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lundi 16 janvier 2012

Marxisme : quelques lectures critiques...

[Le Cri Du Dodo vous propose plusieurs lectures critiques du marxisme.
Nous voudrions revenir à ce propos sur une ambigüité : c'est précisément parce que nous sommes anarchistes ET communistes que nous voyons comme urgente la critique des marxistes (et de tout les autoritaires) et de leurs idéologies (léninisme, stalinisme, maoisme, guévarisme, etc...) qui en s'appropriant le terme de "communisme" l'ont galvodé plus terriblement que toutes les critiques qui ont pu lui être adressées. Par ce type de contributions, nous nous démarquons absolument de tout ceux ou celles qui continuent d'entretenir le mythe de ce "socialisme de caserne" en rappelant pour nous l'importance de l'autonomie individuelle ET collective, de la nécessaire critique des institutions bourgeoises (de toutes les institutions) et de l'Etat, de la reproduction des hiérarchies et de tout les schémas d'oppression au sein même des mouvements révolutionnaires, etc... Les lectures qui ne sont pas téléchargeables gratuitement sont auto-réductibles dans les points de vente habituels.]

- "Le mythe bolchevik" d'Alexander Berkmann, aux éditions La Digitale.

En 1919, les Etats-Unis expulsent des opposants : socialistes, anarchistes, syndicalistes "radicaux".

Alexandre Berkman, Emma Goldman ainsi que d’autres Américains sont déportés vers la Russie soviétique. Ils arrivent à Pétrograd en pleine guerre civile et perçoivent rapidement l’envers du paradis dont ils rêvaient : la révolte s’autodévore, la Tchéka agit en maître. La bureaucratie s’installe. Berkman se veut conciliant, mais l’arbitraire l’éreinte. Le Mythe bolchévik est aussi un récit de voyage dans la Russie des années 20 en Ukraine, Serbie, Carélie et en Géorgie, Berkman rencontre des dirigeants bolcheviks, des socialistes-révoutionnaires de gauche, des anarchistes mais aussi le peuple russe des villes et des campagnes.

Ce témoignage exceptionnel trace un tableau inédit de la Russie à l’aube de la révolte de Kronstadt en 1921, dont il défend la cause face aux Bolcheiks.

Ce livre totalement ignoré nous fait comprendre l’impasse du léninisme, dès 1922, par une rare clairvoyance politique, Berkman prévoit et argumente la dérive totalitaire et le véritable visage de ce que sera "La Patrie des Travailleurs".


- "L'idéologie froide : essai sur le dépérissement du marxisme",
de Kostas Papaïoannou, réédité par l'Encyclopédie Des Nuisances, aux éditions Ivréa.

Deux citations :

" Si la pensée est "fileuse de mémoire", comme Platon nous l'a enseigné, ce travail est plus que justifié en ce temps guetté par l'amnésie. Si par surcroît la jeune génération y trouve quelques raisons supplémentaires d'accueillir avec des ricanements redoublés la vaine rhétorique des mystificateurs à peine démystifiés, et d'oser se chercher elle-même à l'extrême pointe de son nécessaire et salutaire scepticisme, il aura accompli tous mes voeux et je ne saurais rien lui souhaiter de meilleur. "

[...]

"L'homme total dont rêvait Marx, l'homme épanoui dans "tous" les domaines, était censé loger à l'intérieur du Parti omniscient et infaillible qui se réservait le monopole de l'éducation du peuple : le Parti serait la personnification de la perfection de "l'espèce humaine". En fait, il était la réalisation de ce type idéal de censeur prussien que le jeune Marx avait couvert de ses sarcasmes : «Vous nous demandez de pratiquer la modestie, mais vous avez l'outrecuidance de transformer certains serviteurs de l'Etat en espions du coeur, en gens omniscients, en philosophes, théologiens, politiques, en oracles de Delphes... La véritable outrecuidance consiste à attribuer à certains individus la perfection de l'espèce. Vous croyez que vos institutions d'Etat sont assez puissantes pour changer un faible mortel, un fonctionnaire, en saint, et lui rendre possible l'impossible.»"

"Le problème du changement social dans la société technologique",
d'Herbert Marcuse. Aux éditions Homnisphères.

Même si son auteur est historiquement rattaché au marxisme, il inaugure à l'époque une critique radicale du marxisme d'un point de vue communiste hétérodoxe en convocant notamment (dans cet ouvrage) certaines théories anarchistes, et en critiquant la société industrielle que le marxisme appliqué n'a fait que consacrer.

En abordant de manière radicale de nouveaux thèmes comme celui de l'écologie ou de la surveillance généralisée dans une société dominée par la technologie, il ouvre ainsi une double analyse critique du capitalisme occidental et du "capitalisme d'Etat" (notamment dans ses ouvrages "Marxisme soviétique" et "L'homme Unidimensionnel" ) dans une perspective qui rejoint sous beaucoup d'aspects la critique anti-autoritaire.





"Ecoute Camarade!", de Murray Bookchin.
En format brochure aux éditions Tatanka (librement téléchargeable ici)

En 1969, Bookchin livre dans ce texte une critique en règle du marxisme et du communisme autoritaire notamment adressée aux étudiant-e-s de l'époque mais toujours d'actualité. En vrac y sont démontés : le mythe du prolétariat (en tant que fétiche théorique et classe industrielle au rôle mythifié), le mythe du Parti (comme organisation autoritaire aux aspects religieux), l'éthique du travail (comme idéologie bourgeoise de la soumission au travail) et la société industrielle (dite "théorie post-pénurielle" qui amène aussi la question de l'écologie dans une perspective radicale à une époque où la question est absente). Un an plus tard, Bookchin publie, en 1970, en réponse à ses détracteurs marxistes à propos de ce même texte "Commentaires à propos de -Ecoute, Camarade!- " (titre original "Discussion on -Listen Marxist!") qui l'accusent notamment d'avoir une approche "a-historique" et sans "analyse de classe".

Extrait :

« Cette recherche de la sécurité dans le passé, ces efforts pour trouver refuge dans un dogme figé une fois pour toutes et dans une hiérarchie organisationnelle installée, tous ces substituts à une pensée et à une pratique créatrices, démontrent amèrement combien les révolutionnaires sont peu capables de « transformer eux-mêmes et la nature », et encore moins de transformer la société tout entière. Le profond conservatisme des « révolutionnaires » [...] est d’une évidence douloureuse : le parti autoritaire remplace la famille autoritaire ; le leader et la hiérarchie autoritaires remplacent le patriarche et la bureaucratie universitaire ; la discipline exigée par le mouvement remplace celle de la société bourgeoise ; le code autoritaire d’obéissance politique remplace l’État ; le credo de la « moralité prolétarienne » remplace les mœurs du puritanisme et l’éthique du travail. L’ancienne substance de la société d’exploitation reparaît sous une apparence nouvelle, drapée dans le drapeau rouge, décorée du portrait de Mao (ou de Castro ou de Che) et dans le petit livre rouge et autres litanies sacrées. »

- "Le marxisme, dernier refuge de la bourgeoisie", par Paul Mattick,
aux éditions Entremondes.

Essai traduit de l’anglais (États-Unis) par Daniel Saint-James

Œuvre posthume de Paul Mattick (1904-1981), Marxisme, dernier refuge de la bourgeoisie ? fut la dernière expression de toute une vie de réflexion sur la société capitaliste et l’opposition révolutionnaire. Connu surtout comme théoricien des crises économiques et partisan des conseils ouvriers, Paul Mattick fut aussi un acteur engagé dans les événements révolutionnaires qui secouèrent l’Europe et les organisations du mouvement ouvrier au cours de la première moitié du XXe siècle. À l’âge de 14 ans, il adhéra à l’organisation de jeunesse du mouvement spartakiste. Élu au conseil ouvrier des apprentis chez Siemens, Paul Mattick participa à la Révolution allemande. Arrêté à plusieurs reprises, il manque d’être exécuté deux fois. Installé à Cologne à partir de 1923, il se lie avec les dadaïstes. En 1926 il décide d’émigrer aux États-Unis. L’ouvrage présent est organisé autour de deux grands thèmes. Poursuivant son travail de critique de l’économie capitaliste contemporaine (Marx et Keynes, les limites de l’économie mixte, Gallimard, rééd. 2011), Paul Mattick revient sur les contradictions inhérentes au mode de production capitaliste. S’ensuit un réquisitoire contre l’intégration du mouvement ouvrier qui, en adoptant les principes de la politique bourgeoise, a abandonné définitivement toute possibilité de dépassement du capitalisme. Un texte éclairant pour une période où la crise dévoile la nature instable et socialement dangereuse du capitalisme.

mardi 20 septembre 2011

"L'indignation qui vient"

[Le PDF du tract] trouvé sur Indymedia Paris

Depuis déjà plusieurs mois, on a vu pointer dans plusieurs pays d’Europe le mouvement dit des « indignés » ou « démocratie réelle ».

