoniques comme des facteurs de progrès économique. Ce progrès économique dont les classes populaires ne voient jamais que le revers de la médaille car il s’accompagne invariablement de conditions de vie de plus en plus précaires et de conditions économiques de moins en moins justes.

Il y a 20 ans aussi les adversaires de ces gabegies financières et environnementales étaient présenté.e.s comme des écolos frileux.ses qui refusaient l’inéluctable marche du progrès et voulaient égoïstement préserver leur petit coin de montagne sans se soucier des impérieuses nécessités qu’amenait la nécessaire croissance économique.

Il y a 20 ans les ficelles du pouvoir pour diviser le mouvement étaient les mêmes et les opportunistes de la gauche institutionnelle étaient aussi prompts à tomber dans le piège de la fausse respectabilité. Il n’y a jamais eu, d’un côté, les « bon.ne.s manifestant.e.s démocrates et pacifiques » et de l’autre les « émeutier.e.s touristes organisé.e.s militairement » forcément « dépolitisé.e.s », forcément « venu.e.s de l’étranger ». Seuls les porte-paroles des partis politiques parlementaires et les medias bourgeois ont repris cette vieille ritournelle des bon.ne.s et des mauvais.e.s manifestant.e.s. Dans la réalité, l’unité est telle que nous avons même toléré les consternants abrutis de la Ligue savoisienne dans les cortèges.

Qu’est-ce que tu fais pour les vacances ?


Le 3 juillet, dans le Val Susa, nous sommes allé.e.s assiéger le chantier principal du TAV que gardaient 900 carabiniers. Nous ne pensions pas une seconde avoir le dessus sur des flics équipés et formés pour le combat. Nous savions juste que notre devoir était de marcher sur cette zone et que nous aurions à les affronter. Nous n’aimons pas la violence mais il y a plus de violence à se soumettre qu’à se défendre. Il y a aura plus de violence encore, dans les 20 ans de chantier à venir qui pollueront la vallée des poussières d’amiante et d’uranium (constitutifs des roches de ces montagnes) en intoxiquant, de façon civilisée, les habitant.e.s.

Le 3 juillet 2011, dans le Val Susa, 200 flics à la solde des mafias économiques établies ont été blessés à coup de caillasses. C’est vrai qu’ils ne faisaient que leur sale travail, pour le compte de l’oligarchie qui leur lâche une modique solde pour aller occuper militairement une vallée contre sa population. Nous avons aussi, de notre côté, eu notre cortège de blessé.e.s à coups de tirs tendus de lacrymogènes à hauteur de poitrine ou de visage ou de tabassages en règle post-arrestation, comme l’exige la glorieuse tradition policière. Nos blessé.e.s ne sont pas dans les chiffres de la Stampa ou du Monde parce que nous n’avons pas été gémir dans les rédactions le dimanche soir. Nous sommes beaucoup plus que 200 à avoir gardé des séquelles de la violence légale. Nous ne sommes pas des professionnel.le.s de la baston, nous ne touchons pas de solde, nous nous battons contre des politiques antisociales et destructrices parce que nous avons le courage de nos convictions, la conscience des nécessités politiques et de l’intérêt général et parce que nous avons dans le cœur un autre monde.

Des anarchistes des montagnes

source : Le jura libertaire

Pour plus d'informations sur le mouvement "NO TAV" :

- "Triple cortège à la Val Di Susa" sur le lereveil.ch
- "Révolte populaire au Val de Susa" sur juralib.noblogs.org
- "La bataille dans le Val de Suse" sur laterredabord.fr
- Le site notav.info (en italien)

[Allemagne] Kommando Rhino Bleibt !

La Solidarite est une Arme !
[le Kommando Rhino est un immense ensemble d'espaces autogérés qui se situe à Fribourg en Allemagne. Il est menacé d'expulsion et appelle à la solidarité internationale pendant tout l'été]

Planning d’actions du Kommando Rhino (Freiburg) pour juillet 2011

Les derniers communiqués de nos camarades allemands de Freiburg pour le Kommando Rhino viennent de tourner sur le net.

Rappelons que le Kommando Rhino est une zone libre et autogérée, d’habitation, culturelle, de concert, d’activités et surtout de lutte anticapitaliste et anti-autoritaire. La mairie avait lancé un premier ultimatum d’expulsion policière pour fin juillet, il semble que les menaces portent désormais dès mi-juillet. De plus, contrairement aux « promesses » de la municipalité et sans surprise, aucun terrain de substitution sera proposé, d’où une liquidation pure et simple du projet Rhino. Face à la répression d’Etat, riposte radicale !

Le Kommando Rhino planifie des actions sauvages, radicales et variées sur toute la durée du mois de juillet à Freiburg, dont voici une énumération plus claire que la traduction google basique (cf ci-dessous)

- 1er juillet : ouverture d’un campement d’action (ramenez les tentes !) au Jardin de Gravier (attention, places limitées) et créer une coordination des groupes d’autodéfense.

- chaque mercredi à 19h, stands d’information et d’activités pour la population.

- 15 juillet : action Reclaim The Street avec le groupe KUKA. Grand cortège-concert sauvage toute la nuit avec blocages et occupation des rues, avec des camions de son.
- 23 juillet : grosse et méga manif sauvage anti-expulsion et pour les FreieRaüme et FreieZone (maisons et terrains libres autogérées, contre la loi du profit, de la domination et de l’exploitation). Les camarades de Freiburg notent qu’ils ont choisi à dessein de bien préciser que c’est une GroBe Demo et non une Parade, cad que c’est une manif d’action et non une parade festive, aussi s’attendre à répression policière et confrontation.

- 28 au 30 juillet : festival et concerts en soutien au Kommando Rhino sous le slogan Rhino Bleibt (Rhino reste !) avec activités pour les enfants et activités culturelles; avec actions et préparation d’autodéfense en cas d’attaques des flics.

Tout le long du mois de juillet, les camarades de Rhino se préparent à une attaque policière d’envergure. En cas d’attaque surprise, un numéro est créé pour que tous les groupes puissent être au courant et défendre le lieu, numéro qui fonctionne par chaîne automatique de SMS et une sécurisation non nominative : 0176/39032200

Source : linksunten.indymedia.org

Plus d'infos (en allemand) : http://supersquat.org/

lundi 11 juillet 2011

[Dijon] Avenir de l'espace autogéré des Tanneries

Communiqué de mise au point

Hier, nous apprenions que la Mairie avait fait voter au Conseil Municipal un budget destiné à pouvoir reloger l’espace autogéré des Tanneries.

Aujourd'hui, face aux flous créés par cette annonce, ou aux franches attaques de l’opposition municipale, il nous semble nécessaire de « mettre les points sur les i ». Ce d’autant plus qu’en réalité, rien n’est réglé en ce qui concerne l’avenir de l’espace autogéré.

