Affichage des articles dont le libellé est "Mouvement des retraites". Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est "Mouvement des retraites". Afficher tous les articles

mardi 26 juin 2012

"Assemblée pour une grève offensive" (2010) [Dossier Assemblées]

[Pour mémoire, texte qui appelait à l'asemblée autonome "turbin", aussi dite "assemblée interpro" à Paris pendant le mouvement des retraites]


Source : Indymedia Nantes.


Pour se rencontrer et discuter, entre autres, de la suite de la grève rendez vous samedi 25 septembre à 14h à la c.i.p. 14 quai de Charente – Paris 19ème – M° Corentin Cariou contact : turbin@riseup.net

Tract d’appel à l’assemblée diffusé largement 
lors de la manif parisienne du jeudi 23 septembre (2010) :

 Voilà qu’on veut nous faire travailler deux ans de plus !

Le travail, le turbin auquel on consacre la majeure partie de nos journées, est essentiellement une violence qui nous est faite, et la plupart d’entre nous le ressentent comme tel. Mais il a réussi à s’imposer comme quelque chose allant de soi, quelque chose de naturel (« il faut bien travailler pour vivre ! » et oui !), alors qu’il est le produit d’un rapport de force qui nous contraint à nous activer pour permettre au capital, ce drôle de machin invisible qui détermine nos vies, de se reproduire et de s’accroître. On travaille pour gagner de l’argent, certes ; mais on travaille surtout pour faire gagner de l’argent – pour créer du capital. Quand on y réfléchit, rien de bien naturel là-dedans.

Mais c’est ainsi qu’on nous gouverne : par l’acceptation de fausses évidences. Ainsi de cette réforme des retraites : travailler plus, ben oui, ça ne fait pas plaisir, mais il n’y a pas le choix, c’est l’économie qui veut ça – l’allongement de la durée de vie, le vieillissement de la population, tout ça.

La gauche et les syndicats refusent cette réforme en l’état, tout en reconnaissant qu’il y a un problème, voire pour certains qu’il va falloir se serrer la ceinture. Refuser cette réforme supposerait d’avoir une réforme alternative en tête. Est-il si fou de se dire que ce n’est pas à nous de gérer cette affaire ? Lorsqu’une boîte se restructure, comme ils disent, elle a toujours recours au même chantage : c’est soit les licenciements, une intensification du travail sans contrepartie, etc., soit la boîte va couler car elle ne dégage plus assez de profits, et les salariés couleront avec elle. Il faudrait accepter d’en chier toujours davantage sous prétexte de sauve-garder un système basé sur notre exploitation.

On n’a pas à adhérer à des raisonnements qui visent à nous solidariser avec les logiques de cette exploitation. Sur la question des retraites, il est possible d’affirmer simplement : « bordel, je ne veux pas travailler deux ans de plus car je suis déjà assez exploité comme ça. Point barre. » Mais évidemment, le dire ne suffit pas : il faudra l’imposer. C’est un rapport de force. L’économie, on ne fait pas que la subir : on la fait tourner. Qu’on s’arrête un peu de le faire, ça ne fera pas du bien au capital, mais ce n’est pas sûr qu’on s’en portera plus mal.

Être isolé contribue beaucoup à la résignation. Peut-être sommes nous quelques-uns ici à attendre d’un mouvement social davantage qu’un recul du gouvernement sur la question des retraites… Peut-être sommes nous même plus que quelques-uns à voir aussi la chose comme une occasion : un mouvement social un tant soit peu énervé, en ces temps où la combativité sociale n’est pas à son plus haut, c’est la possibilité de se rappeler qu’une force collective, venant briser le traintrain de l’exploitation, de l’isolement et de la déprime généralisée, permet d’entrevoir des horizons où la réappropriation du monde n’est plus hors de portée. Sans doute sommes nous un certain nombre à d’ores et déjà envisager qu’au cours de la lutte puissent s’élaborer des pratiques qui posent des questions allant au-delà du nombre d’années de cotisations. A espérer qu’un mouvement à venir remette en cause ce qui est quotidiennement accepté et se foute des solutions alternatives proposées par ceux qui gèrent nos vies…

Nous n’en sommes pas là : encore faut-il que ce mouvement ait lieu. Il est évident qu’une journée d’action isolée par-ci par-là, appelée par les syndicats en vue de négociations où l’essentiel est déjà négocié, n’aboutira à rien, sinon à accroître le sentiment d’impuissance. Ces syndicats, qui ces dernières années ont déjà fait avorter des mouvements avant même qu’ils puissent avoir lieu (déjà sur les retraites, en 2003 puis en 2007), se préparent à faire de même ce coup-ci, de manière encore plus assumée. A croire qu’ils préfèrent encore subir une « défaite » plutôt que de voir un mouvement leur échapper…

Dès lors voilà : pour que cette lutte puisse avoir réellement lieu, il faudra nécessairement que cela se passe par dessus les têtes des directions syndicales. Il faudra notamment leur imposer la grève, sans quoi rien ne sera possible. Ce n’est pas tâche aisée : pour cela il faut d’ores et déjà commencer à s’organiser ; à transformer la colère latente en action collective.

Mais, « les syndicats perdent brusquement le contrôle de leurs bases » : voilà qui ne serait pas forcément moche.

grève générale ! grève illimitée ! grève offensive ! 

samedi 8 janvier 2011

« Il faut discuter »


Sur le bavardage comme hypnose sociale.


« L’histoire des peuples dans l’histoire, c’est l’histoire de leur lutte contre l’Etat .»
Pierre Clastres

« Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent »
Pierre Kropotkine

Au pays des « droits de l’homme », l’assurance de la liberté d’expression, ainsi que l’ensemble des libertés collectives qui y sont associées (le droit de manifestation de manière déclarée, la grève dans les limites prévues par la loi, le droit de rassemblement déclaré) sont reconnus comme le fait général de la preuve irréfutable selon laquelle nous vivons dans une démocratie qui assure la plupart, voir même l’ensemble des libertés individuelles et collectives.