Ici comme ailleurs, celui-ci à donné lieu à plusieurs réflexes conditionnés, pièges et écueils qui touchent en général les « mouvements sociaux » : le fétichisme des pratiques d’abord (comme l’occupation de places, le sitting, les happening ou la manifestation plan-plan et maintenant la marche...) et la limitation stricte du mouvement à ces pratiques, le démocratisme ensuite (le respect religieux et le privilège donné aux décisions collectives prises en assemblées « représentatives du mouvement »), le « nihilisme citoyen » (respect borné de la loi, du vote, des « droits » donnés et des devoirs exigés par l’Etat) et la « non-violence » dogmatique (qui va jusqu’à prôner la violence policière contre ceux ou celles qui refusent ce dogme) et donc l’hégémonisme (la prise de contrôle du mouvement par une de ses franges), et surtout : l’absence de perspective révolutionnaire et l’enfermement dans des revendications abstraites et réformistes. Loin de représenter un sursaut révolutionnaire, ou une authentique révolte spontanée, ce mouvement des indignés s’inscrit bien plutôt dans la pacification de toute contestation réelle (de par le rejet de l’action directe), la militarisation de l’Etat (les guerres menées à l’étranger et le renforcement de la répression intérieure sur lesquels le silence des « indignés » est plus que suspect) et la montée du fascisme dans la société, au travers de ce mouvement notamment.

La crise comme pacification

Depuis plusieurs années déjà, les gouvernements européens, toutes tendances confondues, de gauche social-démocrate à la droite la plus réactionnaire, utilisent l’argument de la crise pour endormir tout velléité de contestation. D’un coté, il y a l’explication des gouvernements, qui est celle du FMI et de la banque mondiale : La crise serait une sorte de phénomène métaphysique que même les économistes n’arriveraient pas à s’expliquer, une sorte de catastrophe naturelle qu’il faudrait juguler et gérer à grands coups de politiques de réformes et de plans d’austérité. Comme si cette crise n’avait rien à voir avec ces mêmes politiques, comme si elle était le fait de la divine providence. Cet argumentaire vise en fait à tenter de se servir de la crise engendrée par le système capitaliste et ses Etats pour dédouaner les politiques de rigueur que cette même crise implique dans le seul but de replâtrer encore une fois le capitalisme. Les « indignés » quant à eux, dépourvus dans leur immense majorité de toute analyse de classe, et de toute critique du capitalisme, voient en général dans la crise et l’austérité le fait d’une caste de « banquiers parasites » et d’un « empire financier tentaculaire », ou « nouvel ordre mondial » qui auraient vidé les caisses quand personne ne regardait. En gros : pas besoin de se prendre la tête avec des « concepts politiques » trop compliqués : « à bas NWO » c’est tellement plus branché, tellement plus smart et ça résume tout sans avoir besoin de réfléchir...

Dans les deux cas, et du mouvement des indignés à la nouvelle extrême droite en passant par Sarkozy, tous dénoncent au final « la faillite des banques » dont le petit peuple devrait être sauvé, un « capitalisme financier » devenu fou qu’il faudrait réguler ou « purger » et une classe moyenne comme « victime de la crise ». La raison de cette analyse bancale est bien simple : la composition sociale de ce mouvement est justement celle de la sacro-sainte classe moyenne (que flatte autant Sarkozy, les socio-démocrates que les nouveaux fascistes à la Soral). Celle d’une classe qui commence à peine à percevoir les effets de « la crise », quand la majorité des exploités subissent la logique et les conditions de vie du capitalisme depuis toujours, et que la crise n’a fait qu’aggraver. D’où aussi, le décalage entre le discours « pro-révolution » des indignés concernant le monde arabe – où comme en Tunisie la pratique effective qui a dominé a été l’attaque des symboles du pouvoir, les affrontements avec la police, les pillages de supermarchés, les mutineries et incendies de prisons, et tout un ensemble de faits qui attestent une véritable logique de guerre de classes et de guérilla révolutionnaire, et toute une agitation qui, même si elle ne suffit pas à l’expliquer, a joué un rôle absolument indéniable dans la chute de plusieurs régimes et les volte-faces de l’armée ou de la police qui ont sentis le sol trembler sous leurs pieds – et le comportement de ces même « indignés » ici qui considèrent un tag ou une petite vitrine de commerce ou de banque pétée comme une « violence ».

Derrière la critique du capitalisme financier : le populisme gauchiste et l’antisémtisme.

Cette critique partielle des banques justement, non comme un rouage du système capitaliste, mais comme un « foyer de parasites » qui auraient détruit une fantasmatique « économie réelle », et qui voit les banques comme un problème central laisse la place au vieux fantasme antisémite d’un complot qui tenterait de contrôler le monde. Car en cherchant à critiquer le système des banques et le pouvoir des grandes entreprises multinationales, mais de manière partielle, le mouvement des indignés s’engouffre dans un discours typiquement réactionnaire et populiste et passe ainsi complètement à coté de la critique du capitalisme, le confortant même en jouant le rôle qu’on lui demande de jouer : celui d’une contestation strictement non-violente, vidé de toute substance critique, empêchant de par sa forme même un véritable mouvement (de type grève générale ou insurrection), et déplaçant le débat vers la droite dans le grand piège du « débat citoyen ». Rendu donc parfaitement in-offensif de par son caractère « a-politique » et « a-partisan » auto-proclamé, le mouvement des indignés participe en réalité au maintiens de l’ordre à travers un spectacle de contestation dans un front « anti-système » flou qui laisse le champs libre à des récupérations libérales, populistes et même fascistes. La dénonciation obsessionnelle du « nouvel ordre mondial » faisant finalement écho au nouveau discours d’extrême-droite sur le complot « apatride » contre « les peuples et les nations ». Et ce discours là, en plus de puer la défaite, est simplement fasciste parce que nationaliste et antisémite. Ne soyons pas dupes : là où la contestation réelle s’efface, les réactionnaires progressent.

S’INDIGNER NE SUFFIT PAS !

Ce n’est donc pas un hasard si en France, on retrouve dans les organisateurs du « mouvement des indignés » nombre d’individus conspirationnistes, reliés à des mouvements d’extrême-droite qui théorisent l’antisémitisme à travers leur pseudo-critique de la finance. Le concept même de « capitalisme financier » fut un des thèmes centraux dans la propagande du parti nazi en Allemagne et des fascismes en Europe pour construire l’ennemi intérieur et flatter le sentiment national. Le thème de la « citoyenneté » mis en avant par les indignés, renouvelle lui aussi ce constant rappel à l’ordre que constitue l’injonction à ne pas se révolter en faisant poliment démonstration de son indignation. Il repose sur ce présupposé généreux que les oppresseurs finiront par abdiquer devant la raison exprimée publiquement et pacifiquement par « le peuple ». Mais cette fable saint-simonienne exclue de fait ceux ou celles qui ne sont pas considérés, précisément, comme des citoyens : les sans-papiers, les « criminels », et quiconque agit en dehors de la légalité ou de la légitimité citoyenne. Tout les indésirables, exploités par définition. En prétendant vouloir créer une « démocratie réelle », le mouvement n’a fait que centraliser le pouvoir de décision à travers les assemblées des occupations de places et leurs émanations (comme en Espagne, les commissions dans les « accampadas »), dans l’espoir de singer les révolutions du Machrek et du Maghreb (en réutilisant, sans nécessité réelle, et de manière fétichiste les réseaux sociaux type facebook), les indignés n’ont fait que créer un état dans l’Etat, ersatz de démocratie représentative et de parlementarisme bourgeois où toute volonté de s’organiser à la base et d’agir localement ont été rendus simplement impossibles, notamment lorsqu’à Barcelone la volonté de scission dans l’occupation, pourtant majoritairement votée a été censurée par la tribune de l’assemblée, ou que tout débat sortant du cadre a été simplement saboté. Encore comme à Athènes où les indignés ont appeler à dénoncer les auteurs « d’actes violents » et à les jeter à la police : soutenant ainsi la répression d’Etat au nom de la non-violence ! En restant prisonniers d’une rhétorique a-politique creuse, de mode de prise de décisions autoritaires et bureaucratiques, d’un pacifisme abstrait et dogmatiquement non-violent, les indignés ne font que participer au maintient du statu quo, brimant toute participation de révoltés ou de révolutionnaires et ouvrant au contraire la voie à des forces réactionnaires qui n’avaient pas eu jusqu’ici voie au chapitre sur la place publique. Abandonner la perspective révolutionnaire au profit de « l’indignation en mouvement », c’est tresser la corde avec laquelle on voudrait nous pendre .