L’espace autogéré des Tanneries, c’est — effectivement — une salle de concert accessible à tou·te·s, et investie par des dizaines d’associations et de collectifs dijonnais·es, attirant de multiples groupes locaux et internationaux chaque année, ainsi que des centaines de personnes chaque semaine. C’est un espace indépendant et ouvert, qui fonctionne sans hiérarchie ni subventions, et qui abrite de nombreux autres projets collectifs. C’est une bibliothèque, des locaux de répétition, une salle de sports, de cinéma, des ateliers vélo/mécanique, de l’impression et de la sérigraphie, un potager, des projets de médias indépendants et d’informatique libre, une zone de gratuité, des espaces de réunions. C’est aussi un lieu de vie collective en rupture avec l’isolement et l’atomisation des individus. C’est enfin un espace de convergence de luttes, de mise en commun et de pratiques critiques des rapports marchands et de domination.

Cet espace est né d’une occupation, en octobre 1998, de locaux industriels laissés à l’abandon par la mairie de Dijon. Depuis 12 ans, nous nous sommes employé·e·s à restaurer, aménager, construire dans ces locaux à nos seuls frais (et non pas aux frais du contribuable comme le fantasme l’opposition, qui a été, rappelons-le, la première à négocier avec nous une convention, du temps du Maire Poujade). Pendant ces 12 ans, quelle que soit la couleur de la muncipalité, nous avons cependant dû lutter, à diverses reprises, pour garantir que le lieu ne soit pas expulsé. Le soutien populaire a toujours été fort, aussi bien à Dijon que beaucoup plus largement en Europe, où l’espace autogéré est devenu un symbole de dynamiques culturelles, sociales et politiques indépendantes, autogestionnaires et contestataires.

Il y a 3 ans, la Mairie annonçait qu’en cas de projet d’urbanisme, elle proposerait des solutions de relogement garantissant la continuité du projet Tanneries, et la remise en œuvre des activités actuelles. Nous avons été clair·e·s, de notre côté, sur le fait qu’il n’était pas envisageable de quitter ces lieux pour nous retrouver dans un cube de tôle vide, sans l’assurance de conserver notre autonomie, de pouvoir redéployer la diversité de nos activités, et d’obtenir un bail stable.

Si, aujourd’hui, la Mairie s’engage sur certains travaux infrastructurels qui ne font que partiellement compenser la perte de tous les aménagements réalisés au fil des années, il ne s’agit en aucun cas d’une subvention de fonctionnement régulière, dont nous n’avons jamais voulu et ne voulons pas ! Rappelons que cet engagement financier sera largement compensé par la mise en vente au prix fort des terrains actuels à des promoteurs immobiliers. Rappelons aussi que l’importance de cette somme très ponctuelle (1 millions d’euros) est toute relative par comparaison avec les subventions bien réelles allouées chaque année aux diverses structures culturelles de la ville, de l’Auditorium au Zénith en passant par le Grand Théâtre (pour ne citer que l’Auditorium, la ville de Dijon donne annuellement environ 3 millions de subventions de fonctionnement, pour un coût de construction de 53 millions, tandis que le budget annuel accordé aux subventions culturelles est d’environ 50 millions). Précisons aussi que malgré l’apport municipal sur certaines partie du gros œuvre — indispensable vu l’état squelettique du bâtiment proposé — nous aurions encore bien des chantiers d’ampleur à réaliser pour reloger les activités.

Mais nous tenons surtout, aujourd’hui, à attirer l’attention sur le fait que nous ne sommes pour l’instant arrivé.e.s à aucun accord sur un bail qui garantisse l’avenir et l’indépendance des Tanneries. Rien ne servirait de déménager, si cela impliquait une situation plus précaire encore que par le passé permettant à la Mairie de nous expulser à tout moment, ou une marge d’autogestion plus limitée, qui ferait alors perdre au projet son sens et sa singularité de fonctionnement. Nous attendons donc de voir ce qui va avancer sur cet aspect dans la suite des négociations. En l’absence de solution satisfaisante à ce sujet, nous ne sommes pas parti.e.s — travaux ou pas — et restons déterminé·e·s — si cela s’avèrait nécessaire — à faire résonner le soutien aux Tanneries dans la rue, et à rappeler que cet espace autogéré est défendu dans sa globalité par de nombreuses personnes et associations, à Dijon et ailleurs.

Pour ceux et celles qui ne seraient jamais passé·e·s par ici, ceci est aussi une invitation à venir découvrir l’espace autogéré, plutôt que de s’en tenir aux fantasmes et "on-dit".

Le 29 juin 2011,
L’assemblée de l’espace autogéré des Tanneries

Source : Espace autogéré des Tanneries.

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Chantier d’été des Tanneries à Dijon du 16 au 24 juillet 2010

Le 29 juin

L’avenir des Tanneries est de nouveau compromis par les mégalomanies de la Mairie.

Retour à la lutte ! On ne sait pas de quoi demain sera fait...
mais on sait qu’on ne se laissera pas faire.

On vous invite à venir parer au danger et donner des coups de pieds aux fatalités. Ensemble on reste en chantier, on planche sur les options, et on hausse le ton !

On aime trop les petits et grands bon­heurs col­lec­tifs des chan­tiers d’été et cette oppor­tu­nité de croi­ser plein de gens en conti­nuant la cons­truc­tion, en renou­ve­lant et trans­for­mant les Tanneries.

Cette année c’est par­ti­cu­lier parce qu’on se pré­pare à lutter de nou­veau pour l’avenir de l’espace auto­géré (des appels là-dessus d’ici peu sur squat.net/tan­ne­ries). Après avoir cons­truit les Tanneries, c’est pas vrai­ment « range tes outils », mais « finis ou démo­lis ». Alors on a tout spé­cia­le­ment envie de sou­tien, besoin de se sentir ren­forcé et ins­piré par plein de gens qui ont croisé les Tanneries et pour qui ce lieu a du sens. On vou­drait aussi que ce soit l’occa­sion pour plein d’autres d’y passer pour la pre­mière fois.

Si ce chan­tier s’annonce donc d’humeur plus offen­sive que d’habi­tude, ça n’empê­chera pas les concerts (du hiphop-dub-ska-crust le 15 juillet pour ceux qui arri­vent en avance, de la surf music prof de skids ou des vio­lons reven­gers en sau­vage ou encore de la pop syn­thé­ti­que le 27 juillet pour ceux qui res­te­ront figno­ler le ran­ge­ment - voir les annon­ces com­plè­tes sur bras­si­ca­ni­gra.org).

Ca n’empê­chera pas non plus les danses, ni les bala­des dans les combes et le tour­noi de Ping Pong, les soi­rées lec­tu­res et films, les jour­nées pota­gè­res, les étirements après le tra­vail, les gestes pour se défen­dre ou grim­per, les blind tests...

Alors on vous attend nom­breux-ses, ravivé-e-s par la cha­leur de l’été, boosté-e-s par la lutte qui s’annonce !

Venez avec des tentes si vous voulez, parce que les slee­pin’ sont à recons­truire, et plutôt sans vos ani­maux de com­pa­gnie.

Pour les Dijonnais-es qui ne seraient pas héber­gés sur place, il sera pos­si­ble de rejoin­dre les chan­tiers tous les jours ou de passer après le boulot.

