[Le principe de l'assemblée, dans sa diversité, sa complexité, et malgré les attaques qui ont pu lui être portées (voir le rejet total par certains camarades) reste selon toutes vraisemblances une pratique incontournable d'auto-organisation à laquelle on revient régulièrement, nécessairement. Il peut donc être utile de la penser, de la questionner, et d'interroger son histoire dans la lutte contre le Capital et l'Etat. Elle pourrait être regardée moins en termes de mouvement que d'espace (souvent éphémère mais pas toujours), où l'on se rencontre, où l'on se retrouve. Moins un lieu où l'on fétichise la décision et le vote qu'un espace de rencontre, de discussion, de critique, d'analyse mais aussi d'initiative, d'action collective, de mise en pratique et de coordination. Pas forcément non plus un lieu de "palabre", mais aussi le moment où se découvrent les complicités, et l'occasion de donner jour à des intelligences collectives où l'écrit et l'action, entre autres, ne sont plus pensés uniquement comme des questions individuelles ou ne répondant qu'à des dynamiques de petits groupes. C'est aussi, dans la plupart des cas, et encore aujourd'hui d'Athènes à Turin, de Barcelone à Oakland et de Tokyo à Moscou le meilleur moyen qu'ont trouvé les prolétaires en lutte et les révolutionnaires pour rejeter toutes médiations politiques ou syndicales. Nous commençons ce dossier sur la pratique assembléiste dans une perspective anarchiste ou anti-autoritaire, avec ce texte signé par
Vincente Kast et
Adriana Valiadis et publié dans la revue
Os Cangaceiros, N.2 en Novembre 1985]
"L'assemblée est notre arme fondamentale"
les émeutiers de Forjas Mavens, printemps 1976
Depuis la fin de la guerre civile, une idée devenue pratique fait son chemin
en Espagne. Dès les premières grèves sauvages sous le franquisme, les prolétaires
espagnols se sont organisés en assemblée. Si l’on peut en trouver
l’origine dans une tradition libertaire chère aux Espagnols, elle ne peut expliquer
à elle seule l’émergence de la pratique assembléiste dans le mouvement social
de ce pays. Les conditions qui ont présidé à l’écrasement du mouvement
révolutionnaire espagnol ont contraint les prolétaires à se donner des formes de
lutte spécifiques, à défendre l’idée de l’assemblée comme seule organisation possible
de la communication, sans laquelle ils ne pouvaient agir.
C’est essentiellement le travail qui rattache les pauvres à la société civile, mais
sous Franco, c’était brutalement, sans intermédiaires, sans marchandages ni négociateurs.
C’est la mise au travail forcé qu’il avait imposé à toute l’Espagne.
Comme
l’affirment encore aujourd’hui de nombreux espagnols : « il fallait travailler, mais
pour rien ». Peu de choses ont filtré de cette époque, l’État franquiste imposant le
silence sur l’insubordination quasi-permanente, en même temps qu’il cherchait à
imposer la terreur. À différentes reprises, ce fut la guerre ouverte contre l’État, l’armée
dut s’emparer des rues, pour éviter que la population elle-même ne s’en empare.
La masse des travailleurs était soumise à des conditions d’exploitation
draconiennes, et le mépris avec lequel elle était traitée, était sans limites.
En Espagne, plus que nulle part ailleurs, les formes de représentativité politique
ont été mises à mal. Plus qu’ailleurs, ce qui parle et se meut au nom de la légalité
a trouvé peu d’écho chez les pauvres. Des leçons tirées d’un affrontement direct
et permanent pendant près de 40 ans contre l’État, les prolétaires espagnols
en ont déduit une nécessité subjective de communiquer entre eux sans intermédiaires.
La pratique assembléiste de réunion, discussion, de décision au moment
d’une grève constitue tout le contraire du recours systématique à la médiation
syndicale, et en cela contient une richesse spécifique aux luttes sociales en Espagne.
L’assemblée est un « instrument de lutte, un extraordinaire forum d’agitation,
l’assemblée rend possible la participation active de tous les travailleurs dans les
décisions » ( Accion comunista, avril 65).
Ailleurs dans le monde, ou du moins en Europe, il y a eu de nombreuses grèves
sauvages, avec assemblées ou conseils d’usine, mais jamais la communication ne
s’est organisée systématiquement de manière clandestine et autonome comme
dans les assemblées espagnoles.
Lorsqu’un conflit éclate, les prolétaires espagnols ont toujours dans la tête l’idée
de l’assemblée. Ceci se traduit encore aujourd’hui par une défiance historique à
l’encontre du syndicalisme. On n’entendra jamais un ouvrier espagnol dire,
comme on a pu l’entendre en Angleterre de la bouche de gens pourtant très combatifs
: « Le syndicat, c’est nous ! », «Tout le pouvoir aux assemblées », disait-on en
76/77 dans les multiples grèves assembléistes qui éclataient dans toute l’Espagne.
En assemblée, tout ce qui est dit et fait appartient au public. Le public, c’est
d’abord le public au moment où il se constitue, c’est de sa propre réflexion qu’il
puise sa force et son besoin de s’étendre en se généralisant à la société toute entière.