Se cantonner à cette indignation pacifiée, et focaliser sur « les banquiers » (même si ces derniers ont, comme d’autre leur responsabilité dans l’exploitation et les conditions de vie misérable de la majorité de l’humanité) c’est ne pas voir que partout dans le monde depuis le début de la « crise économique », des révoltes, des insurrections et des situations révolutionnaires éclatent partout non seulement contre les banques, mais surtout contre le capitalisme, l’Etat, les gouvernements, leurs classes dominantes et leurs flics, leurs lois, leurs tribunaux, leurs prisons, et leurs armées. C’est ne pas voir que les plans d’austérité et les « réformes de la fiscalité et du système bancaire » ne sont que les politiques des mêmes gouvernements et de la même bourgeoisie qui se prétend victime de la « crise » et en est la principale bénéficiaire, pour sauver leur économie et protéger leurs privilèges.

Il faut traduire la colère en actes ! Contre le capitalisme, contre l’Etat :

VIVE LA REVOLUTION SOCIALE !

L’économie est malade ? QU’ELLE CREVE !

Quelques anarchistes


source : Indymedia Paris, le samedi 17 Septembre 2011.

vendredi 3 juin 2011

"Démocratie réelle" et "indignation" selective.

[Plusieurs textes critiques sur les actuels mouvements dit des "indigné-e-s" (en france), ou encore pour la "démocratie réelle" (ailleurs), posant plusieurs pistes de réflexions sur ce qui, derrière tout un lot de bonnes intentions et quelques initiatives intéressantes, ressemble de plus en plus à une nouvelle impasse citoyenniste d'envergure].

Combien d’amis le pacifisme compulsif a sur facebook ?
[Grèce - 25 Mai 2011]

Le 25 mai depuis l’après-midi près de 40000 genre de néo-grecs ont rempli la place Syntagma validant ainsi de la pire des manières lemémorandum de la troïka, les mesures d’austérité et le privilège de l’exclusivité quand à l’usage de la violence de la part de l’état.

Hier, des nécrophiles petits bourgeois, on pris place là ou il y a tout juste deux semaines l’état attaquait férocement la manifestation de la grève du 11 mai établissant le record de centaines de têtes ensanglantées, et envoyant le manifestant Yannis Kafkas à l’hôpital dans le coma; quelques jours plus tard, un peu plus loin de Syntagma eut lieu une sans précédente ascension de violence raciste et de cannibalisme social –dans d’autres quartiers déclassés du centre d’Athènes se répétèrent les attaques de flics et de fascistes contre des maisons, magasins d’immigrés ainsi que contre des squats anarchistes, les dévots des fascistes usèrent comme prétexte l’assassinat deManolis Kantaris, dans le même temps des groupes de néo-nazis lançaient des pogroms blessant au total des centaines d’immigrés, et poignardèrent sauvagement le Bangladesh Alim Abdul Manan.

Le rassemblement pacifique avait lieu alors que quasiment dans le même temps des compagnons se rassemblaient sur la place Victoria pour résister activement contre la terreur d’état, les ségrégations raciales et la merde d’ossature étatique.
En accord avec les normes du pathétique et réformiste mouvement espagnol ‘Democracia Real YA’ et ‘geração à rasca’ des pacifistes portugais, un nouveau rassemblement apolitique a été appelé par facebook, en face du Greek Kynovoulio cette fois [Kynovoulio, Doghouse lieu de Koinovoulio, le Parlement - un jeu de mots intraduisible ]. La présence symbolique de flics en face du monument du soldat inconnu ne doit pas nous tromper. Ce n’était pas seulement la police anti-émeute qui défendait les symboles du pouvoir mais surtout le grand nombre des « citoyens indignés » qui ont pleinement déclaré allégeance aux patrons et à l’état.

Le pacifisme compulsif d’un pseudo mouvement de résistance était, est et sera une version supplémentaire de la violence d’état. Où qu’ils soient les partisans du régime parlementaire proposent d’étendre le pacifisme pour manipuler les foules et canaliser la rage des peuples sur les voies du réformisme dans le système existant sans le renverser. Après tout c’est justement des manifestants pacifistes et démocratiques que demande l’état et le capital.

Ces premiers rassemblements que se soient sur la place Syntagma à Athènes ou sur les autres points centraux des autres villes de Grèce sont des informelles votes de confiance à un système pourri dans son fondement. Nous voyons au niveau européen que de tels mouvements fonctionnent comme des soupapes contre la guerre sociale et de classe. Ce que la matraque d’un flic et le couteau d’un facho ne peuvent pas atteindre, l’est par la propagande de « facebookeurs » apolitiques et réformistes.

Le mouvement antagoniste et les dissidents radicaux doivent la nature réactionnaire et contre-révolutionnaire de ces contrefaçons des révoltes du monde arabe. Une des caractéristiques fondamentales du capitalisme et son pouvoir à transformer et absorber les voix de ceux qui le défient. En désignant par des mots tels que rage, révolte, révolution, le système et ses supporters espérant ainsi rabaisser le mouvement de libération social et le détourner sur des voies incolores pour eux-mêmes.

Les avertissements donnés par les madrilènes aux campeurs de Syntagma tel que « pas d’attaques émeutières » ont été entendus par énormément de gens. La presse du régime reproduit, invente et orne les arguments pacifistes, les vendant comme le seul espoir de perspective.

Tant que nous n’agissons pas pour prendre les moyens de production, abolir la propriété, qu’une rébellion multiraciale qui mette en place des structures mutuelles et auto-gérées, qu’au lieu de ça nous abandonnons nos drapeaux et nos armes à Syntagma [également constitution] ou n’importe où en chantant l’hymne nationale ; tant que nous restons dans une ambiance joyeuse avec des guitares et des chansons sirupeuses plutôt que de prendre une pierre, nous restons les esclaves des patrons.

Trois (des plus nauséabondes) points de la soi-disante première assemblée ouverte de Real Democracy Now sur la place Syntagma extraits du sîte officiel du mouvement :
- Les jeunes sortent paisiblement avec l’âme et la foi pas comme en décembre 2008 ; nous sommes tous matures
- L’autre jour des gens d’extrême droite ont battu et poignardé des immigrants, des immigrants venant des pays pionniers qui ont lancé toutes les mouvements insurrectionnels de ces derniers mois
-Après les HNS de Velos [mutineries] et Polytechnique [soulèvement de 1973] c’est le premier geste de démocratie et d’élévation morale en Grèce.

Texte anarchiste grec traduit par le site "Contra-info"

"Por una anarchia total ya !"

"Pour une anarchie totale maintenant !"

[Espagne - 2 Juin 2011]

Ce texte est le produit de notre indignation de voir le mouvement « Démocratie Réelle Maintenant » se présenter lui-même comme une vraie révolution, alors que ce qu’il représente réellement, ce qu’il défend est la continuation du système capitaliste raccommodé avec quelques réformes sans autres effets que de lui donner une nouvelle légitimité. Les idées que reflètent le manifeste de ce mouvement sont des appels de politiciens, exigeants un système qui tourne à la perfection, pour une démocratie qui autorise une contestation canalisée et contrôlable, tant qu’elle ne menace pas sa survie.

Nous n’approuvons pas la pétition du manifeste, en tant que c’est un discours vide, ambigu et qui galvaude le sens de ce qu'est une véritable révolution.

Nous ne nous reconnaissons pas nous-mêmes comme des citoyens, nous ne nous incluons pas dans le mouvement « Démocratie Réelle Maintenant » car nous sommes contre tout pouvoir, même celui qui émane du peuple. Nous sommes contre la social-démocratie, la représentation et le fait d’être des esclaves de ce système. Nous ne voulons pas d’un monde de consommation heureuse, d’usines et d’entreprises d’exploitation.

Nous exigeons que soit interrogé l’usage du mot « anti-système » : l’appliquer à des politiciens et des banquiers est une incohérence parce qu'ils représentent l’essence même du système actuel, ils le renforcent et le protègent. Dans une déclaration de M-15, ils disent que l’officier de police qui attaque est "anti-système" ; ce n’est rien de plus que de la chirurgie esthétique sur l’actuel fonctionnement du système, qui inclus le domaine de la violence à travers les forces de sécurité. Nous sommes fiers d’être anti-systèmes, comme nous marchons dans la direction de la destruction de tout ce qui nous opprime, nous voulons un changement réel dans nos vies.

Nous rejetons l’arrogance avec laquelle ce mouvement se distingue lui-même des actions révolutionnaires violentes, promouvant la forme pacifique comme « le seul outil possible de changement social ». Nous comprenons que cette affirmation ne reconnaît pas les révolutions historiques telles que les actions violentes durant la révolution sociale dans la Seconde République et pendant la guerre civile dans ce pays [en Espagne]. Cela condamne aussi les luttes de divers commandos et groupes autonomes des années 70, 80 et 90 (Mouvement Ibérique de Libération, Action Directe, et beaucoup d’autres), tout comme les actions violentes de résistance de certains mouvements ouvriers. Et pour mentionner d’autres luttes dans d’autres endroits, qui incluent aussi une réaction violente, nous nous souvenons de la révolution Sandiniste et des luttes armées de libération nationale telles que l’EZLN.