Au programme :

* Préparations de manifs, actions, interventions
* Edification de la navette spatiale de la cuisine et du salon de l’espace collectif
* Ajout d’un pan d’escalade
* Exploration, vide-grenier et rangement des Hangars Qui Puent
* Déco, éclairages et graphismes en grand
* Création d’une piste de roller derby
* Château en papier mâché
* Archivage de tracts, affiches, journaux, photos pour cultiver la mémoire
* des luttes
* Mécanique pour un pool de vélos collectifs
* Journée au potager collectif des Lentillères
* Tournoi international de ping pong 5e édition
* Visite guidée de l’histoire des squats à dijon
* Lecture de « tôt ou tard, politique de l’auto-stop » sur un péage
* ...

—Tremplin vers d’autres aventures —

Se rendre aux chan­tier d’été des Tanneries, ça peut :

- être une étape vers le Val de Suza où les chan­tiers du train à grande vitesse reliant Lyon-Turin sont empê­chés par les habi­tants. Pour donner une idée, la der­nière fois qu’un convoi mili­taire a tenté de venir dans la vallée, il est resté coincé dans un tunnel. Mais les cama­ra­des des mon­ta­gnes appel­lent à être rejoints cet été pour stop­per les pro­chai­nes ten­ta­ti­ves.

- cons­ti­tuer une tran­si­tion vers Freiburg où le Kommando Rhino, regrou­pe­ment d’habi­tats et espa­ces auto­no­mes, est menacé d’expul­sion le 30 juillet. Les cama­ra­des de là-bas appel­lent à venir occu­per la ville et à défen­dre les lieux face aux assauts poli­ciers dès le 28. (voir super­squat.org)


Contacts :
Espace auto­géré des TanneriesGras
17 bvd. de Chicago
21 000 Dijon

Tel : 03 80 666 481 - mail : tan­ne­ries(aro­base)squat.net - http://squat.net/tan­ne­ries
Arrivée en stop et voi­ture : sortie « Dijon centre » en arri­vant d’un peu par­tout - « rue d’auxonne » quand on arrive depuis Paris. Depuis la ville : ligne 12 -arrêt « Chicago »

vendredi 8 juillet 2011

[Paris] Le rémouleur : progrmame d'été

Programme de juillet-août 2011 au local Le Rémouleur (Bagnolet)

Le 2 juillet 2011.

Le Rémouleur
106 rue Victor Hugo
93170 Bagnolet
(M° Robespierre ou M° Gallieni)
leremouleur ((A)) riseup . net

S’inscrire à la lettre d’info du local : https://lists.riseup.net/www/subscribe/leremouleur/

Exceptionnellement, cet été, le local ne sera ouvert que les samedis de 12h à 17h (sauf le 6 Août : fermé !]

samedi 9 juillet à 19 heures Mouvement No-TAV dans le Val de Susa (Italie)

Projection d’un documentaire collectif suivie d’une discussion avec des camarades italiens
Depuis la moitié des années 1990, toute la vallée de Susa (Piémont) s’oppose à la construction d’une ligne de train à grande vitesse (TAV) qui doit relier Lyon à Turin... Au moyen de manifestations, de blocages de chantiers, de sabotages d’engins, ce sont des milliers de personnes qui s’opposent aussi bien à la destruction de la vallée qu’au projet capitaliste qui est derrière...

mardi 12 juillet à 19 heures Boxcar Bertha

Film de Martin Scorsese, 1972, 1H32 d’après l’oeuvre de Ben L. Reitman « Sisters of the Road »
Pendant la Grande Dépression dans l’Arkansas, Bertha Thompson, une jeune fille assiste à la mort accidentelle de son père, provoquée par un employeur tyrannique. Seule, sans toit ni travail, elle se retrouve sur les routes et utilise les wagons des trains de marchandise pour se déplacer (d’où son futur surnom de “Boxcar Bertha”, Fourgon à bestiaux). Elle fait la connaissance de Bill Shelly, un syndicaliste qui va lui transmettre sa révolte. Tous deux deviennent des pilleurs de trains confirmés.

dimanche 24 juillet à 18 heures retour sur Gênes 2001

Projection du film « Détour » (55 min) sur les émeutes à Gênes en juillet 2001 durant le sommet du G8.

Lors du sommet du G8 de juillet 2001 à Gênes, des grandes manifestations tournent à l’émeute et à l’affrontement avec les forces de l’ordre pendant trois jours. Dans la dynamique de ce qu’on appelait alors le mouvement anti-capitaliste ou anti-mon-dialisation, le contre-sommet de Gênes est celui où la conflictualité s’est exprimée avec le plus de violence. Le bilan est lourd : un mort, des centaines de blessés des deux côtés, des dizaines de banques et de magasins pillés et dévastés, des centaines d’arrestations et des procès qui s’éternisent jusqu’à aujourd’hui.
10 ans après, que reste-t-il de ces journées et de cette dynamique des contre-sommets ? Le film restitue une partie de l’ambiance de Gênes en juillet 2001 et a surtout le mérite de montrer différentes pratiques offensives qui ont traversé ces journées : affrontements massifs avec les forces de l’ordre, pillages, attaque de la prison de Gênes...

mardi 16 août à 19 heures Level Five

Film de Chris Marker, 1996, 1H46
Dans la pièce d’un appartement, transformée en studio, une femme, Laura, et un ordinateur. Laura s’adresse à un interlocuteur invisible qui est peut-être l’homme qu’elle aime et qui est disparu. De lui, elle a hérité cette tâche : terminer l’écriture d’un jeu vidéo consacré à la bataille d’Okinawa, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette île du Japon connut des suicides collectifs en masse à l’annonce de la défaite. Contrairement aux autres jeux de stratégie, il est impossible d’inverser le cours de l’Histoire. En rencontrant par l’intermédiaire d’un mystérieux réseau des informateurs et même des témoins de la bataille, Laura accumule les pièces de la tragédie, jusqu’au moment où elles commencent à interférer avec sa propre vie.

vendredi 26 août à 19 heures Reprise (1ère Partie)

Documentaire d’Hervé le Roux autour du film “La reprise du travail aux usines Wonder” (1h40)

lundi 29 août à 19 heures Reprise (1ème Partie)

Documentaire d’Hervé le Roux autour du film “La reprise du travail aux usines Wonder” (1h40)
L ‘image d’une femme qui crie. « Non, j’entrerais pas, j’mettrai pas les pieds dans cette taule. »
« Le film a été tourné par des étudiants de l’IDHEC le 10 juin 1968, à Saint-Ouen. On y voit des ouvrières qui reprennent le travail après trois semaines de grève. Et cette femme. Qui reste là. Et qui crie. Les années ont passé. L’usine est fermée. Mais je n’arrive pas à oublier le visage de cette femme. J’ai décidé de la retrouver. Parce qu’elle n’a eu droit qu’à une prise. Et que je lui en dois une deuxième. » (Hervé le Roux)

mercredi 6 juillet 2011

"Prolétaquoi ?"

Sur la classe et le sens du mot «prolétariat».

"Est prolétaire celui ou celle qui n'a aucun pouvoir
sur l'emploi de sa vie, et qui le sait"
définition de Mai 1968

Prol ou Prolo est l'abréviation de «prolétaires». Le mot a au départ été utilisé par Karl Marx, puis beaucoup d'autres après lui -pas nécessairement marxistes d'ailleurs-, dont les anarchistes, pour décrire les membres de la classe dominée dans le capitalisme.