De 76 à 78, les assemblées se sont généralisées en Espagne, elles se sont formées
pour imposer un rapport de force au reste de la société.
Tout au long des années 30, la bourgeoisie en Espagne en est encore à essayer
de faire sa propre révolution. Trois obstacles s’opposent au projet
de la bourgeoisie de créer un État démocratique suffisamment fort : la
concurrence à laquelle se livrent entre elles les différentes bourgeoisies régionales,
l’Espagne conservatrice et latifundiaire accrochée à ses privilèges traditionnels
et hostile à toute ouverture sur le marché mondial, et un mouvement
ouvrier particulièrement rebelle. La république espagnole est faible. L’État espagnol
en est encore à espérer concentrer sur lui l’intérêt général. Les différentes
bourgeoisies libérales s’attaquent en ordre dispersé à l’Espagne traditionnelle
dont les intérêts sont depuis toujours protégés par l’armée. Pour elles, une seule
solution : faire participer les pauvres à la défense de ses propres intérêts — c’est
ce à quoi elles vont s’atteler, recevant l’appui attendu des bureaucraties syndicales.
La CNT, dès 37 prônera la « syndicalisation de la production », c’est-à-dire
la cogestion de la république bourgeoise. Le mot d’ordre CNTiste « d’abord gagner
la guerre, la révolution ensuite », sera repris immédiatement par la bourgeoisie
qui y retrouve tout son intérêt : faire taire la révolution, puis lier le sort des pauvres
à son propre sort.
Avec la victoire du franquisme, le projet démocratique de la bourgeoisie libérale
de reconnaître aux pauvres une participation à la société civile, va être repoussé
pour plusieurs décennies. La société civile et l’État se retrouveront confondus
dans la bureaucratie phalangiste. Sous Franco, il n’est reconnu aux travailleurs aucune
existence civile. Ils n’ont aucun droit, seulement le devoir de travailler.
L’État franquiste survivra grâce à un apport massif de capitaux venus des démocraties
occidentales. En échange de ces investissements, il garantissait l’ordre, la
stabilité sociale qu’il se chargeait d’assurer par la force militaire. C’est la fraction
technocratique, moderniste de l’État, les membres de l’Opus Dei qui, dès 1957,
furent les maîtres d’oeuvre du développement industriel. Ils s’opposèrent par leur
projet de modernisation du Capital aux réflexes d’autarcie encore en vigueur
dans la classe politique, mais s’accommoderont très bien au régime franquiste
puisqu’ils avaient besoin d’un État fort. Ainsi, c’est avec la plus grande rigueur
qu’ils imposèrent leur plan de développement. Une loi contre la grève fut votée,
le plafond des salaires maintenu très bas (déjà en 39, l’État franquiste avait ramené
les salaires à ceux de 36), afin de faire de l’Espagne un véritable paradis pour les
capitaux, en attirer toujours plus.
Dans les années 50 et 60, les luttes ouvrières prennent nécessairement la tournure
d’un conflit social ouvert contre l’État. Sous le franquisme, n’existe pas
la médiation du Droit entre le travailleur et la société civile.
L’État concentre
sur lui l’activité politique et donc syndicale. Ces conditions vont elles-mêmes
déterminer une forme d’organisation des travailleurs spécifique du mouvement
social espagnol.
Tout l’arsenal juridique dont se munissent les démocraties occidentales, et qui va
aboutir à l’intégration du mouvement ouvrier à la société civile, ne se développe
pas dans l’Espagne fasciste. Sous Franco, il n’existe ni droit au travail, ni droit
d’association pour les ouvriers, ni droit de grève, et ceux dont le rôle est habituellement
de revendiquer et défendre ces droits, les syndicats, n’ont eux-mêmes pas le droit d’exister. La grève est illégale, considérée comme acte de guerre contre
la société civile et réprimée comme tel. Les travailleurs quand ils s’organisent
pour une grève, sont traités par l’État en ennemis intérieurs auxquels il faut appliquer
les lois de la guerre.
Fin 61 par exemple, des ouvriers occupent les ateliers du chemin de fer à Beassain
au Pays Basque. Deux jours après, la Guardia Civile intervient pour les faire
évacuer et tire. Toute la population de la ville se soulève alors. Une importante
vague de grève comme il n’y en avait pas eu depuis 25 ans envahit le pays, principalement
dans les chantiers navals de Bilbao et dans les Asturies. De nombreuses
augmentations de salaire sont concédées. Par contre, l’état d’exception est
déclaré dans le Nord du pays, et des « droits spéciaux » accordés aux flics. Après
de nombreuses arrestations, une loi interdit notamment de changer de domicile
pendant deux ans.
Comme la grève est illégale, l’ouvrier qui se met en grève est hors-la-loi. Il est
considéré comme un bandit. Nombreuses sont les assemblées de grévistes qui
doivent se tenir clandestinement dans les forêts, ou la montagne.
Les travailleurs ne se soucient pas du Droit, ils n’ont rien à en attendre. Alors que
la grève est illégale, ils y ont sans cesse recours, massivement. En 58, par exemple,
après le licenciement de six mineurs dans les Asturies pour cause de « production
insuffisante », une vague de grèves va s’étendre à tous les centres industriels du
pays. 25 000 ouvriers à Barcelone (SEAT, Pegaso, Hispano Olivetti...), arrêtent le
travail, sans aucune revendication, hormis la solidarité avec les autres grévistes.