Actuellement la lutte insurrectionnelle se répand à travers le globe sous la forme d’actions violentes et autonomes contre les structures et les symboles du capital et de l’autorité.

Le système n’est pas à réformer, il doit être détruit. Ils ne nous donnerons rien de ce que nous voulons et nous ne leur demanderons rien. Nous ne voulons pas tomber dans des revendications adressées à ceux que nous ne reconnaissons pas, nous décidons de les prendre de nous-même. Ce système est fait pour les banquiers, les politiciens, les travailleurs, les citoyens et leurs droits civils. Depuis, la pétition de ce manifeste réclame un fonctionnement soutenable du système, qu'on s’assure du respect des droits civils, du progrès, du travail, de la consommation et du bonheur. Nous ne voulons pas d’un système du bien-être qui est continuellement contre la vie et la liberté. Nous ne voulons pas être des sujets pacifiques et pacifiés qui se conforment. Nous sommes contre la logique travail-consommation.

Le travail salarié c’est l’esclavage, la prostitution de nos corps, de nos esprits et de notre énergie au service du capitalisme. Ainsi se maintiennent les structures sur lesquelles tient l’état de la domination : la complicité passive de la masse des travailleurs-consommateurs constitue une partie fondamentale du fonctionnement propre à ce système.

Une lutte ne trouve pas sa mesure dans la quantité de masse qui bouge et par son degré de spectacle, mais plutôt dans son contenu, ses formes, sa cohérence et sa continuité.

La révolution se fait au jour le jour, dans nos vies, dans ce que nous sommes.

Nous sommes outragé-e-s par votre outrage, qui réagit seulement de manière défensive pour des intérêts égoïstes et cherche des solutions confortables et superflues, qui ne cherche pas une révolution profonde et radicale (allant à la racine des problèmes) mais bien plutôt une amélioration des conditions d’exploitation à l’intérieur de ce modèle de faux bien-être.

Pour tout celà nous revendiquons et formulons les propositions suivantes :

_ - Aucune reconnaissance d’aucun système de gouvernement qui décide pour nous-mêmes de nos vies : qu’il soit néo-libéral, démocratique, socialiste, communiste, populiste, fasciste, dictatorial, social-démocrate, etc.

_ - Aucune légitimation de l’autorité, sous aucune de ses formes, institutions et structures du pouvoir : famille patriarcale, armée, police, gouvernement, docteurs, hôpitaux, psychiatres, asiles, écoles, universités, genres, prisons (incluant celles pour mineurs, les centres de rétention, les zoo, etc...), commerces, religions...

_ - Abolition du travail salarié et de toute forme d’exploitation.

_ - Fin de la société carcérale, destruction des prisons et liberté pour tous/toutes les prisonnier-e-s.

_ - Fin du système de contrôle social, de la vidéo-surveillance, de la police et des citoyens-flics.

_ - Solidarité avec nos compagnons en lutte, persécuté-e-s, emprisonné-e-s ou tué-e-s par les mains de ceux qui représentent ce système d’extermination.

_ - Fin du système économique basé sur l’argent et sur les relations humaines capitalistes qu’il engendre tout autour de lui.

_ - Destruction du système industrio-technologique ; retour à une vie en équilibre et en respect envers la nature et les autres animaux, loin de la non-vie, l’encombrement et l’artificialité des villes.

_ - Fin des rôles sexuels que la société inculque, inversion des genres. Nous sommes des individus au-delà de nos organes reproducteurs.

_ - Libération de la terre et des animaux. Fin de l’utilisation d’autres animaux comme des objets/produits pour la nourriture, l’habillement, la distraction, la compagnie, l’expérimentation...et de l’utilisation et de l’abus de la nature comme étant une ressource au service de besoins humains irréels et dévastateurs.

_ - Rupture de l’apathie générale et continuité des luttes individuelles et collectives, menées sincèrement et de façon cohérente.

Signé : "quelques terroristes anti-système, anti-sociaux violents".

Texte paru sur A Las Barricadas et sur Angry News From Around The World.
Nouvelle traduction de l’anglais par Le Cri Du Dodo.

jeudi 24 mars 2011

"Comment se débarasser du Trotskysme ?"

[Même si la revue Variations dans laquelle écrit l'auteur Alexander Neumann est reliée aux Négrisme[1], auquel nous ne souscrivons pas, nous republions néanmoins ce texte intéressant écrit en juillet 2009, peu après la formation du NPA / Dissolution de la LCR, et à replacer dans ce contexte pour sa pertinence. [1]Voir aussi "Le Négrisme, une conte-révolution de gauche" chez Mutines Séditions]

Voici trente ans, Michel Foucault posa la question de savoir, comment nous pouvions nous « débarrasser du marxisme », ce poids doctrinaire du siècle passé, tout en maintenant une critique émancipatrice [2]. Ici, je ne cherche pas à rassurer les marxistes doctrinaires, grâce à un discours moraliste ou passionnel, qui voudrait liquider l’héritage libertaire de Marx, mais au contraire à les déstabiliser. Il s’agit de déconstruire le marxisme en tant qu’un dispositif historique qui entrave les capacités d’action autonomes des individus ou collectifs. Il s’agit de se libérer d’une tradition idéologique et institutionnelle refroidie. Aujourd’hui, la forme maintenue de ce problème s’exprime dans le trotskysme [3].

Au vu du spectacle livré par un énième parti d’extrême gauche, qui se prétend comme d’habitude « nouveau », et face à la décomposition prolongée des anciens partis ouvriers, en Europe et ailleurs, les arguments critiques qui interrogent les marxismes doctrinaires restent d’une inquiétante actualité. Tout se passe comme si la répétition l’emportait encore sur la création, la pulsion de vie et la différence.

Le trotskysme, héritier sans héritage du communisme soviétique

La tradition trotskyste s’est définie dans un rapport complexe au marxisme soviétique, aux partis communistes et aux Etats dits « socialistes », qui n’étaient que des dictatures bureaucratiques comme tout le monde le sait aujourd’hui. En pratique, les trotskystes ont été travaillés par un mouvement contradictoire d’attraction-répulsion envers la tradition soviétique, qui a freiné la déconstruction critique du léninisme avec son cortège d’effets autoritaires. La tradition trotskyste réclame l’héritage de la Révolution russe sans assumer son bilan global. Trotsky et les trotskystes se définissent, comme le nom le signale, d’une certaine conception de la révolution russe qui culmine dans la prise du pouvoir par un seul parti. Ce modèle, présenté comme une référence positive, tait sa complémentarité désastreuse : « On parle peu des effets ravageurs de la guerre civile sur la culture politique du bolchévisme, de la tendance à voir dans la violence systématisée et organisée en instrument privilégié et pour transformer les rapports sociaux, et dans le volontarisme du parti et de l’Etat un moyen essentiel des masses populaires. » [4]

Confrontés aux crimes de Staline et au bilan négatif de l’Union soviétique avant son implosion, les trotskystes se présentent comme les premiers critiques et les opposants historiques à ce système de domination. La répression violente qui a frappé Trotsky et ses soutiens, orchestrée par les partis communistes, semblent confirmer cette idée. Si cette opposition est frontale en 1938, les frontières politiques et idéologiques s’avèrent pourtant nettement plus mouvantes à d’autres moments...

Jusqu’en 1924, le soutien du chef de l’Armée rouge à son Etat est sans faille ; Trotsky assure et assume la répression sur tous les plans, y compris contre les oppositions de gauche (Cronstadt, etc.).

Après être entré en opposition frontale au pouvoir stalinien, le courant trotskyste continue à défendre l’Union soviétique, de façon inconditionnelle.

Pendant la guerre froide, le trotskysme international se déchire sur la question de savoir s’il faut entrer dans les partis communistes nationaux.

La IVe Internationale défend sans faille le régime cubain pro-soviétique [5], puis l’invasion militaire de l’Afghanistan par les troupes soviétiques en 1979 (la direction de la LCR française est alors désavouée sur ce point par une majorité d’adhérents). Pendant tout ce temps, la référence positive à la révolution russe amène des discussions incessantes et irrésolues sur la date, à partir de laquelle la Russie soviétique aurait trahi les idéaux communistes, puis sur la nature politique du régime soviétique. Le jargon trotskyste évoque des « Etats ouvriers dégénérés » et parie jusqu’au dernier moment sur une révolution ouvrière contre les Etats bureaucratiques, en attendant Godot.

Les réformes amorcées par Gorbatchev, en 1985, relancent un temps le trotskysme allemand, à l’Est et à l’Ouest du pays, avant qu’une large majorité de citoyens de l’Allemagne unifiée ne plébiscite un gouvernement nationaliste de droite. Cela n’empêche pas Ernest Mandel, l’un des théoriciens trotskystes les plus connus, d’annoncer une révolution prolétarienne en Europe de l’Est, en 1990.