La société est donc hiérarchisée, et divisée en classes. Au delà de cette division, d'autres dominations structurent la société.
Divisions hétéro-patriarcale, sexiste, raciste, etc :
où le travail, les droits, et le pouvoir sont répartis différements selon la catégorie de "genre" ou de "race" dans laquelle on se trouve, comme en fonction de la classe dans laquelle on se trouve.

Domination des hommes sur les femmes, et des blancs sur les non-blancs, papiers et sans-papiers. Les ségrégations sont multiples et se "répondent". Les questions restent :
Qui possède le pouvoir ou les moyens de production ? Qui ne possède rien ? Pourquoi ?

Nous sommes, dans cette société, ceux et celles qui ne possèdent pas de propriété ou d'entreprise de laquelle nous puissions extraire un profit, une plus-value. Nous sommes donc forcé-e-s de vendre notre temps et notre énergie pour un patron - nous sommes obligé-e-s de travailler : au sens où si l'on ne veut pas travailler -en tant que prolos- on doit gruger les règles, et enfreindre la loi : de la plus petite réappropriation individuelle à la grève générale expropriatrice, du petit coulage quotidien à l'insurrection, du chapardage à la révolution.

Notre travail est la base de cette société.

Nous ne sommes pas une catégorie sociologique. Le travail, et la société qui prospère grâce à lui, sont aliénants et misérables pour nous. Nous sommes constamment en lutte contre nos conditions d'existence. Le simple fait de se mouvoir pour nos propres intérêts nous jette irrémédiablement dans le conflit avec les patrons, les bureaucrates, les propriétaires, la police et les politiciens de toutes sortes. Ces luttes quotidiennes sont le point de départ pour la destruction du capitalisme. Nous ne sommes pas simplement la "classe ouvrière", nous sommes la classe qui travaille et lutte pour en finir avec le travail et la classe, et la société sur laquelle ils reposent.

L'expérience de ceux et celles qui sont obligé-e-s de travailler, et qui luttent contre la société basée sur le travail, crée certains types d'idées et de pratiques. Quand nous sommes activement en lutte pour nos propres intérêts, ces idées se solidifient en subversion, l'anti-capitalisme est mis en perspectives.

Cela a parfois été appelé «communisme» ou «anarchisme». Nous n'avons pas besoin de chapelles politiques pour nous apporter ces idées, mais nous avons besoin de réfléchir à la manière dont nous devons nous battre pour nous-mêmes, et par nous-même :

Comment nous auto-organiser pour en finir avec ce monde, et construire une société émancipée, sans dominations, sans capitalisme, ni Etat.

Librement inspiré de
"prole.info - Proletariwhat ?"
- Le Cri Du Dodo

mardi 5 juillet 2011

ZENKIOTO : Les comités de luttes étudiants des années 1960, et l'anarchisme au Japon.

A la fin des années 1960, devant la très autoritaire et toute puissante Zengakuren -organisation étudiante majoritaire-, pilotée par le Parti Communiste Japonais (PCJ), se dresse une partie des étudiant-e-s qui donnent vie à une forme organisationnelle inédite : Le Zenkioto, ou comités de lutte.

Leur révolte va se propager dans toutes les universités comme une trainée de poudre. Pour comprendre l'influence des idées et pratiques du mouvement anarchiste dans le Japon du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui, rappeler son histoire est nécessaire.

Le mouvement anarchiste et ses influences au Japon sont mal connus en Europe et en particulier en France. Pourtant, tout au long du XXe siècle, l'archipel du soleil levant a été traversé par de puissants mouvements révolutionnaires dont une large partie a été très largement inspirés par les principes, les idées et les modes d'action anarchistes, lorsque beaucoup l'étaient eux/elles-mêmes .

Génèse du mouvement anarchiste japonais : la période d'avant-guerre.

Au milieux des années 20, se crée le syndicat anarchiste Zenkoku Jiren ou « Fédération Libertaire des syndicats japonais » (inspirée des principes de la Charte d'Amiens de 1906 de tendance plutôt syndicaliste, quoi que fortement marquée par le courant anarchiste communiste) qui rassemble à l'époque aux alentours de 15 000 membres, et son influence sur le mouvement révolutionnaire au Japon est alors parfaitement indéniable. Parallèlement, en 1926, se crée la « Ligue Noire de la Jeunesse » (ou Kokushoku Seinen Renmei) plus connu sous le nom de « Kokuren ».

La Kokuren, au départ, est principalement composée de jeunes anarchistes de l'Est du Japon (dans la région de Kantô notamment). Mais assez rapidement, l'influence de la Ligue grandit, s'étend à plusieurs générations dans la population, et se développe aussi géographiquement, jusque dans les colonies nippones que sont alors Taïwan et la Corée.

[Il faut savoir qu'aujourd'hui encore, il existe un mouvement anarchiste et anarcho-syndicaliste très influencé par cet héritage en Corée du Sud, qui a joué son rôle dans la grande grève générale de décembre 1996 à fin janvier 1997 contre l'accord structurel -nouvelle loi sur le travail imposant la rigueur- qui s'acheva dans de violents affrontements avec la police anti-émeute (venus déloger les grévistes et reprendre la rue) et qui durèrent jusqu'à ce que le projet de loi soit retiré. Ou encore dans la grève générale de 2006.]

Dans le Japon des années 20, si la Fédération syndicale («Zenkoku Jiren») est quant à elle plus orientée vers la lutte des classes, l'organisation et les préoccupations des travailleurs et travailleuses, mais aussi des paysans, la Ligue Noire (Kokuren), elle, prend le chemin de l'action directe et de la propagande par le fait : initiatives d'occupations diverses, manifestations sauvages qui débouchent sur des affrontements avec la police, et dynamitage des maisons de grands patrons. Mais loin de s'opposer stratégiquement -comme c'est encore aujourd'hui bien souvent le cas ailleurs dans le monde- ces deux structures, syndicat et organisation révolutionnaire, et leurs stratégies respectives, bien que différentes, se complètent et conservent une proximité politique forte. Nombre de syndiqué-e-s sont aussi membre de la Ligue Noire.

Néanmoins, quelques années plus tard, les idées anarchistes communistes (-ses partisans sont alors appelés « purs anarchistes »-) rentrent en contradiction avec l'anarcho-syndicalisme jugé trop borné à la seule lutte des classes (qui «doit se suffir» car théorisée comme unique moteur de l'Histoire), et qui est perçue par beaucoup d'anarchistes comme une impasse : du fait de la critique selon laquelle la lutte des classes, seule, n'amène pas la révolution (et l'abolition du capitalisme et de l'Etat) mais ne fait qu'équilibrer les rapports de classes. D'autant plus qu'au Japon à l'époque, certains rapports sociaux (comme ceux de la paysannerie pauvre – dont une partie est acquise aux idées anarchistes-communistes et forment des groupes de paysans anarchistes afin d'assurer la propagande, proches de l'idée de Bakounine des « corps francs ») relève plus du féodalisme que du capitalisme. Cette position est notamment défendue par Hatta Shûzô et Iwasa Sakutarô, deux anarchistes communistes, considérés comme principaux propagandistes et théoriciens de la Kokuren -la Ligue-.