Les travailleurs, n’ont pas d’autre choix à l’époque que le syndicalisme d’État ou
la grève sauvage. Ils ne disposent d’aucune représentativité politique, puisque les
syndicats ouvriers sont interdits. La seule forme de représentation syndicale est
concentrée dans le CNS, syndicat vertical corporatiste créé en 40 par Franco dans
le cadre de la « charte du travail », établie sur le même modèle que celle de l’Italie
mussolinienne : «À travers le syndicat, c’est l’État qui prendra soin de savoir si
les conditions économiques et de tous ordres dans lesquelles s’effectuent le travail, sont
celles qui également correspondent à l’ouvrier. » (Article 3 de la charte du travail)
Les quelques tentatives franquistes de lâcher un peu de lest dans la législation du
travail et qui évidemment succèdent à des périodes de grèves et d’agitation sociale,
seront systématiquement boycottées par les ouvriers qui se refusent à envoyer
leurs délégués pieds et poings liés servir de caution à l’État. Ainsi, toutes
les réformes qui sont tentées pour intégrer les travailleurs à l’activité syndicale
du CNS échouent. Ils n’iront pas participer aux « élections libres des délégués d’entreprise
»(loi de 57), et refuseront la proposition qui leur est faite de prendre part
aux discussions sur les « conventions collectives » (selon la loi de 58). Seuls les bureaucrates
syndicaux des CCOO, USO, etc., contraints à l’époque à la clandestinité
politique tenteront afin d’avoir quelques pouvoirs, de s’infiltrer par le biais
de ces lois dans le syndicat vertical franquiste. La lutte politique que mènent
dans ce but les syndicalistes, se développe déjà à côté de la lutte réelle que
mènent les prolétaires en s’affrontant directement avec l’État.
Sous le franquisme, tout le processus d’intégration du mouvement ouvrier à la
société civile se trouve bloqué.
Les grèves, pendant toute cette période ne sont jamais lancées à l’initiative d’un
organe politique ou syndical. Les revendications, lorsqu’il y en a, portent toujours
sur le salaire, les conditions de travail, la réintégration d’un ouvrier licencié. Elles
ne se fixent jamais un but politique. Cette activité est délibérément laissée à d’autres,
et toute agitation politique est systématiquement boycottée
(1).
Il n’était pas question de se faire connaître, les leaders déclarés étant immédiatement
pris en otage et envoyés en prison, ou bien même assassinés. Il ne fallait laisser
aucune prise supplémentaire à la répression. Toutes les organisations
politiques étaient dans la clandestinité politique ; les travailleurs eux, durent faire
l’expérience de la clandestinité sociale.
L’État n’a pas de représentants chez les pauvres. Un vide est ainsi créé entre les
travailleurs et la société civile. C’est de ce vide que naissent les assemblées : les
travailleurs définissent par eux-mêmes les conditions de la communication. Ils ne
se donnent pas d’autre médiation que celle du libre bavardage.
En assemblée l’insatisfaction des prolétaires devient elle-même indivisible dans
l’affrontement constant qu’ils mènent contre l’État. Par exemple, en 65, dans les
Asturies, le commissariat de Mieres est attaqué au moment d’une grève. 8 000
mineurs avaient convergé de diverses localités de la région pour tenir une assemblée
dans la maison des syndicats. La police qui avait ordre d’empêcher tout
rassemblement arrête 15 personnes.
Le commissariat est pris d’assaut, mis à sac
et les 15 mineurs libérés.
À la fin des 60’ et pendant les 70’, le principe assembléiste de décision collective
et sans intermédiaire va se développer et se retrouver au centre de tous les
conflits importants.
En 67, à Echevarri (Pays Basque), 560 ouvriers des Laminacion de Bandas en Frio
(sidérurgie), se mettent en grève contre la diminution des bonus et occupent
l’usine. Des assemblées se tiennent quotidiennement pendant 163 jours avec l’ensemble
de la population. La Guardia Civile finit par évacuer l’usine après de violentes
bagarres. Des grèves de solidarité avec assemblées éclatent dans toute
l’Espagne (dans la métallurgie, les transports, les mines, le textile), pour des augmentations de salaire ou les conditions de travail. Le 27 janvier 67, 30 000 personnes affrontent la police au cours d’une manifestation près d’Echevarri et des ouvriers arrêtés seront même libérés par la foule qui parviendra à désarmer les flics. Début 72, à El Ferrol (Galice), une grève est déclenchée dans les chantiers navals en refus de faire des heures supplémentaires. Six ouvriers sont licenciés. De violentes bagarres s’ensuivent, qui mettent les flics à nouveau en prise à toute la population. Les affrontements s’étendent jusque dans les usines du port, et prennent
une dimension telle que la police est forcée de se retirer dans les casernes. Le 10
mars, les émeutiers sont maîtres de la ville pendant quelques heures. L’armée et
trois navires de guerre doivent contourner la ville et bloquer l’entrée du port,
craignant que les ouvriers ne s’emparent des armes présentes dans tous les arsenaux.