Par la suite, de nombreux groupes trotskystes concurrencent les partis communistes classiques sur leur propre terrain, celui de l’héritage communiste et de la tradition léniniste, en brandissant le drapeau rouge. Ainsi, Daniel Bensaïd dénonce avec verve l’abandon de la faucille et du marteau par le PCF en janvier 1994, dans l’hébdomadaire Rouge, tout en insistant sur la pertinence de la dictature du prolétariat (référence que la LCR n’abandonne qu’en 2003) [6]. En 1993, la direction de LO sanctionne aussi des adhérents qui ont osé mettre en question le discours pathétique des « Etats dégénérés ».

Au fond, les légendaires dissensions sectaires entre fractions trotskystes rivales semblent davantage motivées par des désaccords tactiques ou conjoncturels que par des ruptures de principe.

Avec un certain recul, la critique trotskyste du communisme soviétique paraît peu radicale et aléatoire, comparée à d’autres positions, portées des courants libertaires ou anarchistes de Daniel Guérin à John Holloway, par l’Ecole de Francfort, Socialisme ou Barbarie, l’Internationale situationniste et aux analyses proposées par la revue Futur antérieur, suite à la chute du mur.

L’exception française

L’internationalisme affiché des trotskystes, assis sur l’optimisme d’une révolution mondiale attendue et sur le refus du socialisme national de Staline, cache mal à quel point chaque parti s’inscrit dans l’histoire singulière de son pays, au Brésil, au Sri Lanka ou en France, seul pays au monde où les amis d’Arlette Laguiller ont une existence politique. Cette spécificité nationale n’a rien de fortuit, mais doit être replacée dans l’histoire française, où le trotskysme apparaît globalement comme une fraction du mouvement communiste dominant.

Depuis la Libération jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, le PCF a marqué le champ politique et syndical à travers son discours marxiste-léniniste, en tant que principal parti de gauche. Il convient de souligner ici que le PCF était l’un des partis communistes les plus staliniens du monde, appliquant les recettes dogmatiques de la centrale de Moscou avec un zèle singulier. La gauche socialiste ou indépendante était marquée par l’hégémonie communiste à tel point qu’elle se définit comme « non-communiste » jusqu’aux années 1990. Le PCF prime électoralement jusqu’en 1981, et se maintient encore plus longtemps sur le plan des discours, cultures politiques et modèles militants, à travers le communisme municipal et la CGT. Jusqu’aux années 1980, la majorité des adhérents du syndicat est aussi membre du PCF [7]. La tradition semble s’arrêter avec les 1,9 % que le PCF obtient aux élections présidentielles de 2007, mais elle se recycle à travers l’activisme trotskyste.

L’extrême gauche léniniste ne pouvait pas échapper à cette influence sociale, si bien que les dirigeants trotskystes historiques ont été formés par des responsables du PCF (p.ex. Pierre Lambert, Hardy) s’ils n’étaient pas des militants du parti avant d’en être exclus (p.ex. Alain Krivine, Daniel Bensaïd). Le noyau initial de la LCR provient d’une scission de l’organisation étudiante du PCF qui se produit en 1966. La socialisation personnelle des responsables trotskystes amène la reproduction d’un certain modèle militant, issu du mouvement communiste, qui a valorisé la discipline, l’engagement à temps plein, l’ouvriérisme masculin et l’autoritarisme. Certes, la LCR s’est montrée plus permissive que LO à certaines impulsions issues de Mai 68, notamment au féminisme. De même, le courant lambertiste (celui qui a formé Lionel Jospin) a été davantage anti-communiste que d’autres, ce qui explique peut-être son faible développement. Ces écarts ne sont cependant pas plus importants que les dissensions entre les différents courants qui cohabitent au sein du Parti socialiste.
Gras
Vu avec un certain recul, les courants trotskystes français sont pris dans une tendance historique, au sein de laquelle elle ne fait que surnager, car sur le long terme, l’influence de la famille communiste (PCF-LO-LCR) qui veut se mesurer elle-même à l’aune des scores électoraux, passe de 22 % en 1969 à 17 % en 1981, à 13 % en 2002 et à 8 % en 2007 aux élections présidentielles ; c’est-à-dire que les soubresauts des candidatures trotskystes profitent du déclin structurel de l’influence du PCF sans être en mesure de le compenser. Leur score cumulé dépasse à peine 5 % en 2007. Cette tendance lourde coïncide avec l’érosion de la classe ouvrière industrielle, dont les centres d’activité et les modèles de mobilisation se sont défaits depuis 1978. Les « européennes » ne contredisent en rien ce manque de dynamique, d’autant que ces élections se caractérisent par une baisse tendancielle du taux de participation. En 1999, les listes trotskystes LO/LCR comptent 900.000 voix et ceux du PCF élargies à d’autres mouvances 1.200.000. En 2009 on constate 1 million de voix trotskystes et un autre million pour les listes du PCF, élargies aux dissidents socialistes. Rien n’a bougé au fond, malgré les efforts électoralistes des uns et des autres.

En somme, le trotskysme constitue autant une rupture publique avec la tradition communiste française du PCF qu’il en perpétue les traits principaux sur le plan symbolique et organisationnel. C’est pourquoi il nous semble trop léger de faire table rase du passé, en l’absence d’un bilan critique, et de faire mine que tout commence à zéro, comme le suggère le sigle NPA. Tout doit changer pour que rien ne change.

Le maintien d’un dispositif léniniste : le parti a toujours raison

Aujourd’hui, la plupart des courants trotskystes sont en train d’abandonner la référence explicite au modèle léniniste, en la gommant de leurs programmes de façon assez pragmatique. Comme l’objet de l’héritage a disparu avec l’Union soviétique et les partis communistes de masse, le jargon léniniste est effectivement devenu désuet. Le problème nodal subsiste pourtant, car ce renoncement rhétorique ne s’appuie pas sur une analyse critique cohérente. La répétition des problèmes de passé se passe d’un discours explicite et d’une écriture formelle.

En effet, l’une des concrétisations institutionnelles du discours léniniste est l’organisation d’un parti centralisé, qui est toujours supposé éclairer et diriger les « masses laborieuses ». Les écrits de Lénine et de Trotsky se basent sur une analyse cruciale, selon laquelle les ouvriers ne seraient pas en mesure de s’organiser autour de principes socialistes tout seuls, tout au plus capables d’un vague syndicalisme de base [8]. Pour accéder à une conscience politique globale, ils auraient par conséquent impérativement besoin d’un parti qui les guide et d’une direction communiste éclairée. Ce schéma comporte des aspects autoritaires, élitistes et bureaucratiques qui ont souvent été critiqués, et contredits par la réalité de mouvements auto-organisés, mais il a été maintenu jusqu’à aujourd’hui, à travers les organisations trotskystes. Rosa Luxembourg, Erich Mühsam et d’autres avaient constaté, contre Lénine, que la démocratie des conseils ouvriers était opposée dans son principe à la direction des citoyens par un parti unique, à travers l’Etat. L’histoire lui a donné raison et le principe démocratique du contre-pouvoir a été actualisé avec une grande force théorique par des auteurs comme Jean-Marie Vincent, John Holloway et Oskar Negt [9]. Les dirigeants trotskystes, issues de la tradition léniniste, ne veulent pourtant rien entendre qui pourrait mettre en doute l’existence des partis qui déterminent toute leur vie. Ils font donc le choix de contrer les expériences et mouvements de démocratie directe qui échappent à leur contrôle.

En contrepoint, les partis trotskystes combattent les propositions politiques alternatives, par exemple la forme mouvementiste, fédéraliste ou anarchiste.

Le mode d’action des zapatistes mexicains, qui se passe d’instances centrales, n’est pas plus accepté comme référence politique que d’autres mouvements sociaux qui refusent formellement de s’identifier à un parti central. Au mieux, ces mouvements sont ignorés, s’il ne font pas l’objet de commentaires sectaires dans la presse trotskyste.

Aussi, les partis trotskystes et marxistes-léninistes ont tous raté l’amorce de Mai 68, à la manière du PCF, comme les précis d’histoire le montrent jusqu’au moindre détail. Le féminisme américain et le MLF se créent aussi contre la résistance initiale des directions trotskystes. Plus récemment, la révolte zapatiste de 1994, le soulèvement démocratique argentin de 2001, les « manifestations du Lundi » allemandes de 2003, le mouvement des sans-papiers de 1996 s’organisent sans leur concours, à leurs débuts sinon complètement.

Rappelons aussi que chacun des petits partis trotskystes français veut être le centre d’un vaste mouvement populaire mondial, en appelant à la création d’un nouveau parti, sans la participation d’autres courants que le sien. Arlette Laguiller lança son « parti des travailleurs » en 2005, avant de le saborder face aux effets déstabilisants que le mouvement de sympathie exerça sur l’appareil de LO. Le PT lambertiste se transforma en nouveau « parti ouvrier » en 2007 et la LCR s’est rebaptisée « Nouveau parti anticapitaliste » en 2009 sans remplacer son noyau de direction.