Au delà de ces deux organisation, quelques années auparavant déjà, le mouvement anarchiste est aussi florissant. Un célèbre écrivain et journaliste, Shūsui Kōtoku, est emprisonné en 1905 pour « propagande subversive », notamment du fait de ses positions pacifistes. Il découvre Kropotkine par la lecture de "La Conquête du pain" et devient ainsi anarchiste. Plus tard, ses écrits et sa traduction du « Capital » de Marx en Japonais feront sa notoriété. A la base "socialiste utopiste", il est encore considéré comme fondateur de l'anarchisme au Japon. A sa sortie de prison, il émigre aux états-unis pour fuir la répression. Il revient en 1906 au Japon pour continuer la lutte. Il est condamné à mort en 1910 par le gouvernement avec 25 autres anarchistes, sans preuves, pour "haute trahison" et tentative d'assassinat contre l'Empereur.

Une autre écrivaine, Ito Noe, anarchiste et féministe, écrit plusieurs articles de critique sociale, des nouvelles qui trouvent un certain écho, en plus de textes défendant la libération des femmes dans une perspective anarchiste. Ses textes sont sulfureux pour le Japon de l'époque : elle défend et pratique l'amour libre dans une société archaïque et ultra-patriarcale. Malgré son mariage arrangé par son oncle avec un certains Fukutaro, elle noue une relation amoureuse avec Sakae Osugi, un anarchiste notoire, et leur relation fait scandale. Sakae, qui est aussi marié, se fait poignardé par sa femme en 1916. L'anecdote est restée célèbre dans la culture populaire japonaise et a même été adaptée au théâtre et au cinéma. Ito Noe traduit aussi de nombreux textes internationaux en japonais, dont tout les écrits d'Emma Goldman.

En 1926, La fédération syndicale Zenkoku Jiren est alors membre de l'A.I.T (Association internationale des travailleurs). Au début de l'année 1928, des luttes intestines déchirent La Fédération syndicale, puis Ligue Noire, où les anarchistes dénoncent le réformisme et l'opportunisme de certains syndicalistes, en parallèle de la critique faite de l'anarcho-syndicalisme hégémonique et suffisant comme une impasse.

Mais nombre de militant-e-s finissent aussi, sous le coup des vagues de répression de l'Etat, par quitter les deux organisations à la fin des années 30, qui finiront de dépérir avec l'entrée en guerre du Japon et l'instauration du régime de la dictature militaire d'Hiro Hito.

Après la guerre, les organisations anarchistes sont faibles voir inexistantes. La ligue noire existe toujours, et en 1945, elle édite même pour la première fois son propre journal : Kurohata, soit «Le drapeau noir », mais elle est ultra-minoritaire. Aussi l'exemple de la fédération anarchiste japonaise, principale organisation anarchiste d'après-guerre est édifiant : son activité est quasiment nulle, beaucoup d'anarchistes n'y adhèrent pas, et elle s'auto-dissout en 1968 sous l'impulsion des vieilles querelles qui sont les mêmes que celles d'avant-guerre.

Mais les pratiques du mouvement anarchiste (auto-organisation des luttes, action directe, autonomie vis à vis des partis politiques), même si elles restent peu connues, vont perdurer et influencer durablement une partie importante des mouvements contestataires japonais, notamment chez les étudiants.

Les luttes étudiantes d'après-guerre, un foyer révolutionnaire :

Au départ, et à sa création en 1948, la Zengakuren (« zen-nihon gakusei jichikai sō rengō » ou Fédération japonaise des associations d'autogestion étudiante) se présente comme son nom l'indique, sous la forme d'une fédération autogestionnaire des étudiant-e-s dans les luttes. Bien qu'étant composée en partie de militant-e-s d'extrême gauche, de marxistes mais aussi de pas mal d'anarchistes ou de libertaires, ses statuts sont ceux d'un syndicat étudiant de masse, essentiellement réformiste. Mais durant 20 ans, son influence va grandir dans les facultés en opposition aux gouvernements droitistes (et notamment ceux du Parti Libéral Démocrate, P.L.D, constitué en autres, d'anciens criminels de guerre et de la grande bourgeoisie japonaise), à la dégradation des conditions de vie dans les universités et au travail, contre l'idéologie dominante et l'ordre moral (comme en Europe à la même période), et contre l'influence et l'occupation militaire américaine. Ses principaux motifs d'action sont d'ailleurs la lutte contre la guerre de Corée, et la révision du « Traité de sécurité » (dispositif prévoyant le maintiens des troupes et des bases américaines au Japon).

Si le manifeste de la Zengakuren exprime déjà des ambitions bien plus larges que les simples revendications étudiantes, ce sont les luttes elle-mêmes, les groupes au sein de la fédération, puis les dissidences qui vont porter les étudiant-e-s sur le terrain de la radicalité devant une organisation qui va peu à peu se bureaucratiser. Au départ, dans les années 50, Les étudiant-e-s de la Zengakuren sont au coté du mouvement ouvrier dans toutes les luttes. Les affrontements entre ses militant-e-s et la police font le quotidien des manifestations étudiantes nippones. Le 1er Mai 1952, journée internationale de la « fête des exploité-e-s », la résidence personnelle du premier ministre est massivement attaquée et des véhicules de l'armée américaine d'occupation sont brûlés.

Mais au fur et à mesure que l'organisation étudiante grandit, le Parti Communiste Japonais noyaute la fédération en y imposant ses limites. Et le militantisme de l'organisation tourne de plus en plus entre pique-niques, kermesses et actions inoffensives loin de la Zengakuren des premiers temps. Et malgré ses prétentions « autogestionnaires », la réalité est moins reluisante : les comités prétendument autogérés sont dirigés par des représentants et l'organisation est ainsi contrôlée en sous-main par des cadres du P.C.J. Nombre des membres de la Zengakuren tentent alors de dépasser le cadre hégémonique imposé par le P.C.J et l'organisation elle-même qui est devenue complètement bureaucratique et autoritaire.

A la fin des années 50, se crée la fraction dissidente « Zengakuren-Bund » (en hommage au «Bund», organisation révolutionnaire juive de Russie ayant subbie des purges staliniennes) et qui se fonde au départ sur une base internationaliste composée de divers communistes (trotskystes et maoïstes) et des auti-autoritaires et de quelques anarchistes. Au printemps 1960 culmine un immense mouvement contre le « Traité de Sécurité » et la Bund est à la pointe du mouvement. La nuit d'émeutes du 15 Juin 1960 devant le parlement fait 1 mort coté manifestants. Le premier ministre démissionne. La même année, les mineurs de la ville de Miike mènent une grève de 12 mois. Des assassinats de syndicalistes, commandités par le patronat, sont perpétrés par la mafia locale (Yakuza). Cette grève, qui sera la dernière grande grève au Japon, est aussi la dernière où les anarchistes sont notoirement impliqués (les organisations anarchistes étant peu nombreuses après-guerre, n'ayant pas survécu à la dictature).

Mais 5 ans plus tard, en 1965, l'augmentation des frais d'études et un contexte général d'appauvrissement et de dégradation des conditions d'existence au Japon, en plus d'un mouvement de fond dans la société de remise en cause des valeurs du vieux monde jette peu à peu les étudiant-e-s dans la contestation.

« Nichidai l'insurgée » : bastion de la révolte étudiante.