Après qu’ils aient été vaincus, l’état d’exception fut déclaré et les ouvriers
placés sous statut militaire, la marine faisant régner l’ordre dans les chantiers
ainsi que dans la ville.
La succession des conflits dans les 60’ et 70’ montre à quel
point la législation contre la grève est annihilée dans les
faits. Si la grève reste toujours un délit et est souvent réprimée
durement, le recours massif et imprévisible qui en
est fait, n’a jamais pu être empêché.
C’est pourquoi, le 22 mai 1975, la réalité faisant pression,
un décret de loi légitimise le recours à la grève, afin de tenter
de mieux réguler le déroulement des conflits. La grève
cesse d’être un « délit en soi » à condition qu’elle ne dépasse
pas les limites de l’entreprise (afin d’éviter le débordement
dans la rue et le contact avec le reste de la population), et
qu’elle ne soit pas une grève de solidarité.
Ce processus de
« libéralisation » formelle entamé par Franco juste avant sa
mort ne pouvait qu’avaliser une liberté qui se prenait dans
les faits et bien plus largement.
Au cours des 70’, l’indiscipline des ouvriers allait
toujours en s’accroissant. Les licenciements et les
sanctions étaient refusés agressivement et soulevaient
d’interminables grèves de solidarité. Les augmentations
de prix provoquaient des mobilisations
importantes. Tous ces mouvements étaient réprimés violemment.
La répression, lorsqu’elle s’abattait quelque
part, entraînait soit une résistance accrue qui s’étendait à
toute une population, soit elle suscitait la colère ailleurs et
le mouvement s’amplifiait. L’assemblée qui se formait
dans chaque conflit était l’élément négatif qui activait la
communication, et sur laquelle l’État n’avait aucun
contrôle. De cette agitation quasi-permanente, le Capital
espagnol commençait sérieusement à pâtir. Le nombre
considérable d’heures perdues dans les innombrables
grèves mettait à mal de nombreuses entreprises. La chute
des investissements sur le marché national fut brutale, surtout
dans l’industrie. Les franquistes, sous la pression des
technocrates bourgeois, s’ils voulaient que le pays redevienne
compétitif sur le marché mondial devaient avant
tout anéantir la résistance au travail qui se manifestait à
travers la multitude de grèves, sabotages, absentéisme qui
avaient émaillé les deux dernières décennies. L’État espagnol
ne pouvait durablement s’imposer par la force. À partir
de 76, il chercha à ce que les pauvres aient une
participation démocratique à la société civile. Il avança
l’idée que dorénavant, on pourrait « traiter » avec lui.
Tout cela avait été depuis longtemps préparé en coulisse.
La disparition de Franco tomba à pic, puisque la partie
moderniste de l’État put faire coïncider spectaculairement
la mort de cette vieille ordure avec le processus de « libéralisation » du régime.
En 76, la grève était quasi-générale en Espagne. Partout des conflits éclataient,
partout des assemblées se tenaient. Les pauvres organisés en assemblée se sont engouffrés
dans la brèche laissée par l’État qui voulait se démocratiser, et ils ont
vite vu de quoi il en retournait. Les mesures de blocage des salaires, les licenciements,
l’armée toujours sur le pied de guerre, les prisons qui ne désemplissent
pas... la réalité de la « libéralisation démocratique » est vite apparue.
En s’organisant
en assemblée, ils mirent cette réalité en échec. L’État n’avait toujours pas
d’autre recours que de réprimer violemment l’offensive qui s’affirmait dans la
rue et les usines.
La période de 76 à 78, couramment appelée «mouvement des assemblées », marque
la généralisation à toute l’Espagne de la pratique assembléiste – principalement
à partir de conflits industriels, mais aussi étendue à l’ensemble des conflits sociaux,
qui prirent souvent dans cette période des formes de guerre ouverte contre
l’État, et dans laquelle travailleurs, jeunes ou chômeurs-à-vie se sont retrouvés.
Le coup d’envoi d’une grande vague de grèves est donné début janvier 76 par la
grève qui se déclenche au métro de Madrid. Les dépôts sont occupés mais la
troupe expulse. Des assemblées se tiennent dans des églises. La grève s’étend à
tous les secteurs de la ville (l’imprimerie, l’enseignement, la santé, la banque...).
À Madrid, il y a plus de 100 000 grévistes. Puis le mouvement s’étend à Barcelone,
les Asturies, Valence, l’usine Renault de Valladolid. Des affrontements de
rue ont lieu un peu partout. Les travailleurs du métro de Madrid sont forcés de
reprendre le travail, placés sous statut militaire. À Valladolid, les ouvriers de Renault
sont à deux reprises lock-outés. De nombreuses arrestations eurent lieu, et
au total, 1 300 ouvriers furent licenciés.
Au départ, il n’y avait eu aucune consigne générale de grève, mais elle s’est répandue
comme une traînée de poudre. Là où les travailleurs furent forcés de reprendre,
ailleurs, d’autres grèves se déclenchèrent.