Quoi de plus irréfutable, au juste, de la vérité selon laquelle aujourd’hui, on peut dire absolument tout et n’importe quoi sans être véritablement inquiété ? Bien sur, certaines limites existent. Les appels à la haine raciale peuvent être condamnés, les appels au meurtre ou au viol, etc. Si la loi ne joue pas, certains « excès» sont au moins frappés d’ostracisme. Mais si ces limites existent, c’est dans l’intérêt général nous dit-on. C’est ici que la loi et l’Etat trouvent leurs fondement : ils existent pour permettre la participation à la loi, protéger le bien commun et les libertés de ses membres. L’acte fondateur de la « citoyenneté » est généralement envisagé comme le fait de voter pour élire des représentants (c’est-à-dire, leur déléguer un pouvoir, le principe républicain ne nécessite que rarement d’appeler à voter pour prendre une décision sur un fait général ou particulier. L’ultime recours à ce type de vote est souvent le référendum, envisagé dans ce cas comme plébiscite que le pouvoir utilise pour se consolider). Dans les faits, la majorité quasi-absolue des individus ne participent pas directement à la formation de la loi : il faut passer par des représentants. L’égalité devant la loi est donc biaisée en ce sens que n’ayant pas les moyens d’intervenir pour peser directement sur sa formation, la loi est au « service » - c’est-à-dire « à l’accès »- d’un nombre restreint d’individus instruits et qualifiés par l’Etat pour concourir aux fonctions de légistes d’une part (pouvoir legislatif), ou de sénateurs, parlementaires et gouvernants d’autre part (pouvoir exécutifs) : en un mot, une élite, formée par les écoles et élue.

Le pouvoir constituant, permettant de fondre complètement l’appareil d’Etat (et changer ainsi l’esprit général de la loi et du droit), est quant à lui clairement verrouillé : dans la tradition française, à part une trentaine de personnes détenant le pouvoir exécutif (Chef d’Etat et gouvernement), personne à moins d’une situation exceptionnelle créant un «vide» , ne peut remettre en cause la constitution : sauf cas de guerre, ou de révolution donc. Mais alors, comment se fait il que dans une société où l’Etat revendique et possède en effet le monopole de la violence et n’est sensé l’employer que pour le bien commun, l’accès à la formation des règles de vie en commun soit si centralisé, et qu’il n’existe que des moyens restreints ou inexistants pour le « citoyen » moyen d’y participer ? Imaginer qu’un tel système concentrant à ce point le pouvoir puisse fonctionner sans défendre d’intérêts particuliers repose entièrement sur la confiance accordée aux dirigeants-élus de ne représenter strictement que la volonté populaire. Rien d’autre que la confiance. Le principe même du vote de délégation est un « contrat de confiance », et plus le nombre de « représentants » est élevé, plus elle suppose une machine étatique kafkaïenne où les représentants font d’autant plus mine d’être « proche des gens » que leur condition et leur fonction les en sépare absolument.
Comment dans un système qui repose sur la confiance et l’assurance du bien commun, il peut exister autant de défense partisane des intérêts particuliers en même temps qu’une situation de misère, parfois extrême, souvent ordinaire, pour une large partie de la population ? C’est nécessairement que la société est divisée en classes. Pouvoir économique d’une part, et politique d’autre part : ceux qui les possèdent, et les autres. Le fait même qu’on parle de « classe politique » devrait nous indiquer que la politique, entendu comme représentation et non participation directe à la vie de la société, est entièrement séparée de la vie sociale : elle y exerce un pouvoir coercitif du fait même de cette position d’extériorité qui lui confine une position directrice n’est pas du domaine de la « représentation pure » : dans un tel système, nul ne peut être représenté autrement que par lui même. La représentation dans le cadre de la délégation de pouvoir ne peut être qu'un reflet mensonger -parce que mystique- (la prétention de "représenter" une volonté est absurde : ou bien on la porte, ou bien on va contre) de la volonté collective. Et comment peut il exister autant de violence incontrôlable de la part de ce même Etat, tant de « bavures », tant de « ratés » de ses forces répressives dans un système qui doit reposer la confiance ? Si la violence est en fait nécessaire à la pacification des dépossédés, et à la protection de la propriété privée, c’est que le principe de l’Etat est d’être policier. Cette configuration de la répartition du pouvoir, concentré et séparé de la majorité de la société, bien que divisé, nécessite que les intérêts particuliers soient défendus : ceux qui ont accès à la propriété privée (des moyens de production, du logement, etc…) d’une part contre ceux qui ne l’ont pas, et du pouvoir politique (parlementaires, sénateurs, chef d’Etat, ministres, et son opposition tolérable : dirigeants syndicaux, opposition parlementaire, etc…), ceux qui y ont accès -puisque, on l’a vu, cet accès est réservé à une élite restreinte- contre ceux qui ne l’ont pas, voir n’en veulent pas. La gendarmerie nationale a, depuis la révolution de 1789 où elle a acquérie ce titre, été retranchée de son pouvoir judiciaire pour n'empoyer qu'un pouvoir strictement policier. Ce pouvoir a été en premier lieu utilisé pour mater les révoltes paysannes (jacqueries) contre les propriétaires terriens, puis contrôler les mouvements de foule et la circulation des individus en général. L’histoire démontre que ces forces, si on leur prête aujourd’hui cette fonction rassurante, n’ont pas été crées pour protéger le « bon peuple », mais employée par une classe contre une autre pour défendre son pouvoir. De manière instituée -le salariat sous quelque forme de contrats-, une classe en emploie une autre, et la tient dans une situation de dépendance parfaite où jusqu’à la fraction la plus dépossédée des exploité-e-s, on n’imagine plus vivre sans être géré, même lorsque l’injustice apparait de plus en plus comme donne fondamentale d’une telle société.

C’est ici qu’intervient la question du « dialogue ». Un dialogue est composé au minimum de deux parties : ici se fonde la division entre la société d’une part, et l’Etat d’autre part. En se reconnaissant comme interlocuteur de la société toute entière ou d’une ou plusieurs de ses parties, donc comme extérieur à celle-ci, l’Etat entérine et reconnait cette séparation comme fondamentale, et s’octroie même de facto le pouvoir de choisir ses interlocuteurs dans la société pour mieux désigner à qui il ne parle pas. Lorsqu’un chef d’Etat parle de « fracture sociale », c’est de la société et de l’Etat qu’il s’agit de son esprit : la partie sociale « saine » qui suit encore le dialogue, et celle qui ne la suit plus ou pas. C’est aujourd’hui la question centrale qui se pose à toute idéologie étatiste : elle n’existe que pour tenter de consolider le mensonge qui dit « Moi, l’Etat, je suis le peuple».

Cette vision même implique la normalisation des individus -et le refus des différences et de la pluralité- et la négation des antagonismes de classe résultants de l’accès à la propriété et au pouvoir coercitif. Dans les bouches qui incarnent cet interlocuteur, l’Etat doit « s’unir » à la société. L’histoire démontre que toute tentative sérieuse dans ce sens ne peut aboutir qu’à la formation d’un Etat totalitaire, ou au moins à l’atomisation partielle ou achevée de la société.