Ce dernier courant a pratiqué, avec un certain succès médiatique, l’abandon successif des termes « Etat ouvrier », « dictature du prolétariat », « bureau politique », puis des sigles « trotskysme » ou « communisme ». Cela ne signifie pas l’abandon d’un modèle d’organisation traditionnel. Bien au contraire, le maintien de pratiques inchangées, désormais privées du souvenir de leur signification symbolique, encourage la reproduction et la répétition des structures du passé : exclusion des opposants, sectarisme idéologique, reproduction de l’appareil directorial. Comme cet abandon rhétorique n’est pas soutenu par un travail de deuil, par une déconstruction critique, il n’interdit en rien que ne se répètent pas les phénomènes dictatoriaux du passé, qui ont signé l’échec du communisme soviétique. Dans un registre similaire, on peut penser que Lionel Jospin n’a pas changé son comportement politique autoritaire, bureaucratique et rigide, qui provient de sa formation trotskyste-lambertiste, depuis qu’il a cessé de se réclamer de cette tradition. Il pense toujours avoir raison. [10]

Une conscience de classe fantasmagorique

L’un des problèmes fondamentaux du trotskysme est la quête d’une conscience de classe introuvable. La conscience de classe permet l’émancipation universelle de l’humanité. Formulée sur un plan philosophique par Marx, puis Lukacs, il s’agit d’un concept utopique, donc prometteur, mais qui ne se base pas sur une réalité sociale empiriquement saisissable.

Le problème est qu’aucun mouvement social ou critique connu, pas même la révolution russe, ait permis d’expérimenter cette jonction historique, qui paraît aujourd’hui encore plus improbable qu’à l’époque de Lénine. Le philosophe marxiste Lukacs a lui-même souligné que pareille conscience de classe ne pouvait pas être décelée dans les luttes réelles des prolétaires ou d’autres révoltés, mais que cette vision impliquait un rejet global du monde existant [11]. Chez Lukacs et les premiers dirigeants communistes, le parti doit jeter le pont, entre les « masses » révoltées et une « direction » éclairée, chargée de réaliser le concept de l’émancipation humaine. Cette conception, peu tournée vers l’expérimentation démocratique autonome des citoyens, est ensuite « actualisée » par Ernest Mandel, qui admet que le rôle central du parti a déjà été souligné par les premiers sociaux-démocrates, qui le justifient alors par la faiblesse culturelle des masses ouvrières [12]. Lénine ne fait que radicaliser ce principe autoritaire du parti, qui s’organise autour d’un « chef charismatique » (citation de Max Weber) et sur la base d’une « action soumise et commandée » [13].

Les porte-paroles trotskystes illustrent ce principe, avec leur style souvent emphatique, dénonciateur ou moraliste (Olivier Besançenot, Arlette Laguiller), qui donne l’impression qu’ils soient investis d’une mission. Héritier du léninisme, le trotskysme pense que ses partis véhiculent les rudiments d’une conscience de classe qui doit être diffusée en direction des opprimés. La direction trotskyste incarne en quelque sorte cette conscience supérieure.

Une contradiction insurmontable naît de cette construction politique : d’un côté, les trotskystes veulent mobiliser les « prolétaires » (ouvriers, précaires, femmes, jeunes, immigrés...) à partir de leur sentiment de révolte, face à une réalité vécue comme insupportable, mais de l’autre côté, ils sont convaincus que cette mobilisation n’amène pas la conscience de classe, selon leur propre théorie marxiste. Sinon, à quoi servirait leur parti avec ses mécanismes de centralisation, de sélection et de formation des militants et cadres ?

La contradiction éclate dans leur pratique politique, quand les organisations trotskystes tentent de partir des revendications urgentes des opprimés, afin d’arriver à l’organisation de mouvements de protestation suffisamment larges pour provoquer des effets politiques au niveau de l’Etat, en partant ainsi du « bas » vers le « haut ». Arrivé au stade d’une crise politique majeure, telle la grève générale de juin 36 ou de Mai 68, cette démarche rencontre sa propre limite doctrinaire et se trouve soudain inversée ; maintenant, ce n’est plus l’expérience vécue des opprimés et leur capacité de s’affirmer en contre-pouvoir, mais la direction du mouvement et la question du pouvoir qui est au centre du dispositif trotskyste. L’objectif étant le contrôle de l’Etat. Cela au nom de l’émancipation et de la conscience de classe, que les ouvriers ne sauraient pas atteindre par eux-mêmes, selon Lénine et Trotsky (ceci malgré la phrase finale du Manifeste communiste de Marx en 1848, influencé par la charge anarchiste de la Ire Internationale, et qui souhaite que « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes »).

Une conceptualisation alternative à cette vision léniniste a été formulée par des penseurs de la Théorie critique, Oskar Negt et Alexander Kluge. Ils cherchent à saisir la façon dont les dominés peuvent organiser leur propre prise de parole, qui permette une discussion et un échange des différentes expériences de la vie, afin de nommer les raisons de la révolte. Ainsi, on passe d’une subjectivité rebelle à un espace public oppositionnel qui se passe du parti unique et des instances de l’Etat. [14]

Marx à l’encontre du marxisme doctrinaire

La critique du modèle suiviste et autoritaire que constitue « le parti ouvrier » débute dès sa naissance, puisque Karl Marx, Rosa Luxembourg et le sociologue critique Roberto Michels l’ont explicitement abordé [15]. Dans sa célèbre Critique du programme de Gotha du parti ouvrier allemand, Marx fustige déjà l’idéologie du marxisme doctrinaire [16]. Il dénonce tour à tour trois principes qui se trouveront ensuite au fondement du dispositif léniniste-trotskyste : l’ouvriérisme, l’étatisme et le productivisme.

L’ouvriérisme marxiste est explicitement critiqué par Marx sous un triple aspect. D’abord, parce que l’émancipation des travailleurs ne saurait être envisagé dans le cadre de l’idéologie servile de la « valeur-travail », qui soutient la fierté du travail subalterne, là où Marx propose une critique radicale du salariat. Dans le même essai, l’auteur du Capital rejette aussi l’idéologie ouvriériste qui prétend que la classe ouvrière industrielle puisse s’affirmer contre les classes moyennes, dont il souligne au contraire le potentiel révolutionnaire. Enfin, Marx se moque du travail idéologique simpliste des marxistes de parti, qui ne correspond pas à une critique intellectuelle de fond. Marx conspue ensuite l’étatisme des marxistes de son époque, qui s’accompagne d’une focalisation sur le cadre de l’Etat-nation et d’un internationalisme purement rhétorique qui apparaît dans l’appel à « la fraternisation des peuples ». Cette démarche simpliste « est encore infiniment au-dessous de celle du parti du libre-échange » selon Marx, ce qui fera plaisir aux porte-paroles du marxisme français qui ont vanté « l’Europe des peuples », lors du référendum national de 2005.
Gras
Marx insiste au passage sur le fait que l’idée d’un « Etat libre » est une contradiction en soi, absurde. Voilà pourquoi ce texte nodal de Marx est soigneusement évité par les marxistes de tous bords, voilà pourquoi Marx affirmait « Je ne suis pas marxiste ! »

L’échec historique du programme trotskyste
Trotsky et les trotskystes ont imaginé un scénario pour prendre la direction du mouvement ouvrier, au moment de la seconde Guerre Mondiale. Il s’agit du célèbre « programme de transition » de 1938 [17]. Les revendications sociales et politiques qu’il contient sont tellement audacieuses que leur réalisation implique l’explosion du cadre capitaliste des sociétés concernées.

Historiquement, cet échafaudage idéologique et politique a manifestement échoué, bien que le programme fondateur soit encore publié et utilisé par les trotskystes actuellement.

Les moments de grave crise que les sociétés européennes et asiatiques ont connu à la suite de la seconde grande guerre se sont vite résorbées, grâce au rétablissement de l’Etat qui a été soutenu par la classe ouvrière. Notamment en France, en Italie et en Allemagne, où le pouvoir patronal et étatique était complètement défait, alors que les citoyens se sont finalement contentés de reconstituer les fondements traditionnel de la société, entre 1944 et 1949. Au même moment, l’Armée de Mao a rétabli le pouvoir en Chine, ce qui a ensuite permis le développement capitaliste du pays.

Cela montre bien que la conscience de classe et la mission historique que s’assignent les directions trotskystes correspondent à une fantasmagorie.

Rien ne prouve mieux cette dimension fantasmée de l’idéologie trotskyste que la fin de l’Union soviétique. La théorie des Etats ouvriers dégénérés, en vigueur jusqu’à une date récente, voulait que les Etats soviétiques (Russie, Europe de l’Est) conservent un potentiel émancipateur depuis la révolution d’Octobre, via le parti communiste qui a édifié cet Etat.