En septembre, la grève est générale à Tenerife, au Pays Basque, elle est générale
dans les postes, dans la métallurgie à Sabadell, dans le bâtiment à Leon, et aussi
à la Coruna, Burgos, Valladolid. Les grévistes à l’issue des assemblées, s’affrontent
rapidement et souvent très durement aux flics. Au Pays Basque, la mort d’un
travailleur met 600 000 personnes en grève qui ignorent l’appel à la reprise du travail
des syndicats. En Vizcaya (province du Pays Basque), il est créé une coordination
unitaire des assemblées d’usine composée de délégués révocables,
représentant 12 000 personnes.
D’un mouvement qui connut une telle ampleur et qui trouvait principalement
ses origines dans des luttes d’ouvriers, il n’en sortit jamais un programme autogestionnaire
du type de celui des conseils d’usines en Italie. La préoccupation
centrale de ces assemblées se concentrait essentiellement sur la pratique même
de la communication.
La pratique des assemblées qui se généralisa à l’époque, comme unique forme
d’organisation entre les prolétaires, allait de pair avec la généralisation du bavardage.
Une véritable passion du dialogue s’y donnait libre cours. Les assemblées,
on le sait, étaient ouvertes à tous, chacun pouvait parler de ce qui était fait ou restait à faire, et rapidement on en arrivait à parler de tout. La communication trouvait
un prolongement pratique dans l’affrontement collectif contre les flics.
À plusieurs reprises, un vent d’émeute souffla à partir des assemblées. À Vitoria,
le 3 mars 76, après que les premières barricades furent édifiées dans le centreville,
les flics se replièrent faute de renforts. Mais, les assembléistes se sentirent
investis d’une telle force qu’ils en arrivèrent momentanément à en oublier l’ennemi.
Ils allèrent assister à un meeting dans une église. À la sortie, désarmés, ils
se firent mitraillés par les flics qui avaient refermé la nasse entre temps.
Toute la soirée et la nuit qui suivit, les émeutiers se répandirent dans la ville et
s’affrontèrent aux flics la rage au ventre. Il y eut de nombreux morts. La commission
des travailleurs de Forjas Alavesas, qui avait déclenché la grève devenue
générale à Vitoria, était forcée de conclure : «Le meilleur moyen de mettre fin à un
conflit est de désarmer une des parties. Nous avons repris le travail sans obtenir satisfaction
sur toutes nos revendications. D’abord parce que les mitraillettes nous y
obligent. Et ensuite parce qu’ils nous ont désarmés, l’assemblée étant bien entendu
l’arme fondamentale. »
Dans toutes ces grèves, de l’Espagne de la fin des 70’, l’assemblée concentre tous
les pouvoirs de décision. Les syndicats sont des corps étrangers à l’insatisfaction
qui s’y exprime. La représentation syndicale est clairement rejetée.
En octobre
76, en Vizcaya, pendant la grève de la construction, les assemblées sont journalières
et coordonnées entre les différents chantiers où se prennent des décisions
discutées ensuite dans l’assemblée générale dont dépend la coordination entre
tous les délégués, la commission de négociation, les piquets, la caisse de grève, la
rédaction du bulletin de l’assemblée. Les syndicats y sont ouvertement traités
en ennemis, et il leur est formellement interdit de prendre la parole, de distribuer
des tracts, d’arborer leurs sigles et de collecter de l’argent pour la caisse de grève
en utilisant leurs sigles.
D’autres fois, comme à Leon à la même époque, des syndicalistes se sont faits purement
et simplement démolir le portrait et expulsés de l’assemblée. À la Roca,
Gava (Province de Barcelone), dans un conflit qui débuta en mars/avril 76, et qui
dura jusqu’en décembre, les syndicats se retrouvèrent en dehors du conflit. En novembre/
décembre, une assemblée unique se tenait et regroupait environ 4 700
personnes. À la Roca, chacun se connaissait, ce qui élimina tout risque d’infiltration
et de manipulation sournoise des syndicats. Ceux-ci ne purent faire autre
chose que de condamner le conflit de l’extérieur, prenant position contre les assemblées
et s’indignant de « l’intransigeance des ouvriers ». À plusieurs reprises,
les flics intervinrent pour disperser les assemblées. À partir du 15 novembre pendant
une semaine, elles durent se tenir dans le village proche ou la montagne. Le
17, un vote à main levée fut organisé pour élire une commission de négociation,
dont 9 délégués sur 10 étaient des ouvriers licenciés – posant comme préalable
la réintégration des licenciés et la libération des grévistes arrêtés. En assemblée,
ils s’organisèrent pour former des piquets vers les autres usines de la région et
aller corriger les jaunes et les mouchards. De nombreuses femmes et des centaines
de jeunes se joignirent à eux.