Si la société réelle, dans son acceptation pleine et entière, est une communauté constituée d’individus libres, égaux et autonomes, où tendent à le devenir : alors l’existence même de la société est douteuse, et de plus en plus à mesure que ses membres sont privés de libertés fondamentales, que la division entre classes s’intensifie et que leur dépendance à l’Etat est toujours plus accentuée.

C’est pour perpétuer cette dépendance que l’Etat, par essence, instaure comme préalable à toute remise en cause dans le fonctionnement de la société de le prendre d’abord comme intermédiaire, et d’accepter son bavardage. « Il faut discuter » : voici l’ultime prescription de l’autorité. Etre « responsable» , c’est accepter l’idée de médiation, et renoncer à toute relation sociale ou expérience de masse qui soit immédiate. L’immédiateté est ennemi juré de l’ordre. Tout ce qui est vécu directement lui est étranger, pire : cela n’a pas lieu d’être.

La démocratie, la liberté ou la société n’existent pas par elles-mêmes, et jamais directement : elles n’existent que par et à travers l’Etat et ses divers services et institutions -considérant que la télévision en est une à part entière-, c’est-à-dire sous sa surveillance, et dans les limites qu’il impose.

"La télévision, c'est le gouvernement dans la salle à manger de chaque français"
Alain Peyreffite


Il va jusqu’à réclamer la bienséance des opprimé-e-s quand elles ou ils parlent, et leur rappeler en permanence quand « les bornes sont dépassées » : c’est encore fixer les limites de la révolte selon les conventions dominantes, jurisprudence des maitres. Mais aucune « politesse de la révolte » ne peut être exigée d’une quelconque manière de la partie de la société qui ne subit pas telle ou telle domination, voir en profite. Car il n’y a pas de domination socialement structurée et politiquement instituée qui n’engage profits et pertes. Là où il y a oppression constituée, voir généralisée : il y a nécessairement profit, et donc exploitation. Le principe même de l’économie politique procède de cette logique : rien de ce qui organisé économiquement dans une société divisée en classes ne l’est pour servir des intérêts privés et particuliers.

De là, tout discours se place dans la défense d’intérêts. Mais ou bien ces intérêts sont particuliers et privés, et ainsi jalousement défendus (Les privilèges machistes, la « préférence nationale », le Capital, l’idéologie du pouvoir, etc) ou bien ces intérêts sont spécifiques et parfois généraux : ce qui n’est pas nécessairement contradictoire. Par exemple, lorsque des salarié-e-s en grève luttent contre des baisses de salaire ou des augmentation de temps de travail, lorsque des activistes luttent contre des lois liberticides, ils luttent en premier lieu pour l’amélioration de leurs conditions d’existence, mais aussi celle de la société réelle toute entière : même ceux et celles qui ne sont pas d’accord, sont contre la grève, contre le fait de lutter ou les modalités qui permettent à une bataille d’être remportée. Du moins, lorsque ces intérêts continuent d’être défendus comme spécifiques, ils devraient l’être aussi comme généraux. Car en effet, toute lutte contre la domination sert, ou devrait servir la libération totale de la société et même des êtres, des choses et de la matière : et non être envisagée comme une médiocre compétition qui suivrait « le cours normal des évènements ». Tout saut qualitatif dans l’histoire implique une rupture avec le présent : l’esprit même de la constitution dans la philosophie du droit le trahit.
Un argument économiste est souvent avancé contre cette idée de libération totale qu’on ne libère pas « des choses » ou des sujets « non-pensants », qui d’ailleurs ne peuvent se révolter. C’est nier par là que le politique précède l’économie en cela qu’une domination sur les choses ou les êtres permet l’établissement de leur propriété privée, et s’inscrit dans la philosophie du droit du propriétaire : si il est insensé de vouloir libérer un espace, un lieu, un outil ou un sujet « non-pensant », alors il est a-moral (ce qui signifie qu’aucun jugement éthique ne peut être porté sur le fait) de détruire les forêts, de polluer l’air, d’empoisonner l’eau et la terre, et de massacrer des animaux : surtout, c’est nier ce que ces destructions et appropriations sous-entendent et impliquent : si les arbres avaient la parole, rien ne laisse à penser qu’ils auraient suffisamment confiance en l’humanité pour lui donner la réplique en de telles circonstances. On peut entendre par « libération » la profanation non seulement de certains sujets comme « propriété particulière », propriété privée, mais aussi pour d’autres comme propriété tout court. Le sacré est politique et fonde l’économie en cela que qu’il retire du commun ce qui appartient à tous, ou même à personne : car certaines « choses » , comme les êtres, ne peuvent s’approprier sans engager par là l’esprit même de la propriété privée et de l’exploitation.

Si le mouvement ouvrier, plus de 200 ans après sa naissance furieuse, et dont l’histoire est jonchée de guerres, de sang versé et de cadavres, en est réduit aujourd’hui, ici et ailleurs, à des luttes corporatistes, et à un troc minable entre représentants légaux des exploité-e-s -« bureaucratie de l’intérêt public» - et dirigeants au service de l’exploitation, cela tient sans doutes moins au fait que ces mêmes représentants soient des « traitres » qu’à leur existence même -dans ce rôle-, et au dialogue apaisé qui s’est installé entre d’une part les exploité-e-s et ses « portes paroles » auto-proclamés, et d’autre part ses éternels bourreaux. La pierre angulaire du « syndicalisme de proposition » et de « co-gestion », ainsi que toute forme « contestataire » qui a suivit ce modèle historique, est en fin de compte d’avoir abdiqué la critique de la propriété privée autant que celle du salariat, ou encore de l’avoir refoulé à l’état de simple abstraction, comme « héritage» aussi lointain que la perspective de sa réalisation. De là, le principe de la négociation n’est pas à blâmer parce qu’il serait le fait d’individus néfastes et corrompus qu’il s’agirait de remplacer par des cadres ou des leaders plus « honnêtes » et plus « radicaux », mais parce qu’il instaure comme condition sine qua non de toute amélioration le « dialogue » avec l’autorité. Même lorsque ce dialogue se fait parfois sourd : la négociation n’a pas lieu, mais c’est encore l’Etat ou les patrons qui sont pris comme interlocuteurs avec la loi comme arbitre. Dans cette introversion programmée de la contestation réelle -envisagée comme bavardage éphémère et futile et agitation tolérable-, les exploité-e-s de toutes les séparations sont tenu-e-s dans un infantilisme social éternel. La négation de l’ordre social actuel, et la possibilité d’un changement radical sont toujours traités au mieux comme une absurdité, un doux rêve, au pire comme une tentation diabolique et sanguinaire, une menace et une peste de laquelle l’Etat, en bon berger, doit protéger son troupeau. Et ainsi jusqu’à la contestation même de l’autorité de la moindre décision : si certain-e-s individu-e-s s’opposent avec autant de force à telle loi, à tel pouvoir, à tel gouvernement, ou même à son principe, c’est forcément que quelque chose leurs a échappé, qu’ils ou elles n’ont pas compris, qu’un dialogue, ou au moins un bavardage doit s’instaurer. C’est ici l’autonomie de la pensée, si chère aux libéraux qui parlent de « liberté » et « d’indépendance » qui est partout remise en cause. Mais la liberté ne consiste pas en un choix arbitraire entre plusieurs mensonges, et bien plutôt dans le refus conscient d’une proposition truquée, la dénonciation du chantage, et plus généralement la découverte des mécanismes sociaux et leur dépassement : plus les conditions sont réunies, plus la pensée est libérée. On ne peut prétendre que la « liberté de pensée » consiste en la croyance religieuse et aveugle d’une idée confortable ou rassurante. Pour qui les dirigent, les dépossédé-e-s sont incapables d’éprouver la liberté; ils doivent être encadrés, surveillés, contrôlés, et surtout, par-dessus tout : il faut leur parler, leur « expliquer » . Ici peut s’établir un point de rupture : si les conditions de la liberté restent à créer, il faut d’abord se débarrasser de ce qui les limites. La meilleure manière d’obtenir l’égalité, c’est encore de refuser de s’assoir à la table des oppresseurs. Et le meilleur moyen d’obtenir la liberté est encore de refuser de la mendier, ou pour le moins de ne jamais la débattre autrement que dans un rapport de force.