Les masses se révolteraient contre les élites bureaucratiques de la Russie et accompliraient la promesse de la révolution prolétarienne. En réalité, l’Etat soviétique s’est écroulé en 1991, dans la plus grande indifférence, et la société russe a supporté la privatisation complète des biens de l’Etat « ouvrier » sans réaction significative. En Allemagne de l’Est, le régime pro-soviétique a implosé en 1990 et une large majorité de citoyens et d’ouvriers a voté pour un gouvernement de droite qui a organisé le démantèlement des dispositifs dits « socialistes ». Pire, la première vague de mécontentement face aux privations matérielles que cette transformation a entraîné, dans l’ancien espace soviétique est-européen, a abouti à un vote protestataire en faveur des anciens chefs bureaucratiques, qui se sont contentés de rebaptiser leurs partis (p.ex. « social-démocrate » au lieu de « communiste »).

Un dernier aspect problématique concerne le vote potentiellement réactionnaire des ouvriers et des classes populaires, qui se manifeste de façon cyclique en France et ailleurs. Le dernier exemple en date est le vote ouvrier majoritaire des ouvriers du Nord en faveur de Nicolas Sarkozy aux présidentielles de 2007. Sans parler des scores élevés du FN parmi les catégories populaires, entre 1986 et 2007. Un autre aspect concerne les grèves ouvrières britanniques en faveur de l’embauche prioritaire des travailleurs nationaux. Ces phénomènes montrent que les motivations politiques répondent à d’autres critères qu’aux seules conditions socio-économiques « de classe », chose que la tradition marxiste a du mal à admettre. L’adhésion populaire aux idées réactionnaires, nationalistes ou fascistes y est systématiquement relativisée. Trotsky lui-même a interprété le nazisme allemand comme un phénomène « petit-bourgeois », alors que les dernières élections libres avant la dictature nazie montrent un vote populaire en faveur des droites qui ont soutenu Hitler. [18]

L’école de Francfort a réalisé de vastes enquêtes sociologiques sur ce phénomène, connues sous le titre des Etudes sur la personnalité autoritaire (livre de Theodor Adorno) et qui décrivent de façon très précise, comment les réactions autoritaires à la crise sociale peuvent motiver l’adhésion à des idées racistes, anti-sémites, nationalistes ou fascistes chez différents individus, indépendamment de leurs statuts sociaux ou de classe [19]. Ces études n’ont jamais été discutées sérieusement par les marxistes français. Cela ne doit pas étonner, étant donné que ces partis mystifient la « conscience de classe ». Selon la logique trotskyste, la crise capitaliste du début des années 1930 aurait dû favoriser une prise de conscience et la révolution prolétarienne, sous la direction des trotskystes. À la place, il y a eu Auschwitz. Hiroshima. Puis, la société de consommation.

Un parti pris qui refuse l’expérience

En conséquence, les trotskystes sont autant fâchés avec la réalité empirique qu’avec les théories critiques. Toutes deux mettent en question le fondement doctrinaire du parti qui organise leur existence, et parfois leur statut social.

Si les dirigeants trotskystes préfèrent contrer les mouvements démocratiques et les conceptualisations critiques qui n’entrent pas dans leur propre schéma idéologique (au lieu d’entrer dans un dialogue de type dialectique), cela est lié à leur incapacité programmatique de tenir compte de l’expérience des autres.

Tout comme ils refusent de prendre en charge l’expérience historique : les victoires fascistes grâce au soutien partiel des ouvriers ; le rétablissement rapide des sociétés capitalistes après la seconde Guerre ; l’existence de mouvements de contestation sans leur concours ; l’implosion sans suite de l’Union soviétique ; le vote potentiellement réactionnaire des catégories populaires, etc. [20]

Ce même refus de prendre en compte l’expérience historique, est complété par un manque de volonté d’écouter et de scruter l’expérience réelle des personnes révoltées, indignées ou insatisfaites. L’approche qui consiste à diffuser un discours pré-établi à travers les mass médias, au lieu d’écouter la parole des « opprimés », découle du mode d’organisation centralisé du parti trotskyste. La direction décide, la base exécute, après avoir tenté d’amender la ligne donnée. Ce procédé est d’autant plus appauvrissant que les petits partis trotskystes disposent d’une base sociale particulièrement étroite, qui n’a jamais atteint dix mille personnes. Pour comparaison, le parti social-démocrate allemand a dépassé le nombre d’un million d’adhérents dans les années 1970 et le PCF approchait ce chiffre au milieu des années 1950.

Même si les trotskystes tenaient compte des observations de chacun de leurs membres, l’esquisse ainsi obtenue serait trop simple pour saisir la réalité complexe de la société et du monde. Le problème se pose d’abord sur un plan sociologique classique, purement descriptif, car femmes, immigrés, ouvriers, jeunes et précaires sont systématiquement sous-représentés dans les partis de gauche et d’extrême gauche.

D’un point de vue plus critique, il faut souligner que les militants trotskystes sont tout autant exposés aux effets fétichistes de la société bourgeoise que d’autres individus (les contraintes du travail salarié, la consommation, la société du spectacle, les formes autoritaires, etc.) sans pour autant vouloir l’admettre.

Enfin, le problème politique le plus évident réside dans le rapport que les militants entretiennent envers la majorité de citoyens qui ne sont pas organisés dans des partis.

Généralement, leur écoute se limite aux attentes principales, susceptible de nourrir des revendications ou des programmes électoraux, au mépris de tous les souhaits particuliers des individus. Les partis participent ainsi activement à la massification de la parole politique, qui cherche à organiser l’adhésion idéologique, au lieu d’entendre des arguments critiques.

Dans les organisations trotskystes, ce manque d’écoute est aggravé par la forte centralisation de l’information et d’une structuration de type sectaire, autour d’une direction qui pense déjà connaître la voie royale vers la « conscience de classe ». Depuis un demi siècle déjà, les textes de Walter Benjamin invitent les marxistes doctrinaires à abandonner l’idéologie totalisante du matérialisme historique, qui empêche de considérer ces souhaits particuliers et les contretemps de l’histoire. [21] Du contretemps, ce concept benjaminien, les trotskystes n’ont retenu que le mot, en titre d’une revue à la couverture grise. Un peu comme la Pravda, journal soviétique dont le seul mot vrai était son titre (La Vérité). [22]

Benjamin, lui, avait lancé une proposition qui n’était pas soluble dans le marxisme de parti : « Notre considération part de l’idée que la croyance psychorigide de ces politiciens dans le progrès, leur foi dans une “ assise de masse ”, ainsi que leur subordination servile à un appareil de parti incontrôlable, constituent trois aspects d’une seule et même chose. Cette approche vise à rendre compréhensible à quel point il nous en coûte d’abandonner notre pensée habituelle, au service d'un concept d'histoire qui évite toute complicité avec celui que ces politiciens continuent à défendre ». [23]

Pareille organisation verticale empêche aussi bien l’écoute que l’échange d’expérience. Malgré le discours marxiste, cette structuration rend également très improbable la compréhension dialectique des phénomènes contemporains. L’ouvriérisme - que les trotskystes ont hérité du PCF - favorise la défense superficielle de la vie ouvrière, comprise comme un ensemble homogène qui fait la part belle à ses aspects problématiques ou aliénés. Dans ce cadre, la psychanalyse fut dénoncée comme une pratique petite-bourgeoise ; la critique écologique fut dans un premier temps perçue comme une attaque contre le mode de vie de la classe ouvrière industrielle ; la libération des femmes et la liberté sexuelle furent d’abord interprétées comme une menace de la famille ouvrière traditionnelle par le PCF et les directions trotskystes, etc. [24] Ainsi, la LCR a commencé à discuter l’homosexualité sur un plan politique à partir de 1995. Dans un livre à caractère auto-biographique de 478 pages, Daniel Bensaïd n’accorde pas une seule page au mouvement féministe, excepté deux notes en bas de page. [25]

Le problème de la répétition


D'un point de vue historique, il s'agit de voir que le Nouveau parti anticapitaliste a déjà une longue histoire. La LCR a activé cette formule à quatre reprises dans ses quarante années d’existence, avec plus ou moins de succès. En l’absence d’un bilan critique, l’histoire se répète.

- En 1938, les groupes trotskystes lancent la IVe Internationale sur une base léniniste, après avoir éloigné d’autres courants, constitués de socialistes critiques [26], en posant des conditions tellement draconiennes qu’aucun de ces partenaires politiques potentiels ne pouvait les accepter. Déjà, il en résulta une base sociale, militante et idéologique étroite, qui laissa ce courant sans prise réelle sur le cours de l’histoire.

- Après Mai 68, la LCR a décidé d'abandonner toute perspective de mouvement large (poussant même l'opposition de gauche au sein du PSU de scissionner abruptement), au profit de la construction d'une organisation de cadres, de type léniniste. La démarche de l'époque consistait à créer des comités Rouge pour recruter des militants en accord avec la Ligue communiste, afin de renforcer le parti déjà existant qui a regroupé jusqu’à 7000 personnes.

- En 1988, cette démarche est réactivée aux côtés d’un transfuge du PCF, sous le titre des « comités Juquin », à l’occasion des élections présidentielles.