Face à la désormais toute puissante et autoritaire Zengakuren, dans le rôle du syndicat de masse affilié au monolithique Parti Communiste (P.C.J) de l'époque : de la scission «Bund», plus radicale, et d'étudiant-e-s désireux-ses de s'auto-organiser, vont naître le Zenkioto, des comités de lutte autonomes et autogérés fonctionnant par commissions contrôlées par la base et révocables à chaque instant. Le Zenkioto est l'anti-thèse absolue de la Zengakuren : il est une coordination des divers comités d'action et de lutte -et de ses commissions- dont chacun est autonome. Les membres y participent tous et toutes de manière égalitaire, les initiatives partent de la base et sont votées à main levée à la majorité. C'est sur la faculté de Todaï, une des plus importantes, que le premier Zenkioto va voir le jour. Mais au delà de cette configuration organisationnelle, il y a une dynamique explosive liée au contexte social général et à celui des universités pleines à craquer d'étudiant-e-s salarié-e-s pauvres et souvent obligé-e-s de travailler en plus de leurs études : dynamique pour laquelle une forme d'organisation comme le Zenkioto va jouer un rôle de catalyseur tout en étant un produit de cette révolte, à la fois contre le monde existant et les formes traditionnelles de contestation.

Mais c'est au campus de l'université de Nichidai à Tokyo que la contestation va devenir la plus radicale et la plus déterminée, autant dans les modes d'actions, dans le discours que dans la durée du mouvement. Encore une fois, comprendre le contexte social de l'université est essentiel pour saisir les raisons de la situation : c'est là que l'antagonisme va être le plus manifeste et le plus massif dès le début. En effet, Nichidai est différente des autres universités, sous plusieurs aspects importants. On a souvent entendu dire dans les récents mouvements étudiants en France que « la faculté n'était pas un lieu de production économique ». Il y a 50 ans déjà, Nichidai est là pour prouver le contraire : c'est une véritable usine à fabriquer des prolétaires. Si dans l'absolu, les étudiant-e-s ne représentent pas une classe sociale à part entière, ceux et celles de Nichidai sont, dans leur immense majorité, des enfants d'ouvrier-e-s, de salarié-e-s de la ville et de paysan-e-s : bref, des prolos. L'université de Nichidai comprend plus de 100.000 étudiant-e-s. Le pays est en pleine restructuration économique, et s'apprête à devenir ce que sont encore aujourd'hui les économies des « pays du G8 » : des économies tertiaires avec une dominante salariale employée dans les services, et l'administration. Nichidai n'a pas été conçue pour reproduire les élites du pouvoir -comme c'est le cas pour d'autres universités ou écoles-, mais au contraire donc, principalement pour fournir à l'économie japonaise un prolétariat en col blanc, un salariat de bureaux, et du personnel technique. Et l'université elle-même est une énorme machine à faire de l'argent comprenant 11 départements avec chacun quatre filiales universitaires, 25 instituts de recherche, et plus de 30 écoles secondaires ainsi que des écoles de formation et de nombreux cours éparpillés dans tout le pays.

Pour couronner le tout : Nichidai est une université très à droite. Le président de l'université, Furuta Jujuro, est connu comme un droitiste réprimant impitoyablement et systématiquement toute activité étudiante spontanée. Avant cette période contestataire, il n'y a pas d'association étudiante indépendante, pas de liberté d'expression et de parole à l'intérieur du campus. Un ordre des plus stricts règne que ni professeur-e-s ni étudiant-e-s ne se risquent alors à remettre en cause. La bureaucratie universitaire recrute et embauche une petite armée privée de vigiles issus de clubs de sports de droite, ou carrément de groupes fascistes qui appliquent les directives de Furuta en matant par la force toute « dissidence ». Les étudiant-e-s comparent fréquemment, à juste titre, l'université à un immense camps de concentration.

Et c'est précisément dans ce climat étouffant que la révolte étudiante va être des plus explosives. C'est une affaire de corruption qui joue alors le rôle de détonateur.

En 1968, un détournement de fond opérée par les autorités universitaires, à hauteur de 34 milliards de Yens (soit environ l'équivalent de plus 16 millons d'euros actuels) est révélée par l'administration fiscale. Pendant l'enquête fiscale, le comptable disparaît, et un greffier se suicide.

Poussés par la colère, et convaincus qu'il s'agit de « la goutte d'eau dans le lac de rage », du fait aussi du prix exorbitant des frais d'inscriptions et d'études, une poignée d'étudiant-e-s commence à s'organiser secrètement. Durant la nuit, ils collent des affiches murales et inscrivent des slogans sur les murs. Les discussions sur le sujet envahissent les salles de cours : initier des actions de contestation dans un environnement sous contrôle fascisant était simplement inimaginable, mais ça s'est produit. Ce sont les étudiant-e-s du département d'économie qui débrayent en premier. Les classes sortent de cours, publient et affichent des déclarations demandant des éclaircissements sur les malversations et la liberté sur le campus. Le département des sciences humaines leur emboîtent le pas. Un premier rassemblement à lieu avec 300 personnes le 21 Mai 1968. Le 25 Mai, ce sont 2000 étudiant-e-s, rejoints par ceux et celles d'autres départements qui se rassemblent sur le campus de Tokyo Kanda pour organiser la première manifestation de rue avec les étudiants de Nichidai. Finalement, la manifestation part avec 3000 personnes. C'est un petit événement, mais qui a valeur insurrectionnelle dans le fait d'avoir marché plus de 200 mètres à plusieurs milliers en surmontant la peur de la terreur fasciste sur le campus. Les autorités universitaires répondent en leur fermant le campus et en envoyant les vigiles privés armés de sabres pour les attaquer. Mais la contestation fait boule de neige, et les foules s'amassent semaine après semaine.

C'est là que des comités d'actions (« Kyôto Kaigi ») -qui vont ensuite se fédérer dans le Zenkioto (qui signifie « Tout les comités d'actions universitaires »)- font leur apparition et se montent par niveaux (étudiants, salariés, chercheurs, etc...) et par départements (sciences humaines, médecine, économie, etc...).

Sont revendiqués en bloc : la démission de la direction, la divulgation des comptes de l'université, la liberté de réunion et de rassemblement, l'abolition de la censure des publications sur le campus, et le retrait des sanctions et mesures disciplinaires contre les étudiant-e-s activistes. Le minimum en somme. Au départ, le Zenkioto est plutôt « modéré » et réclame même une négociation. Mais l'autisme de Furuta, les nombreuses attaques de fascistes et de vigiles à sa bote (qui sont en tout près d'un millier – pour donner une idée de leur « force de frappe ») vont participer à radicaliser le Zenkioto de Nichidai et bien d'autres étudiant-e-s.