Le « dialogue » de type pédagogique, où l’Etat, ses représentants ou les membres des classes possédantes tiennent les dépossédés en tutelle, est envisagé en fin de compte comme le moment où les gestionnaires font comprendre aux géré-e-s que n’ayant pas toutes les clefs en main, ils ou elles seraient incapables de prendre des décisions raisonnables pour l’ensemble de la société ou pour eux-mêmes et elles-mêmes, parce que c’est là le travail de spécialistes. Cette vision du monde est hautement métaphysique : elle procède d’un raisonnement fondé sur la supposition que l’état de la nature et de la société est immuable et figé, alors que précisément, tout ce qui la compose, même l’économie, est en perpétuel mouvement.

C’est pourquoi on ne gagne pas la considération d’un maitre en lui demandant quoi que ce soit avec politesse, on gagne son attention en refusant sa conciliation condescendante et sa morgue, en refusant son bavardage, et on ne commence à entrevoir des perspectives de changement radical et le minimum de considération pour soi-même qu’en frappant sur sa table à coups de marteau. Dès lors, et même lorsqu’on peut considérer la figure du dominant comme celle d’un aliéné, le seul « dialogue » possible avec le mutisme et la surdité de l’oppresseur reste emprunt de violence. Pourquoi ? Parce que l’éthique non-violente ou légaliste est basée sur l’idée généreuse que les oppresseurs prendront un jour conscience de leur propre aliénation en tant qu’ils dépendent de leurs opprimé-e-s. Mais pour qui profite de la domination, les sanglots publics et les mises en scène de souffrance collectives ne sont qu’un bruit de fond.


L’Etat encadre et prévoit la libre expression de ce misérabilisme qui consiste à geindre sans jamais envisager d’agir, et cette position ne fait que conforter les gloussements satisfaits de la classe dominante et sa critique de la révolte totale comme « marge insignifiante » séparée de la société (comme c’est le cas pour les avant-gardes, facilement isolables) ou menace mineure indépassable (dans le cas d’une minorité agissante qui s’assume comme telle). Parce que les bénéficiaires de toute exploitation ne peuvent entendre raison que lorsque les exploité-e-s cessent de faire ce qu’on attend d’eux ou elles : c’est-à-dire en se révoltant en dehors des limites imposées, en dehors du cadre établi. En ouvrant enfin la bouche pour parler d’une voix terrible, celle qui en un mot, vient déchirer des générations d’exploitation et de misère : en commençant par dire « Non » en actes. En transformant le bruit en quelque chose d’audible, et pour cela, joindre le geste à la parole dans un même refus du principe de la négociation.

Le Cri Du Dodo

mercredi 20 octobre 2010

"Avis d'Insoumission à la population"


[Trouvé sur Indymedia Paris]

"Tout les uniformes ne sont pas bleus" 2e épisode...

Merci qui ? Merci la CGT !


[Témoignage. Si vous avez d’autres détails, n’hésitez pas à compléter]



Aujourd’hui Mardi 19 Octobre 2010, Nous sommes dans le cortège étudiant unitaire, avec le PS juste devant nous. Quelques slogans dérisoires fusent "Socialos, on vous voit pas souvent, mais bon là, on est contants", et autres trucs du même style. L’ambiance est bon enfant malgré les socialos qui tirent la tronche. De petits attroupements de lycéens circulent dans les cortèges étudiants et lycéens, et juste à coté de nous.

Il est environ 15H00, et nous sommes à hauteur de la société générale, en face du métro Gobelins, ligne 7.

Nous voyons alors une petite bousculade et comprenons qu’il y a eu une sorte de chahut entre quelques lycéens. Certains parlent d’une baston pourrie, d’autre d’une tentative minable de dépouille. Rien de bien méchant, mais en curieux quand même, nous nous rapprochons. C’est là que nous voyons le SO de la CGT, qui était à proximité, débouler et s’improviser justiciers comme ils savent le faire : en chargeant tout ce bouge et en cognant.

Soyons clairs, quelques minutes plus tard, les jeunes des lycées nous diront " ils nous ont tous chargé comme ça, d’un coup, sans distinction : ils ont foncé sur nous et nous ont éclaté !". S’en suit une bousculade, le SO CGT matraque à tout va, panique, mouvement de foule, les gens se piétinent et plusieurs personnes tombent à terre, dont une lycéenne en pleurs, qui n’arrive plus à se relever. On fait de la place pour la laisser réspirer, et là : viens la colère.

Le SO CGT, environ une 20ene (peut être plus), tous grands avec leur brassards rouges et leur autocollants cgt, armés de barre en bois et de téléscopiques, ainsi que de lacrymogènes dites "familiales" (grand modèle), est désormais regroupé en bloc compact devant la société générale. Les insultes fusent, des étudiants, lycéens, et même des syndiqués leurs demandent pourquoi ils ont fait ça, l’air ébahi et en leur montrant les gens tombés par terre et les lycéens qui pour certains cherchent encore à comprendre ce qui s’est passé. Aucune réponse. Seulement des insultes de leur part, des doigts d’honneur. La foule commence à s’énerver, plusieurs personnes leur crachent dessus et un groupe commence à gueuler "SOCIAL-TRAITRES ! SOCIAL-TRAITRES" en les pointant du doigt. Quelques canettes de bière leur volent dessus. Plusieurs personnes leur hurlent dessus. Certains lycéens remontés s’énèrvent "il faut les défoncer ! Ils nous ont tappé sans raison, c’est des oufs !".