La consigne étant, comme à Vitoria, « tout le pouvoir aux assemblées », les syndicats
durent unir tous leurs pouvoirs contre les assemblées. Ils firent de l’unité des
travailleurs leur cheval de bataille, c’est-à-dire pour eux, l’unité des travailleurs
derrière les syndicats, au moment même où certaines assemblées commençaient
à se coordonner entre elles. Les staliniens, à travers les CCOO, durent abandonner
dans un premier temps leur prétention hégémonique à la représentativité, et
pour avoir plus de poids s’associèrent avec l’UGT et l’USO (chrétiens) au sein
du COS (une sorte d’intersyndicale). Devant la promesse de leur reconnaissance
légale par l’État, ils montrèrent très vite, dans les faits, que la condition sine qua
non à cela était qu’ils contribuent à vaincre le mouvement réel. À la Roca, par
exemple, où ils étaient rejetés de l’assemblée, ils réussirent à isoler le mouvement,
à empêcher qu’il ne s’étende, suppléant par là l’action de la police qui encerclait
les ouvriers dans leurs quartiers. Certains syndicats, comme les CCOO, la
CNT... tentaient de se servir du prestige d’une clandestinité passée (et toute formelle
après Franco) pour être acceptés dans les assemblées. Certains même n’hésitèrent
pas à se proclamer assembléistes. Tout au long de l’année 76, il n’était pas
rare de voir des syndicalistes proposer leurs services à la porte des usines.
Mais, là où les syndicats ont pu pleinement exercer un rôle néfaste contre les assemblées,
ce fut là où les assemblées s’avançaient en terrain ennemi : celui de la
négociation. Dans l’assemblée s’organise la communication entre les prolétaires
eux-mêmes. Il y parlent leur propre langue et il n’est question que de leur propre
insatisfaction. Sur le terrain de la négociation, les assemblées, par l’intermédiaire
des délégués, étaient forcées d’employer le discours de l’ennemi, celui du
deal et des chiffres. Les commissions négociatrices, élues par les assemblées,
n’étaient pas des organismes spécialisés dans la négociation, et la plupart du
temps, elles étaient là sur un terrain glissant.
Certaines assemblées, lorsqu’elles étaient réellement en position de force vis-à-vis
de l’État auraient eu tort de ne pas en profiter pour imposer leurs exigences. La
négociation n’était plus alors que le moment du rapport du force créé par l’assemblée.
Et puis si les délégués de l’assemblée ne se montraient pas à la hauteur,
elle pouvait toujours en désigner d’autres, représentants plus fermement sa détermination
! Un bel exemple de résultat négocié fut les 70% d’augmentation
du salaire de base, obtenus en 76 à Valladolid par les ouvriers du bâtiment, à l’issue
d’une grève avec assemblée.
Par contre, la recherche d’une solution négociée en prolongement de ce qui avait
motivé les assemblées, ne fit la plupart du temps que les affaiblir, servit aux syndicats
à les isoler dans les intérêts particuliers à chaque conflit, et au final, à les
faire disparaître une à une.
Cette tendance va s’affirmer plus particulièrement
dans la création de commissions mixtes composées de délégués des assemblées et
de représentants syndicaux. Dans cette formule bâtarde, l’assemblée se retrouvait
uniquement en position de défensive à la table des négociations.
L’intransigeance imposée par la force de l’assemblée dans un conflit, faisait souvent
que les patrons refusaient d’engager des négociations. Ils ne voulaient pas des
délégués élus par l’assemblée comme interlocuteurs. On ne peut s’entendre avec
des sauvages, des irresponsables qui n’hésitent pas à appuyer leurs exigences par
des moyens violents ! À ce moment-là, les négociations étaient bloquées. Les patrons
envoyaient la Guardia Civile pour disperser les assemblées, ou bien alors
une guerre d’usure s’engageait, le conflit s’éternisait. En dernier lieu, les syndicats
s’offraient pour débloquer la situation et s’imposaient dans un ultime marchandage,
négociant au rabais ce qui avait été avancé par l’assemblée.
À Alicante, en août-septembre 77, plusieurs entreprises du secteur de la chaussure
se mirent en grève pour soutenir les revendications que les travailleurs voulaient
imposer dans la négociation pour les nouvelles conventions collectives qui
devaient être votées en fin d’année. Le « vide syndical » avait été fait au sein des
assemblées. L’assemblée générale des usines de Petrel, Elda, Manovar... exigeait
30 jours de congés payés par an, deux payes en supplément, 5 000 pesetas d’augmentation
pour tous, des salaires égaux dans chaque catégorie, 100% du salaire
en cas de maladie et les 40 heures par semaine. Les patrons se déclarèrent prêts à
entendre ces exigences, mais envoyèrent les flics le 22 août. Des piquets de grève
allèrent alors devant les usines de la région. Des assemblées permanentes s’ensuivirent
matin et soir, auxquelles assistaient près de 70 000 personnes. Le 26,
d’autres usines se joignirent à la grève (comme à Murcia, Albareta, Salinas).
En
représailles, des usines furent fermées, beaucoup d’ouvriers licenciés. La presse
condamna avec les patrons la présence dans les assemblées de nom breuses personnes
n’ayant rien à voir avec le secteur de l’industrie du cuir. De même, ils
s’indignèrent en coeur de la pratique du vote à main levée dans les assemblées. Le
3 septembre, des syndicalistes, en faisant miroiter des promesses du patron réussirent
à faire voter la reprise dans plusieurs usines. Les autres durent céder par la
suite. Non sans que la colère envers les syndicats n’en sorte renforcée.
À Gava, les syndicats s’arrangèrent pour faire aboutir les revendications particulières
des assemblées des entreprises de moindre importance qui s’étaient mises
en grève pour soutenir celle de la Roca. L’assemblée de la Roca qui était la plus
combative put ainsi être vaincue dans l’isolement le plus total.