A ce sujet, le 2 juin 1968 connaît un tournant : les étudiant-e-s se rassemblent devant le siège de l'université de Kanda pour protester. Là, des groupes fascistes organisés en unités de combat tendent une embuscade aux étudiant-e-s. Mais ce jour là, il y a plus de manifestant-e-s, et ils et elles réussissent à déborder les fascistes qui se prennent une douche de pavés, de projectiles et de bouteilles qui sont jetés à la fois depuis la manifestation et depuis les fenêtres des locaux universitaires. Le 11 Juin, un nouveau rassemblement a lieu à l'intérieur même du campus de Nichidai, où les groupes factieux, cette fois-ci rejoint massivement par les vigiles et même des employés de l'université les attendent et les attaquent violemment. Les étudiant-e-s se font piétiner, matraquer, frapper au sol, saigner : 200 personnes sont blessées. La police anti-émeute arrive sur les lieux pour intervenir. Les manifestant-e-s les accueille naïvement, pensant que les flics vont les protéger des fascistes et c'est bien sur exactement l'inverse qui se produit : les anti-émeutes s'associent aux fascistes et aux vigiles pour rosser la manifestation. Cet épisode ouvre les yeux à beaucoup de gens sur le campus, qui y voient la collusion désormais évidente entre le pouvoir Etat, les groupes fascistes et l'administration de Furuta.

A la même époque, la Zengakuren pro-PCJ collabore désormais avec l'administration de la faculté pour « empêcher la destruction de la fac par les gauchistes ».

Les étudiant-e-s enragé-e-s se mettent à occuper les bâtiments universitaires les uns après les autres, département après département. Toutes les entrées et les portes sont barricadées. L'occupation étant permanente, beaucoup commencent à vivre sur place, et c'est une véritable communauté qui se créée dans la lutte, dans la défense des occupations, et le développement de nouvelles façons de penser. Le campus est occupé tout l'été. La lutte à Nichidai aboutit à une réunion de négociation qui se tient le 30 Septembre 1968, dans un énorme auditorium anciennement utilisé par les sumotori. Le hall de quatre étages est envahi par 35.000 étudiant-e-s, dont le poids menace l'ancien bâtiment de s'effondrer. Furuta et les autres dirigeants universitaires ne se présentent pas devant la foule en colère. L'ambiance est électrique dans le hall : les premiers rangs sont occupés par 800 petits soldats de Furuta, qui éructent et menacent les membres du Zenkioto aux cris de « Détruisons le Zenkioto ». Du fait de sa présence massive et d'une supériorité numérique écrasante, le Zenkioto peut facilement faire taire les gardes, mais ses membres préfèrent tenter patiemment de les rallier à leur cause en leur parlant.

Devant l'échec des tentatives d'intimidations fascistes pour saboter le rassemblement, Furuta et ses sbires finissent par se présenter. Furuta, sentant la pression monter, fait des excuses publiques pour ne s'être pas présenté plus tôt. Mais il tempère en sa faveur, en expliquant que l'autorisation du rassemblement et sa présence sont un geste de bonne volonté de la part de l'université. Mais les étudiant-e-s ont perdu patience. Akita Meidai, délégué et figure importante du Zenkioto, rappelle les revendications votées par les étudiant-e-s, après quoi d'autres étudiant-e-s prennent la parole, en essayant de persuader Furuta. La séance dure plus de 12 heures, jusqu'à trois heures du matin. Accablé par les étudiant-e-s et ayant épuisé tout ses subterfuges, Furuta et les autres finissent par signer un accord acceptant toutes les revendications du Zenkioto. La lutte de Nichidai semble prendre fin.

Mais le lendemain, le Premier ministre Sato lui-même intervient à l'université. Il déclare que l'accord n'était pas valable et ne s'appliquera pas à Nichidai parce qu'il a été signé sous la contrainte, sous la menace de la «violence de masse». La direction de l'administration se dédouane immédiatement de tout les engagements qu'elle avait faite, et revient ainsi sur sa promesse de démissionner en bloc. L'accord, signé solennellement par tous les administrateurs, est déclarée nulle et non avenue. Quatre jours plus tard, la police délivre des mandats d'arrêt pour Akita Meidai et sept autres membres du Zenkioto, qui rentrent ainsi dans la clandestinité, même si cette tentative de « décapiter » le Zenkioto échoue du fait que ses principaux membres ou délégués les plus connus, même lorsqu'ils sont vus comme des leaders, n'y détiennent aucun pouvoir particulier.

Quelques temps plus tard, des révélations sont faites sur un des groupes fascistes engagés dans les violences à Nichidai. Il s'agit du Kai Nippon (Association Japon) dont le présidents n'est autre que... Furuta lui même. Les membres de Nippon Kai sont mêlés à des affaires en tout genre et liés à des grandes entreprises privées pour lesquels ils font la sécurité, des grands magnats de la politique, tels que le président Keidanren Kogoro Uemura, ou encore les anciens premiers ministres Tanaka Kakuei et Fukuda Takeo, et le ministre des transports (et futur premier ministre) Yasuhiro Nakasone. Par ailleurs, les nervis envoyés à Nichidai pour terroriser les étudiant-e-s contestataires et le Zenkioto, sont liés à 12 organisations fascistes différentes et aux Yakuza (la mafia japonaise). Et ces organisations fascistes ont toutes des liens étroits avec les grandes entreprises et le « Parti libéral-démocrate » alors au pouvoir.

Le Zenkioto de Nichidai n'a pas seulement défié la tutelle fasciste sur l'université, mais cette structure entière de la société japonaise, dans laquelle les frontières sont floues et qui cache un véritable monde souterrain, ou se mêlent de manière non fortuite organisations fascistes, grandes entreprises, administrations universitaires, dirigeants politiques et parti du pouvoir. Cette structure d'Etat, généralement cachée à la vue du public, dévoile ses mécanismes intégrés de violence ouverte lorsque le soulèvement étudiant met en danger ses intérêts.

Le comportement perfide des membres de la direction de l'administration de Nichidai, avec la complicité de l'Etat, est une révélation traumatisante pour les étudiant-e-s, qui réalisent alors qu'ils et elles ne se battaient pas simplement contre la direction de l'université corrompue et arrogante, mais contre le pouvoir d'Etat lui-même, qui était basé sur le type de contrôle qui sévissait à Nichidai. C'est pourquoi le Zenkioto de Nichidai a défini sa lutte comme étant révolutionnaire. Un de ses membres affirma :

« Celà signifie que la moindre modification dans le fonctionnement de Nichidai implique de changer entièrement la structure de la société japonaise. Ce réveil a radicalisé les masses d'étudiant-e-s de Nichidai ». Un militant qui était parmi les étudiant-e-s inorganisé-e-s au début, expliqua quelques mois plus tard: «Notre lutte est menée précisément dans une université dont l'exemple devait servir à la classe dirigeante pour remodeler l'ensemble des universités à son image. Notre combat n'était donc pas seulement opposé à la modernisation de Nichidai et sa mise aux normes économiques du 20ème siècle. Notre tâche est en fin de compte la plus avancé de la société contemporaine »
Pourquoi ? Parce Nichidai, malgré ses pratiques autoritaires archaïques, a été un instrument intégré dans la version la plus moderne de la société capitaliste de l'époque. Il ajoute :
« Nous sommes entrés dans cette université pour apprendre la vérité [...] mais l'université a refusé de nous traiter comme des êtres humains. Au lieu de cela, on a essayé de nous transformer en marchandises à fourguer à la société bourgeoise. Notre révolte est une révolte contre tout cela. Ce n'est pas seulement contre les Furuta et la corruption universitaire, mais contre les fonctions déshumanisantes qui nous ont été imposées par la société capitaliste à l'université.»