Sentant la pression monter, le SO sort les gazeuses et allume encore la foule en se frayant un chemin à coups de barre de bois et de matraque et disparait dans la panique pour rejoindre leur cortège... Une vieille dâme dira " ça fait 40 ans que ça dure. Les flics devraient leur filer un salaire, au moins ce serait plus clair".

Quelques minutes plus tard, des lycéennes d’un lycée en banlieue (je ne sais plus où) iront expliquer à une journaliste et sa caméra "On s’est fait tappées et gazées pour rien par leur SO. C’est déjà les mêmes qui avaient expulsés les sans-papiers de la bourse du travail. Merci le PS, merci la CGT, merci la bourgeoisie." un autre s’esclaffe " ils nous ont tappé parce qu’on ressemble pas à des petits blancs parisiens : c’est des racistes madame !". " Vous allez les diffuser ces images là ?".

Les yeux qui piquent nous regagnons notre cortège en pestant. Pour la première fois de ma vie, je me suis fait gazé par autre chose que des flics : quelle différence ?



En effet, tout les uniformes ne sont pas bleus. Et le SO de la CGT devra finir par rendre des comptes...

Une phrase qui m’a choqué : alors que ces gros bouffons venaient de matraquer des lycéens (vous savez, les futurs prol qu’on déstine à crever au boulot), un gars en colère s’adresse à eux "vous frappez des gens qui sont de la même classe que vous. Vous êtes des ennemis. Vous agissez contre le prolétariat". Un vieux du SO, hargneux, lui rétorque "Ta gueule ! tu sais même pas ce que c’est que le prolétariat !". On dirait une réplique de film. Malheureusement, c’était cette après-midi en pleine manif parisienne.

Signé : Un ex-étudiant, "demandeur d’emploi" comme on dit, et gréviste, accessoirement.



voir aussi :

-"En France, comme en Belgique : Tout les uniformes ne sont pas bleus"
sur Indymedia Paris.
- "SO CGT, Condés : Même Combat !"

mardi 12 octobre 2010

Aujourd'hui : c'est la grève... mais demain ?

[photo : Strasbourg, Manifestation du 12 Octobre 2010]

En France comme au Portugal, comme en Italie, comme en Grèce, comme dans le reste de l'Europe et ailleurs dans le monde : la crise du capitalisme s'intensifie, et les conflits de classe éclatent au grand jour. Grève Générale en Espagne avec affrontements entre grévistes et flics sur les piquets de grève, à Madrid et à Barcelone, manifestations géantes qui dégénèrent à l'émeute. Ici, partout,
et pas seulement contre "la réforme des retraites" (comme la Gauche s'y plait à enfermer le débat) des grèves contre la baisse des salaires et prestations sociales, l'augmentation du temps de travail et du prix de la vie, et la dégradation générale des conditions d'existence... mais aussi contre la présence policière et son inévitable violence : dans tout les secteurs, public ou privé, dans toutes les catégories professionnelles, voilà qui pointe son nez : la grève.

La vraie : la cessation de travail et le blocage de l'économie, avec des piquets de grève, des occupations, des explosions de colère, la révolte qui tend à se généraliser. Et même chez les lycéens et les étudiants, ça chauffe.
Marre d'être fliqués, surveillés, suspectés, contrôlés et condamnés pour simple délit d'existence. Dans ces bahuts qui ressemblent de plus en plus à des prisons, et où bientôt comme à la fac, on y voit se croiser surveillants, vigiles, et autres annexes policières. Tout est fait pour y canaliser la révolte. La prévenir. L'étouffer : l'empêcher.

Dans les universités aussi, où ce ne sont plus les quelques "étudiant-e-s gauchistes" qui mènent l'agitation, mais des salarié-e-s du personnel, et autres supports du mépris de classe de la direction de l'administration partout triomphante dans son application zélée des réformes gouvernementales et de la logique même de l'université comme usine à trier les "gagnant-e-s" des futur-e-s prolétaires.

Mais de la simple révolte, qui va encore s'étendre, doit venir la critique de l'économie, du capitalisme, et de l'Etat. Tant que nous serons gouverné-e-s, nous serons soumis-e-s et donc insatisfait-e-s. Nous devons oser penser le monde autrement que comme il nous a été montré depuis toujours. Nous devons imaginer
que si cette vie n'est pas souhaitable, il faut la changer.

Il faut détruire ce qui nous détruit.

Il faut renverser les rapports de pouvoir partout où nous les trouvons.
Ce sont les assemblées générales de grève qui doivent mener les mouvements (comme structure de base ouverte à tous et toutes) sur des principes de démocratie directe, sans médiation (syndicale, organisationnelle ou de parti) et se coordonner en vue de poursuivre et intensifier la grève de manière auto-organisée,
pour l'étendre jusqu'à son point de rupture :

Celui où l'Etat voudra sonner "la fin de la récrée".

Organisons nous pour lui opposer la force collective,
LA GREVE GENERALE, AUTOGESTIONNAIRE ET EXPROPRIATRICE !

Tout est à tous, rien n'est à l'exploiteur.
Reprenons le contrôle de nos vies :
SABOTONS L'ECONOMIE !

dimanche 22 août 2010

Travailler : jusqu'à quand ?


Sur la réforme des retraites, et l'idéologie du travail...

Le débat qui occupe toutes les têtes en ce moment semble être la réforme des retraites.

Comme si d'ailleurs, c'était nouveau. Comme si on découvrait quelque chose. On ne peut pas mettre les pieds au travail, dans une faculté, à Pôle emploi, dans soirée, un métro, un diner de famille, un repas du soir, une salle d'attente, allumer la télé, sur internet, un blog ou un forum, n'importe où, sans en entendre parler à un moment ou un autre. Restez dans n'importe quel lieu public, et vous finirez pas en entendre parler. Même les plus muets sur le sujet y pensent si fort qu'on peut presque les entendre :

"A oui tiens, c'est vrai ça, et ma retraite ?".


Souviens toi de la grève, camarade usager...