Au moment fort des assemblées, l’agitation a largement dépassé le cadre des entreprises
et a atteint la société entière. À plusieurs reprises, une communauté
d’intérêt entre les pauvres dans la société s’est clairement exprimée : à la Roca,
une des exigences formulée en assemblées par les grévistes était celle de l’amnistie
générale pour tous les prisonniers d’Espagne.
Au moment où une forte agitation régnait dans les prisons, des assemblées se
formèrent pour appuyer les mouvements des prisonniers demandant une amnistie
générale, car jusqu’alors, seuls les prisonniers politiques en avaient bénéficié.
Le 31 juillet 76, la prison de Carabanchel à Madrid s’était mutinée. Puis,
avait recommencé le 18 juillet 77 suivie par celles de Yeserias, Badajoz, Murcia,
Palma, Grenade, Séville, Oviedo, Barcelone... En août, les prisonniers de Malaga,
Séville, Saragosse se révoltèrent aussi. En octobre des mutineries éclatèrent
à nouveau à Bilbao, Cartagène, Segovie, Palma de Majorque... La 5ème galerie de
la prison de Barcelone fut incendiée. En février 78, la prison de Malaga brûlera
aussi. En 77, il y eut de violentes manifestations pour l’amnistie au Pays Basque
et en Navarre, qui se soldèrent par six morts et de nombreux blessés. Une grève
générale fut appelée en réponse, mais eut un faible écho hors du Pays Basque car
partout ailleurs les syndicats s’arrangèrent pour l’annuler.
Sous Franco, le risque de se retrouver en prison était un risque encouru par tous.
Si à cette époque, le mouvement contre les prisons eut une telle ampleur à l’extérieur,
c’est qu’aussi de nombreux travailleurs avaient eu à subir la sinistre expérience
de l’emprisonnement, le seul fait de faire grève faisant d’eux des
délinquants. Beaucoup se trouvaient d’ailleurs encore entaulés. Ce fut vraiment
une révolte contre un sort commun qui s’affirma alors dans les assemblées.
En 78, à Renteria (banlieue de San Sebastian), nous connaissons l’exemple d’assemblées
convoquées par les habitants pour protester contre un plan d’urbanisation
de la ville. Une nouvelle tour en plus de celles qui hérissaient déjà les
collines environnantes devait être construite. Les habitants s’opposaient à cette
construction car elle aurait entraîné une réduction supplémentaire de l’espace, en
plus du bruit et de la saleté qu’auraient occasionnés les travaux. Tout le monde
était farouchement contre et l’exprimait en assemblée. L’assemblée fut exécutoire
: les plans de la tour furent dérobés, les fondations qui avaient été commencées
sautèrent. C’en fut définitivement terminé pour le plan d’urbanisation !
Dans cette période d’agitation permanente, la nécessité se renforça pour
l’État de civiliser l’insatisfaction des travailleurs réunis en assemblée, de
ramener dans la légalité un mouvement qui en était si souvent sorti. À
partir de 77, une avalanche de lois, de décrets, de réformes est produite en vue
de préparer la signature d’un pacte social qui réunira tous les prétendants à la gestion
du pays : le pacte de la Moncloa (en octobre 77). Ce pacte signé entre le gouvernement
et les partis politiques, consacre le consensus social de la « nouvelle
Espagne démocratique », une sorte de « compromis historique » à l’espagnol. Il
se donne pour objectif de réunir toutes les conditions pour obliger les pauvres
à se remettre au travail, par la mise en place d’un solide encadrement législatif.
Ainsi, le pacte confirme officiellement la reconnaissance des syndicats. (Ils
avaient déjà été légalisés en mars 77. En août, sans perdre de temps, ils participaient
à une « commission mixte charger d’étudier le programme gouvernemental »
avec les représentants de l’État, et à laquelle participaient les trois principaux
syndicats : les CCOO, l’UGT et l’USO. Les partis politiques sont aussi légalisés.
La grève sans préavis est autorisée mais doit être déclarée à l’initiative des « représentants
légaux ». Il est interdit de faire des grèves avec occupation des locaux,
de faire des grèves tournantes ou perlées considérées comme abusives. De
plus, seules les grèves dites « économiques », sont autorisées (revendications de salaires
etc.) et uniquement dans la période de renouvellement des conventions
collectives... Les revendications peuvent être discutées en assemblée, mais sous
le contrôle de délégués syndicaux élus pour l’occasion... Ce pacte prévoit en
outre des mesures de durcissement des conditions d’exploitation, afin de récupérer
les pertes occasionnées par les précédentes grèves, et maintenir le prix de
la force de travail à un niveau suffisamment bas pour relancer les entreprises espagnoles
et étrangères. Ainsi, les salaires furent bloqués pour cinq ans, et de
nombreux licenciements prévus
(2).
Par le pacte de la Moncloa, l’État a précipité l’intégration du mouvement ouvrier
en Espagne.