Les barricades sont restées un symbole de Nichidai. A l'intérieur, des communes étudiantes parfaitement organisées ont été mises en place, des règles établies par les occupant-e-s eux/elles-mêmes, des comités organisés pour les différentes fonctions et tâches, des discussions politiques et activités culturelles organisées en permanence, des cocktails Molotov et d'autres armes occasionnelles prêtes à parer les attaques fascistes et de la police. Les étudiant-e-s ont ainsi commencé à transformer leur université en autre chose : en organisant des contre-conférences avec des invités de l'extérieur, et des films projetés. Un étudiant se souvient: «Nous avions des conférences quotidiennes. Nous avons écouté des débats de premier ordre, parlé de choses dont nous n'avions jamais entendu parler avant, et j'ai vu tant de films. Ironiquement, nous nous sommes senti biens, et avons commencé à apprécier la vie universitaire pour la première fois. Les étudiant-e-s qui avaient été si nombreux à rester isolés dans les banalités et l'ennui du quotidien ont fusionné ensemble dans la commune, où tout le monde était camarades. Des milliers de gens vivaient dans ces communes. Malgré la peur constante des attaques fascistes, les occupant-e-s ont estimé qu'ils et elles avaient fini par devenir eux/elles-mêmes, libres et fiers. Ce fut une révolution culturelle, et surtout une révolution sociale, car nous avions compris que par la lutte, les relations sociales dans la vie quotidienne pouvaient changer. Les étudiant-e-s se sont identifié-e-s à la barricade, qui est devenue le symbole de leur nouvelle identité. »

La lutte du Zenkioto de Nichidai gagne un large soutien populaire. Contrairement à d'autres révoltes étudiantes dans le monde, la composition sociale des étudiant-e-s japonais n'était donc pas du tout celle de la petite bourgeoisie ou des élites, et la question de la position de classe ne se posait même pas. Même des années après, les diplômés de Nichidai sont partout, et beaucoup connaissaient le Zenkioto. Akita Meidai, figure de proue du Zenkioto de Nichidai, est resté une personnalité extrêmement populaire. Vers la fin 1968, les quartiers des campus de Nichidai, Kanda et Todai sont devenus le théâtre d'affrontements violents et réguliers entre les étudiant-e-s et la police.

En octobre 1968, l’insurrection étudiante est à son comble, c'est l’« assaut de Tokyo ». Toujours en lutte contre le « traité de sécurité », suite à une manifestation, ouvrier-e-s et étudiant-e-s mettent à sac la gare de Shinjuku pour bloquer les trains alimentant les bases américaines au Japon en carburant. Le Parlement, l’ambassade américaine et le siège de la police sont également attaqués pendant trois jours.

La tour Yasuda de l'université de Todai, occupée depuis des mois, devient aussi un bastion symbolique de la contestation révolutionnaire.

Le mois de janvier 1969 va devenir le « Mai 68 » japonais, point culminant des affrontements et du désordre révolutionnaire dans le Japon de l'époque.
Le 19 janvier 1969, la télévision diffuse en direct les images de l'assaut donné par la police sur l'université de Todai transformée en véritable forteresse par ses occupant-e-s. 8000 policiers s'affrontent avec les étudiant-e-s barricadé-e-s qui répondent par des jets de bouteilles d'acide, des cocktais molotovs et des chants révolutionnaires. Après trois jours d'affrontements, la tour Yasuda, dernier camp retranché de l'université de Todai, est évacuée par la police.

Si le mouvement de contestation se poursuit durant l'année 1969, et s'étend à d'autres facultés, il ira à partir de la fin janvier en déclinant progressivement.

L'insurrection étudiante prend fin.

L'anarchisme au Japon aujourd'hui.

Si il n'existe plus de mouvement anarchiste structuré au Japon, à part quelques petites organisations et bastions anarcho-syndicalistes comme en Corée du Sud, depuis quelques années, au sein des mouvements contre la guerre, dans les luttes, dans l'activisme écologiste et anti-nucléaire, plusieurs activités anarchistes ou d'inspiration ont fait à nouveau leur apparition. Depuis quelques années en effet, un « Indymedia japan » est régulièrement mis à jour avec des textes en japonais et en anglais, des rendez-vous et des appels à rassemblements.

Yoshihiko Ikegami est connu comme rédacteur du journal « Pensée Moderne » (Gendai Shisô), et a écrit plusieurs articles pour le journal en ligne « Japan Fissures in the planetary apparatus » ou « J-fissures », de tendance écologiste et anti-autoritaire, qui vise à recueillir des textes japonais (régulièrement traduits en anglais) et internationaux de critique sociale, critiquant l'idée de « catastrophe naturelle » en général et relayant des textes sur les luttes contre l'Etat et le capitalisme.

A Tokyo, quelques petites librairies anarchistes ont ouvert, dont « Ma Su Sha » qui diffuse des livres et des brochures anarchistes. Mais aussi la librairie «l'Asile à rythme irrégulier» tenue Keisuke Narita, un infokiosque autogéré particulièrement impliqué dans la lutte antinucléaire et qui offre un large choix de brochures et de livres sur la culture D.I.Y et l'anarchisme, le lieu étant aussi ouvert pour organiser rencontres, débats, concerts et même rassemblements. En effet, quelques semaines après l'incident de Fukushima, ce sont les gens de l'infokiosque et le collectif « la révolte des amateurs » qui sont à l'origine du premier grand rassemblement anti-nucléaire à Tokyo. Ils ont ouvert un site d'information sur Fukushima qui a été visité plus de 15000 fois le 10 avril 2011, jour de la manifestation.

A plusieurs reprises, des occupations de rue festives contre la pollution ont été initiées à Tokyo depuis quelques années sur le modèle des « reclaim the street » des anarchistes anglais, et dans les récentes manifestations contre le nucléaire à Tokyo suite à la catastrophe de Fukushima, notamment celle du 11 Juin 2011, quelques drapeaux rouges et noirs flottaient dans le rassemblement.
Le Cri Du Dodo

Sources :

- Anarchism in Japan, sur libcom.org (en anglais)
- East Asian Insurrections, récits sur le Zenkioto, sur Eroseffect.com (en anglais)
- "Irregular Rythm Asylum", infokiosque de Tokyo (en japonais et en anglais)
- "Fissure in the planetary apparatus", journal en ligne (en japonais et anglais)
- "Radioactivists" sur le mouvement anti-nucléaire au Japon (en anglais).
- "Janvier 1969 : Le Mai 68 Japonais" article de l'A.L de Mars 2009.
- Indymedia Japan - Indymedia Japon

Films japonais à voir de la même periode :

- "Eros plus massacre" de Yoshishige Yoshida (1969)
sur la vie de Sakae Osugi, anarchiste japonais.
- "Coup d'Etat" de Yoshishige Yoshiga (1974)
- "La pendaison", contre la peine de mort, de Nagisa Oshima (1968)
- "Journal d'un voleur de Shinjuku", de Nagisa Oshima (1969)
- "Jetons les livres, sortons dans la rue" de Shuji Terayama (1971)

Les films de Koji Wakamatsu et notamment :

- "La vierge violente" (1969)
- "Armée Rouge - FLP - Déclaration de guerre mondiale" (1971)
- "United Red Army" (2009)