Quand en 2008 les cheminots bloquaient les trains pour tirer à leur manière la "sonnette d'alarme", toutes les petites âmes égocentriques, les poujadistes improvisés, toujours au garde à vous dès potron-minet, les réacs d'opérette, et même les casseurs de grève à la petite semaine se sont réveillées. Ici encore, les médias dominants ont fait oeuvre de propagande. On se souvient de ces "usagers" qui exultaient, poussés au vif tout les soirs par le tribun Jean-pierre Pernaut à 20h00 au JT.
Et comme ça toute la journée, et pendant plusieurs jours d'affilée. Et des jeunes et moins jeunes cheminots, l'accueil et autres salarié-e-s des gares, insulté-e-s sur leur lieu de travail, alors que certain-e-s évidemment, ne pouvaient même pas faire grève (problème financiers, contrat précaire, apprentissage, etc).

Souvenez vous de ces lancinants "La France en a Marre, les-gens-en-ont RAS-LE-BOL".

En psychanalyse, c'est ce qu'on appelle de l'introjection : même lorsque ce n'est pas le cas à la base, vous finissez par devenir "anti-gréviste" à force d'entendre que vous en "avez marre", que "c'est inadmissible".

Et puis tout les jours, la même rengaine pendant plusieurs semaines : "Ah je vais être en retard à mon boulot, MOI qui ai choisi de bosser aujourd'hui, MOI qui ne suis pas un paresseux, MOI qui travaille plus pour gagner plus (la fable sarkozienne fait encore des émules). Tout ça à cause de ces privilégiés de la SNCF-RATP, en plus".

Privilégié-e-s ? Les cheminots appelé-e-s en pleine nuit pour aller assurer les voies pour que les citoyens sarko-stakhanovistes puissent aller joyeusement se fracasser la vie sur le marché du travail, le titre de transport validé entre les dents, et la fleur au fusil tout les matins.

Privilégié-e-s ? Les esclaves du rail qui crèvent écrasé-e-s entre deux wagons à l'aube, parce que les règles de sécurité n'ont pas été observées, parce que pas assez de moyens pour ne pas risquer sa vie tout les jours ?

"Privilégié-e-s" ceux et celles qui n'ont pas de vie sociale car toujours en déplacement, et qui ont signés pour en suer jusqu'à devenir trop vieux et trop vieilles pour être exploités ?

C'est étrange pourtant, aucun enfant à qui l'on demande "qu'est-ce que tu veux faire plus tard ?" ne répond "Cheminot". A part peut être ... leurs enfants ? Pas si sur.

Evidemment, leur sort n'a inquiété personne tant que les cheminots restaient les seul-e-s concerné-e-s par la fameuse "réforme des régimes spéciaux". Finalement, pas si spéciaux que ça.

"Souviens toi, souviens toi de la grève des cheminots, camarade usager".

Notre tour est venu. A tous et à toutes. La nouvelle réforme concerne désormais tout le monde. "Vous ne vivrez pas votre retraite". Voilà, en substance, le message que doit assimiler une large partie la société. Pour la majorité, c'est au moins "Vous ne la vivrez pas longtemps"...


Travailler sans vivre...


Pendant les premières manifestations contre le projet de loi des retraites, on a parfois entendu le dérisoire et folklorique slogan "la retraite à 20 ans, pour baiser il faut du temps !".

On a aussi pu entendre des choses telles que "Qu'est-ce que j'en ai à foutre moi de la retraite ? De toute façon je ne la toucherai jamais". Ou alors "Je serai sans doutes déjà grabataire. Et encore, si je crève pas à un mois de mon pot de départ". D'autres ont peut être été tenté-e-s de se dire "encore un débat foireux où la gauche caviar va tenter de se faire une jeunesse -relevez le paradoxe-, sur fond de raquette électoral." Et la première réaction qu'on peut avoir en entendant parler "l'opposition", c'est souvent d'éprouver un profond rejet. On se demande ce que ces gens peuvent bien savoir de la pénibilité du travail dans leurs tours d'ivoire ? Que savent ils des mutilé-e-s, et des mort-e-s du travail ?" Des TMS (troubles musculo-squeletiques) : premières maladies professionnelles, 40 000 nouveaux cas chaque année en France.

En fait, la faiblesse des oppositions parlementaire est si flagrante, et ses sorties si médiocres qu'elles semblent participer au sentiment de résignation de la population. La raison en est bien simple : elles n'ont pas beaucoup d'alternatives à offrir, sur ces questions comme sur les autres. Elles semblent au final s'ajouter au reste. Dans tout les cas, une majorité semble s'accorder à penser qu'elle n'aura pas de retraite, ou une bien maigre.

Et c'est là tout le problème, du point de vue idéologique. Car c'est d'abord une bataille idéologique que mène aujourd'hui le gouvernement, et depuis le début. Une large partie de la population semble avoir parfaitement intégrée l'idée résignée qu'elle n'aura pas de retraite. "Que c'est dans l'air du temps. Que c'est ainsi". Preuve que la "pédagogie gouvernementale" fonctionne.

Pour laquelle a d'ailleurs été investi beaucoup d'argent : "communication gouvernementale" à travers des "publicités" dans tout les grands journaux (à l'exception de quelques uns qui l'ont refusé), "opérations de com" sous des noms tels que "tout comprendre sur la réforme des retraites 2010" et tout un lot d'illustrations à message (dont l'essentiel se résume à de la vulgarisation et des questions de rhétorique). Enfin, un site internet "retraites2010.fr" pour gérer tout ça. Au total, pas moins de 7 Millions d'euros investis dans cette campagne de propagande.

Décidément, de l'argent, il y en a...

En autre chose, l'un des grands mensonges de le propagande libérale consiste à nous faire croire que les retraites sont "le produit du travail de chacun" afin de toujours pousser les gens à travailler plus. Or, il n'y aucun rapport entre le fruit du travail et le niveau des retraites. Ce serait vrai si nous mettions chaque mois de coté une somme d'argent que la banque garderait dans un "tiroir". En bref, le système de l'épargne. Or, ce n'est pas le cas. Le principe de la retraite par répartition, telle qu'elle a existé en france et dans d'autres pays jusqu'à aujourd'hui, consiste précisément à ce que les retraites soient financées par les taxes sur le capital et les cotisations sociales des salarié-e-s. Parce qu'un tel système est plus égalitaire. Il tend à recouvrir l'intérêt général.

Celà signifie donc que les "prestations" des actuels retraités sont financées par les salaires actuels. C'est aussi pour celà que la lutte pour l'augmentation des salaires est si "mal vécue" par le patronat et plus généralement la bourgeoisie, qui ne veulent pas payer ni pour les salarié-e-s, ni pour la majorité des retraité-e-s : qui sont pour eux une même classe antagoniste dont il faut extraire toujours plus de profits. Ce qui signifie aussi que là où il y a de l'argent pour les retraites, il y en a pour les salarié-e-s, les chômeurs et les chômeuses : en bref, pour tout le monde.