- Après les grèves de l’hiver 1995, la même approche se trouve une nouvelle fois explorée, sous le nom "Entente pour l'espoir", supposée préparer la formation d'un "nouveau parti". L'écho fut faible et la formule s'est trouvée rapidement écartée, au profit de l'alliance électorale LO-LCR, sur la base d’un programme trotskyste traditionnel.

- La quatrième relance en date concerne le Nouveau parti anticapitaliste de 2007, sur une base plus électoraliste que les précédentes tentatives. Le parti perd 660.000 voix, si l’on compare le NPA aux européennes de 2009 avec le score de la LCR aux présidentielles de 2007. Cet échec le pousse à s'allier... au PCF.

La répétition de la procédure, cet éternel « retour au même schéma » que chante le groupe NTM, signale que la direction trotskyste n’est pas en mesure d’abandonner ses principes organisationnels et idéologiques.

Sigmund Freud a saisi que le problème de la mémoire personnelle et du souvenir historique n’est pas limité à l’oubli, mais que la répétition sans cesse recommencée des mêmes erreurs et drames doit être lié à une incapacité plus profonde. Il pensait que le phénomène de la répétition obligée (Wiederholungszwang) exprime un refus fondamental de la vitalité et de la création. Ainsi, les personnes ou groupes concernées résistent au changement, refusent d’admettre la perte du passé, de leur propre passé, et se laissent aller à une certaine pulsion morbide. La modification des noms du parti ne change rien à cette situation, au fond. La structure subsiste et continue à parler la même langue, elle poursuit une écriture fatale [27]. Peut-être est-ce pour cela que les organisations trotskystes et leurs théoriciens sont incapables de tirer des bilans critiques de leur propre action.

Dissonances


Il est vrai que le schéma trotskyste a été débordé de nombreuses fois, grâce à des courants dissidents, et surtout des mouvements démocratiques, des élans libertaires beaucoup plus vastes. Le trotskysme a été polarisé depuis ses débuts par un courant chaud, créatif, anti-bureaucratique et hétérodoxe, comme l’a été l’ensemble du mouvement ouvrier jusqu’en 1978. Ce sont pourtant toujours les bureaucrates qui l’emportent au sein des partis, pour des raisons analysées par Max Weber et le sociologue anarchiste Roberto Michels [28]. Les individus, collectifs ou courants qui ont tenté de porter une critique substantielle du dispositif trotskyste ont tous fini par sortir de ce cadre trop étroit, légitimant ainsi la critique historique des dispositifs de domination bureaucratiques, qui maintient la visée utopique de l’an-arkhé (absence de domination).

Face à la mauvaise foi des apologues trotskystes, qui tirent leur légitimité d’une tradition historique qu’ils n’assument pas, puisqu’ils en oublient même le nom, la dissidence doit fatalement ressembler à une charge contre des moulins à vent. Les principes léninistes y sont défendus sans citer Lénine, mais les écrits de Lénine servent parfois à détourner l’attention du léninisme.

Face aux novices, les dirigeants gardent le dernier mot, en citant Marx. Face aux critiques, ils gardent le dernier mot grâce au marxisme, contre Marx. Face aux théories critiques, ils jouent avec les mots ; face à l’expérience transgressive des mouvements, ils misent sur le fait accompli des appareils. Face aux anarchistes, ils invoquent l’esprit libertaire, face aux dissidents ils jouent la sanction bureaucratique. Aux activistes, contestataires et révoltés, les dirigeants trotskystes répondent qu’il faut s’organiser dans le parti, sous sa direction éclairée. Aux intellectuels critiques, ils lancent au contraire qu’il ne faut pas débattre, mais agir. Aux ouvriers, ils prêchent la raison et la théorie, aux intellectuels l’ouvriérisme et l’activisme. Contre les utopistes agissants, ils invoquent le matérialisme et le réalisme politique. Aux journalistes qui leur reprochent leur utopisme, ils parlent de la révolution possible.

Le parti a toujours raison. Il s’en sort, au vu de la relative faiblesse du débat politique et de la force des structures autoritaires ambiantes. Voilà pourquoi il convient de dresser l’oreille pour écouter ce que dit Adorno : « La tradition se définit aujourd’hui comme une ardente obligation de trouver une forme nouvelle, une articulation poussée et cette obligation ne tolère rien qui soit donnée par avance de façon traditionnelle. Celui qui se soustrait à cela fuit le caractère inachevé de l’histoire qui continue à le solliciter. » [29]

Alexander Neumann

NOTES

[1] Responsable de publication de Variations, revue internationale de théorie critique (http://www.theoriecritique.com) ; chargé de recherche en sociologie.
[2] Michel Foucault, « Méthodologie pour la connaissance du monde : Comment se débarrasser du marxisme ? », entretien avec Umi Yoshimoto réalisé en 1978, in : Foucault, Dits et écrits 2, Gallimard, 2001.
[3] Voir Jean-Marie Vincent, « Comment se débarrasser du marxisme ? » in : Autre Marx, ed. Page 2, 2001.
[4] Jean-Marie Vincent, « Le trotskysme dans l’Histoire », Critique communiste N°172, 2004, p.42.
[5] Sauf LO, refusant de soutenir le régime cubain « petit-bourgeois ».
[6] La presse trotskyste est archivée à la BPI, Centre Pompidou (p.ex. les hebdomadaires Lutte ouvrière, Informations ouvrières et Rouge).
[7] Jan Spurk, Soziologie des französischen Arbeiterbewegung, Argument, 1987.
[8] Lénine, Que faire ?, Editions sociales, 1971.
[9] Rosa Luxemburg, « Démocratie et dictature », in La Révolution russe, Spartacus, 1946 ; Oskar Negt, L’espace public oppositionnel, Payot, coll. Critique de la Politique, 2007 ; John Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir, LUX, 2008.
[10] Voir Edwy Plenel, Souvenirs de jeunesse, Stock, 2003.
[11] Gyorgy Lukacs, Histoire et conscience de classe, Les éditions de Minuit, 1960, p.64.
[12] Ernest Mandel, Lenin und das Problem des proletarischen Klassenbewusstseins, Suhrkamp, 1970.
[13] Jean-Marie Vincent, « Face au parti ouvrier », in Max Weber ou la démocratie inachevée, Le Félin, 1998, p.93.
[14] O. Negt, op.cit.
[15] Rosa Luxemburg, op.cit. ; Roberto Michels, Critique du socialisme, Kimé, 1993.
[16] Karl Marx, Critique du programme de Gotha, Les éditions sociales, 2008, p.49.
[17] Trotsky, Le programme de transition, ed. Les bons caractères, 2005.
[18] Les partis ouvriers obtiennent 12 millions de voix contre 20 millions aux partis nationalistes et nazi, aux législatives libres de 1932. Voir Wilhelm Reich, La psychologie de masse du fascisme, Payot, 2003. Voir aussi Trotsky, Comment vaincre le fascisme ?, Buchet, 1973.
[19] Adorno, La Personnalité autoritaire, Allia, 2007.
[20] Le premier appel du « Nouveau parti anticapitaliste » (2008) affirme vouloir prendre en compte « les expériences du passé », mais il ne cite aucun de ces problèmes historiques auxquels le trotskysme s’est heurté. L’abandon d’un certain verbiage idéologique est suivi d’une prise en charge purement rhétorique de l’expérience.
[21] Benjamin, Thèses sur le concept d’histoire, Folio, 2001 ; Adorno, La dialectique négative, Payot, 2003.
[22] Daniel Bensaïd a tenté de présenter Benjamin comme un trotskyste et un « prophète armé », sans avancer le moindre argument qui accrédite cette thèse extravagante, voir son Walter Benjamin, la sentinelle messianique, Plon, 1990, p.158.
[23] Nous traduisons. Benjamin, “Über den Begriff der Geschichte” in Sprache und Geschichte, Reclam, 2000, p.147.
[24] Voir le rejet des apports de Freud, Fromm et Castoriadis dans des publications trotskystes des années 70, au sujet du Freudomarxisme (Ed. la brèche, LCR) ou la défense trotskyste en du coït interrompu (Lutte de classes, LO) ; l’existence marginale puis l’arrêt des Cahiers du fémnisme de la LCR ; les diatribes des revues Contretemps (N°4, 2002) et Lutte de classes (LO) contre l’écologie politique, etc.
[25] Bensaïd, Une lente impatience, Stock, 2004.
[26] Bensaïd, La fondation de la IVe Internationale, IIRF, 1989.
[27] Au sujet de cette problématique freudienne chez Derrida voir : Poetics today N.8 : « Freud and the semiotics of repetition », Duke University Press, 1987. Jacques Derrida, L’écriture et la différence, Seuil, 2003.
[28] Voir la correspondance de Weber, Briefe 1906/08, Mohr/Siebeck, 1990.
[29] Nous traduisons. Theodor W. Adorno, Dissonanzen, Suhrkamp, p.132, 2003.