À ceci près que le rôle d’intermédiaire des syndicats entre les
travailleurs et l’État dans ce pays, a été épuisé avant même qu’il ait eu le temps
de s’exercer. Les illusions que les syndicats drainent encore
ailleurs en Europe, comme défenseurs des intérêts des
salariés, ont été ruinées très vite chez les travailleurs espagnols,
par leur participation ouverte et accélérée aux affaires
de l’État. C’est maintenant l’intérêt de l’État qui
s’exprime sans ambages par la bouche des bureaucrates : il
faut gérer le travail, il faut gérer ce monde. Aujourd’hui,
et en particulier depuis que se sont fait sentir les effets du
pacte de la Moncloa. Les syndicats espagnols ont autant
de crédit qu’en avait le syndicat vertical franquiste : c’està-
dire aucun. L’UGT est considérée pour ce qu’elle est, le
syndicat d’État, chargé d’appliquer les mesures gouvernementales.
Les staliniens des CCOO apparaissent vraiment
pour ce qu’ils ont toujours voulu être, des gestionnaires
actifs de la force de travail.
L’offensive menée à son terme par l’État, et qui arriva
après deux ans de lutte intense dans les usines et dans la
rue, réussit à casser l’élan des assemblées. Seulement
quelques grèves éclatèrent en réponse, mais furent peu suivies.
De stupides plans « de reconversion » d’entreprises
purent être appliqués, comme à la SEAT. De nombreuses
assemblées avaient été écrasées militairement et n’étaient
pas prêtes de se reformer.
Mais ce n’est pas le moindre mérite des assemblées que de
n’avoir laissé d’autre issue aux syndicats en passe d’être légalisés,
que celle de prendre ouvertement position contre
elles et pour l’État. Les assemblées ont précipité l’usure du
syndicalisme en Espagne.
Sous Franco, la dispersion des luttes était une force, le
centre était nulle part car elles se développaient partout.
Mais, dans la période qui suivit, au moment où
les assemblées se sont multipliées, la dispersion a été la
principale faiblesse du mouvement. Les quelques tentatives
de coordination entre assemblées ont rarement dépassé le
cadre inter-entreprises à l’intérieur d’une même région.
Les prolétaires organisés en assemblée dans les années
76/78, ont continué de compter sur une propagation spontanée
de leur révolte. Ils avaient le souci d’organiser la communication
entre eux, et avec leurs alliés immédiats, mais
n’ont pas organisé la communication de sorte à ce qu’elle
s’empare de tout le pays. Il semble que les assembléistes
espagnols à la fin des 70’ n’aient pas évalué la force immense
qu’ils avaient entre leurs mains — et il suffit parfois
de se représenter sa force pour en avoir alors davantage.
La pratique de l’assemblée, ce qu’il y a de plus ancien, de plus ancré dans la lutte des prolétaires en Espagne, est au coeur du mouvement
social européen comme ce qu’il y a de plus moderne. L’Espagne a enrichi le terrain
des luttes sociales par l’expérience collective de l’assemblée et le principe assembléiste
reste exemplaire pour toutes les luttes à venir dignes de ce nom.
L’assemblée n’est pas le fruit d’un programme mais d’un besoin de publicité qui
devient pratique. En 78, le mouvement des assemblées a été écrasé, mais le principe
reste et agit, et ressurgit régulièrement au centre de certains conflits.
En Europe, le silence a été généralement organisé et conservé sur les assemblées
en Espagne, et principalement par les défenseurs habituels de la vieille classe ouvrière.
Ils se sont tus sur les assemblées car ils ne voulaient surtout pas ébruiter
le caractère essentiellement non politique de ce mouvement. D’ici que cela se
sache et qu’ailleurs dans le monde des prolétaires se le réapproprient !
Dans les années 77/78, le mouvement des assemblées a dépassé le cadre industriel
qui souvent le limitait pour s’en prendre à la société toute entière. Quand les
prolétaires s’attaquent aux prisons, aux diktats policiers des urbanistes, méprisent
si ouvertement les syndicats et la politique, c’est tout le Vieux-Monde qui est atteint
dans ses fondements. Avec la pratique généralisée des assemblées, c’est la
question de l’intérêt universel des pauvres qui se trouve posée. L’absence de publicité
n’est plus une énigme. Les prolétaires espagnols y ont apporté quelques
réponses concrètes dans lesquelles nous nous reconnaissons entièrement.
À nous de jouer !
Vincente Kast, Adriana Valiadis
1. Le 18 juin 59, le PCE
(à travers Radio Espagne
« indépendante » émettant
depuis Prague !!), les
cathos de gauche, les
nationalistes basques et
catalans... s’agitant sur
l’agitation sociale des
dernières années, s’allièrent
dans un mot d’ordre
de grève générale de 24h
lancé dans le but de «déstabiliser
le régime franquiste
». Ce fut l’échec
total. Le seul mot d’ordre
étant «À bas Franco », la
population n’était pas
prête à descendre dans
la rue et se faire massacrer
pour les beaux yeux
racoleurs de la politique
et de ses dirigeants.
2. Déjà en novembre 76,
l’État avait accordé aux
patrons le «despido
libre » c’est-à-dire la possibilité
de licencier à discrétion,
sans préavis, les
travailleurs jugés indésirables
pour l’entreprise, soit
pour leur indiscipline, soit
par souci de rentabilité.