Ce qui signifie aussi en définitive que même si le système par répartition tel qu'il existe tend à être plus égalitaire que tout autre système de retraite en l'état actuel, il ne remet pas non plus en cause le système capitaliste qui fera que toujours la classe dominante tentera de se servir de ses forces, et notamment de l'Etat pour faire pencher la balance de son coté. Et c'est d'ailleurs le gouvernement socialiste Jospin, qui, il y a plus de 10 ans, lançait déjà une première offensive contre la retraite par répartition avec ses propositions de "fonds épargne-retraite" pour palier une répartition déjà amputée. "Mi-figue, Mi-raisin". Mais au prétexte de "trouver un compromis", ces mesures du précédent gouvernement socialiste ont en réalité ouvert la voix à l'actuelle réforme.

En temps de crise économique, on sait ce que ces fonds de pension et leurs "investissement à court terme" deviennent lorsque la bourse s'effondre. Comme les subprimes ( voir crise des subprimes) aux Etats-Unis : en laissant des milliers de personnes sur le carreau, ruinées et pour beaucoup contraintes de dilapider leurs seuls biens pour survivre (maison, voiture, meubles, etc).

Celà pose également question quant aux arguments avancés par les économistes, qui prétendent souvent que la retraite par capitalisation (Epargne individuelle, "tiroir à la banque") serait préférable car il n'y aura peut être "pas assez d'argent" pour financer les retraites à l'avenir.

Or, rien n'est moins faux. Selon cette hypothèse, la retraite par répartition n'est valable que si il y a "assez d'argent pour financer les retraites". Mais en cas de crise économique majeure, et si il n'y a donc "plus assez d'argent" : Que se passera t'il lorsque chacun viendra récupérer son "tiroir" dans les banques ? Elles seront contraintes de revendre les actions (puisque les "tiroirs", épargne-retraites, de chacun sont pour elles autant d'investissements, souvent prétendus "sans risques" -comme les subprimes-). Mais en cas de crise, plus d'acheteurs. Donc plus de retraites.

Conclusion : Si il y a"assez d'argent", il faut garder le système par répartition.
Et si il n'y a pas assez d'argent, il vaut mieux choisir ... le système par répartition.

Dans tout les cas, le système économique imposera toujours de nier l'évidence.
C'est pourquoi outre cette question des retraites, qui est liée, on le voit, à celle du salariat, c'est le capitalisme et l'Etat qu'il faut abattre.

... Et mourir avant de vieillir.

On entend souvent les partisans du "travail jusqu'à ce que mort s'en suive" nous raconter que les retraité-e-s sont de plus en plus nombreux/ses. En autre énormité, on doit en déduire qu'il faut "travailler plus longtemps". Mais si le passage de la population paysanne de 15 millions de personnes en 1945 en france à 1,5 million aujourd'hui pour une population totale ayant doublée (30 Millions en 45, plus de 60 Millions aujourd'hui) n'a pas aboutit à une famine totale en 2010 : c'est parce que les gains de productivité le permettent. Parce que le travail, et notamment en france, est plus productif qu'auparavant. Là aussi, l'argument économiste du gouvernement est donc bancal.

On entend aussi dire que l'espérance de vie s'allonge depuis 1945. Mais si elle s'est allongée, c'est notamment parce que les conditions de travail ont été changées, et que l'accès aux soins s'est un peu "démocratisé". Mais on oublie aussi de préciser que ces "aquis" ont surtout été obtenus au fil des luttes sociales : et qu'ils sont aujourd'hui remis en cause. Et notamment l'accès aux soins, avec les fermetures de certains centres hospitaliers, et de plusieurs centres IVG (Interruption Volontaire de Grossèsse), seuls véritables garants d'un droit à l'avortement libre et gratuit.

En effet, l'espérance de vie s'est sensiblement allongée.
Vous aviez cru pouvoir en profiter ? Grossière erreur, là aussi, la réforme vient vous "sauvez". Elle vient vous arracher aux bras de mère paresse. Oui mais : Pas pour trop longtemps non plus. Pourquoi ? "Parce que tu es poussière, tu retournera poussière".

Car en effet, et malgré "l'amélioration des conditions de travail" : tout les jours, le travail tue. Directement ou indirectement, le travail va tuer ou mutiler une bonne partie des lecteurs et lectrices de ces lignes. En 2003, rien qu'en France il y a eu 759 980 accidents du travail dont 48 874 avec incapacité permanente et 661 décès (chiffres de la CNAM). Ces statistiques ne prennent évidemment pas en compte les cancers, les accidents cardiaques et les ruptures d'anévrisme sur le lieu de travail, liés au stress du travail souvent précaire ou à la mauvaise "hygiène de vie" qui y correspond, mais aussi les empoisonnements à l'amiante (100 000 décès estimés d'ici 2025, à partir de 1996, selon l'Inserm), les empoisonnements au plomb et autres intoxications mortelles, mais aussi avant elles, autre maladie du travail : la silicose (100.000 à 150.000 morts en France depuis 1945 selon des estimations patronales qui, pour des raisons de définition juridique, ne peuvent être que très inférieures à la réalité www.silicose.fr). Sans compter non plus les accidenté-e-s de la route : 4262 morts en 2009, et 4000 autres mutilés à vie ("blessés avec séquelles graves"). Car combien se rendaient au travail ? Combien en revenaient ? Qui a vraiment besoin d'une voiture sinon pour chercher, trouver ou entretenir un travail ? Mais aussi les maladies psychiatriques liées au stress, à la dépression, l'isolement, l'anomie liées au travail. Plus généralement, le travail abime le corps, dégrade, fatigue, abrutit et réduit l'espérance de vie de ceux et celles qui y survivent.

Et comme d'autres l'ont déjà trop dit : on est pas "le pays champion des consommateurs d'antidépresseurs" et en même temps de "l'une des mains d'oeuvre les plus productives et qualifiées au monde" par hasard. Et donc évidemment, toutes ces statistiques ignorent enfin les suicidé-e-s pour des raisons liées directement au travail : estimés à 300 à 400 morts chaque année. Soit un par jour minimum. Et les "missions d'écoute", cellules psychologiques et autres "dispositifs préventifs" n'y pourront pas grand chose.

Tant que le travail restera ce qu'il est : du "travail mort", selon la vieille expression. Parce que tant qu'il y aura des patrons, il y aura des salarié-e-s payé-e-s toujours à un prix à peu près équivalent au coût de production, et la pénibilité du travail augmente toujours à mesure que le salaire baisse. Tout ça pour quoi ? Pour que la plus-value que les capitalistes extirpent du travail continue d'augmenter comme elle n'a cessé d'augmenter depuis 30 ans. Comme ça n'a en réalité jamais cessé depuis la naissance du capitalisme industriel. Les fameux "gains de productivité". Et c'est encore avec cette plus-value, fruit aussi du labeur de tout-e-s ces mort-e-s et ces mutilé-e-s, que la réforme des retraites va être financée.

Et d'abord parce que 1/4 des décès en france surviennent avant 65 ans (source : Insee). Les exemples dans l'entourage de la plupart des gens foisonnent. 1/4, ça fait quand même beaucoup. Alors autant dire tout de suite que même si la retraite était avancée à 55 ans pour tout le monde, nous serions loin du compte... A moins peut être d'indemniser les morts ?

Travailler ? Pourquoi faire ?
Autant dire que la question s'adressera de toute manière à des gens qui n'ont plus le choix des armes. Même lorsque l'envie nous ronge : refuser le travail équivaut très vite à un suicide social pour l'immense majorité. Ce pour quoi nous devrions nous battre, c'est d'abord ce qu'on nous vole partout : du temps.

Pas en complément du "temps travaillé", mais contre lui. Contre ce temps partout imposé du travail comme monnaie d'échange de la survie. Et pour celà, d'une manière ou d'une autre, il faut s'organiser. Il faut lutter.

Le syndicalisme, qui se fixait comme but à l'origine d'abolir le salariat (et la réduction drastique du temps de travail) en est aujourd'hui quasiment réduit (à quelque notables exceptions) à un syndicalisme de co-gestion, de propositions, de compromis et donc de défaite pour la classe ouvrière dans l'histoire.

Car la lutte sociale n'est pas une fin en soi, mais un moyen vers l'émancipation. Ou alors elle est vaine.

Lorsqu'on sait que l'organisation actuelle du travail repose sur le principe du parasitage, dont l'existence même des patrons, propriétaires, banquiers, actionnaires, héritiers et rentiers dépend :

Y a t'il une seule bonne raison, sans hypocrisie aucune, pour préférer le travail à n'importe quelle autre prestation sociale ou source de revenue ? Travailler, même 6 mois par an, n'est pas un choix, même lorsqu'on vit dans un squat ou une ferme autogérée : c'est une obligation de survie à court ou moyen terme pour l'immense majorité.

Alors pourquoi travailler plus que nécessaire ? Si on veut nous faire payer "nos retraites" en plus de payer celles des riches, la première réponse collective doit être l'arrêt de travail. La grève.
La grève générale même : c'est la seule riposte conséquente qui a été trouvée contre cette réforme en Europe, celle de la Grèce. Parce qu'elle est le seul moyen pour s'opposer massivement et directement au gouvernement. Et parce qu'elle permet de faire le lien avec tout le reste. Et notamment le travail et son idéologie.

"Travail, consomme, vote et crève".

Car il faut s'en convaincre : ce qui a rendu possible l'ascension de la clique Sarkozienne au pouvoir est une longue entreprise de sape idéologique jusque dans l'esprit même des "contestataires potentiels", et ne visant pas à autre chose que le "rétablissement de la valeur travail", et l'affirmation éhontée du mensonge selon lequel "le travail libère l'individu". Si ce gouvernement n'avait pas été élu, un autre se serait chargé du sale boulot à sa place. Si il a réussi à obtenir le soutien de la grande et moyenne bourgeoisie : c'est parce qu'il est le plus qualifié pour défendre ses intérêts. Le travail comme "valeur d'émancipation" et comme "éthique" des rapports humains : deux axiomes parmi d'autres de la propagande néo-libérale depuis le début des années 1980, que la plupart ont continuer d'ignorer jusqu'à ce qu'elle redevienne l'idéologie dominante. Le travail ne libère pas l'individu. Et il ne peut être libre qu'à la condition qu'il soit le fait de la libre association, sur des bases égalitaires, et que tout les fruits du labeur reviennent à l'individu directement ou lui profitent comme bien commun le cas échéant. Car il ne peut y avoir de réelle "réparation" ou de "justice sociale" dans un système où on est obligé de trimer pour survivre jusqu'à espérer toucher une retraite misérable, si on vit assez longtemps, et toujours inférieure au salaire correspondant.

Et le résultat de cette propagande, c'est donc le retour triomphal de l'éthique du travail, et la consécration qu'a finit par en faire la gauche d'aujourd'hui, en allant jusqu'à flatter cet "esprit de discipline de l'ouvrier", ou plus précisément sa soumission à l'ordre hiérarchique de l'actuelle division sociale du travail, produit de l'industrie. Tout ça pour nous ressortir encore les vieilles recettes keynesiennes recyclées sur l'Etat providence, la taxation du capital, comme si ça allait suffire. Lorsque celà n'avait pas suffit après le krach de 1929 à New York. Afin de limiter la casse : La retraite par répartition et la taxation du capital sont nécessaires dans l'immédiat, mais ne suffiront pas. Parce que tant que nous resterons administré-e-s, nous n'aurons jamais le mot de la fin sur les décisions. Tant qu'il ne sera pas question de tout mettre en commun et d'autogestion généralisée: il n'y aura pas de véritable répartition. Et la gauche politique et syndicale s'entête à ce sujet jusqu'à en oublier la vieille opposition travail-capital pour la réduire à un simple troque entre "entrepreneurs et partenaires sociaux" (entendez "capitalistes et socio-libéraux") : c'est à dire en oubliant que le capital, c'est du travail. Du travail mort, certes, mais du travail quand même. Car en effet, c'est bien cette propagande là qui achève les mémoires, à propos de cette vérité fort simple et pourtant trop souvent occultée :

Dans l'enfer capitaliste et étatique, chaque jour travaillé est un pas de plus vers notre propre mort.

Okapi,

pour le Cri Du Dodo


voir aussi :

- La série documentaire "la mise à mort du travail" :
http://programmes.france3.fr/mise-a-mort-du-travail/
- Le documentaire "Attention danger travail" de Pierre Carles.
- Le dossier d'analyse "Le Hold-up tranquille" du Site FAKIR, sur la réforme des retraites.
- "Un pas de plus vers la privatisation" article paru dans "Infos et analyses libertaires",
journal de la C.G.A.
- Entretien avec Bernard Friot à propos de son livre "L'enjeu des retraites" publié dans le journal de l'Alternative Libertaire.