[Extrait à propos de la condition animale, tiré de "Mémoires" par Louise Michel, anarchiste révolutionnaire, institutrice, communarde,
bagnarde et poète]
"Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu’il me souvienne l’horreur des tortures infligées aux bêtes. Depuis la grenouille que les paysans coupent en deux, laissant se traîner au soleil la moitié supérieure, les yeux horriblement sortis, les bras tremblants, cherchant à s’enfouir sous la terre, jusqu’à l’oie dont on cloue les pattes, jusqu’au cheval qu’on fait épuiser par les sangsues ou fouiller par les cornes des taureaux, la bête subit, lamentable, le supplice infligé par l’homme.
Et plus l’homme est féroce envers la bête, plus il est rampant devant les hommes qui le dominent.
Des cruautés que l’on voit dans les campagnes commettre sur les animaux, de l’aspect horrible de leur condition, date avec ma pitié pour eux la compréhension des crimes de la force.
C’est ainsi que ceux qui tiennent les peuples agissent envers eux ! Cette réflexion ne pouvait manquer de me venir. Pardonnez-moi, chers amis des provinces, si je m’appesentis sur les souffrances endurées chez vous par les animaux.
Dans le rude labeur qui vous courbe sur la terre marâtre, vous souffrez tant vous-même que le dédain arrive pour toutes les souffrances. Cela ne finira-t-il jamais ?
Les paysans ont la triste coutume de donner de petits animaux pour jouets à leurs enfants. On voit sur le seuil des portes au printemps, au milieu des foins ou des blés coupés en été, de pauvres petits oiseaux ouvrant le bec à des mioches de deux ou trois ans qui y fourrent innocemment de la terre ; il suspendent l’oiselet par une patte pour le faire voler, regardent s’agiter ses petites ailes sans plumes.
D’autres fois ce sont de jeunes chiens, de jeunes chats que l’enfant traîne comme des voitures, sur les cailloux, ou dans les ruisseaux. Quand la bête mord le père l’écrase sous son sabot.
Tout cela se fait sans y songer ; le labeur écrase les parents, le sort les tient comme l’enfant tient la bête. Les êtres, d’un bout à l’autre du globe (des globes peut-être !), gémissent dans l’engrenage : partout le fort étrangle le faible. Étant enfant, je fis bien des sauvetages d’animaux ; ils étaient nombreux à la maison, peu importait d’ajouter à la ménagerie. Les nids d’alouette ou de linotte me vinrent d’abord par échanges, puis les enfants comprirent que j’élevais ces petites bêtes ; cela les amusa eux-mêmes, et on me les donnait de bonne volonté. Les enfants sont bien moins cruels qu’on ne pense ; on ne se donne pas la peine de leur faire comprendre, voilà tout.
[...]
Il m’arrive souvent, en remontant à l’origine de certaines choses, de trouver une forte sensation que j’éprouve encore telle à travers les années.
Ainsi, la vue d’une oie décapitée qui marchait le cou sanglant et levé, raide avec la plaie rouge où la tête manquait ; une oie blanche, avec des gouttes de sang sur les plumes, marchant comme ivre tandis qu’à terre gisait la tête, les yeux fermés, jetée dans un coin, eut pour moi des conséquences multiples.
J’étais sans doute bien petite, car Manette me tenait par la main pour traverser le vestibule comme pour faire un voyage.
Il m’eût été impossible alors de raisonner cette impression, mais je la retrouve au fond de ma pitié pour les animaux, puis au fond de mon horreur pour la peine de mort.
Quelques années après, on exécuta un parricide dans un village voisin ; à l’heure où il devait mourir, la sensation d’horreur que j’éprouvais pour le supplice de l’homme se mêlait au ressouvenir du supplice de l’oie.
Un autre effet encore de cette impression d’enfant fut que jusqu’à l’âge de huit à dix ans, l’aspect de la viande me soulevait le coeur ; il fallu pour vaincre le dégoût une grande volonté et le raisonnement de ma grand’mère, que j’aurais de trop grandes émotions dans la vie, pour me laisser aller à cette singularité."
tirés de "Mémoires".
Hirondelle
Hirondelle qui vient de la nuit orageuse,
Hirondelle fidèle, où vas-tu ? dis-le-moi.
Quelle brise t’emporte, errante voyageuse ?
Écoute, je voudrais m’en aller avec toi,
Bien loin, bien loin d’ici, vers d’immenses rivages,
Vers de grands rochers nus, des grèves, des déserts,
Dans l’inconnu muet, ou bien vers d’autres âges,
Vers les astres errants qui roulent dans les airs.
Ah ! laisse-moi pleurer, pleurer, quand de tes ailes
Tu rases l’herbe verte et qu’aux profonds concerts
Des forêts et des vents tu réponds des tourelles,
Avec ta rauque voix, mon doux oiseau des mers.
Hirondelle aux yeux noirs, hirondelle, je t’aime !
Je ne sais quel écho par toi m’est apporté
Des rivages lointains ; pour vivre, loi suprême,
Il me faut, comme à toi, l’air et la liberté.
Extraits de "à propos du végétarisme"
[Par Elisée Reclus, géographe, anarchiste, "légumivore" végétarien.
A cette époque, le végétalisme et/ou le véganisme n'avaient pas
encore été clairement théorisés. Mais l'essentiel des réflexions
que fait Reclus restent pertinentes, même d'un point de vue Vegan]
"Chacun de nous, surtout ceux qui ont vécu dans un milieu populaire, loin des villes banales, uniformes, où tout est [39] méthodiquement classé et caché, chacun de nous a pu être le témoin de quelqu’un de ces actes barbares, commis par le carnivore contre les bêtes qu’il mange. Il n’est pas besoin d’aller dans telle Porcopolis de l’Amérique du Nord ou dans un saladero de La Plata pour y contempler l’horreur des massacres qui constituent la condition première de notre nourriture habituelle. Mais ces impressions s’effacent avec le temps : elles cèdent à cette éducation funeste de tous les jours qui consiste à ramener l’individu vers la moyenne, en lui enlevant tout ce qui en fait un être original, une personne. Les parents, les éducateurs, officiels et bénévoles, les médecins, sans compter le personnel si puissant qu’on appelle « Tout le monde », travaillent de concert à endurcir le caractère de l’enfant à l’égard de cette « viande sur pied », qui pourtant aime comme nous, sent comme nous, et pourrait progresser aussi sous notre influence, à moins qu’elle ne régresse avec nous.
Car c’est là précisément une des conséquences les plus fâcheuses de nos moeurs carnivores, que les espèces d’animaux sacrifiées à l’appétit de l’homme aient été systématiquement et méthodiquement enlaidies, amoindries, avachies dans leur intelligence et leur valeur morale. Le nom même de l’animal en lequel a été transformé le sanglier est devenu la plus grossière des insultes : la masse de chair que l’on a vue se vautrer dans les mares nauséabondes est si laide à regarder qu’on évite bien volontiers toute analogie de nom entre la bête et les mets qu’on en tire. Quelle différence de forme et d’allure entre le moufflon qui bondit sur les rochers des montagnes et le mouton qui, désormais dépourvu de toute initiative individuelle, simple chair abrutie livrée à la peur, n’ose plus s’éloigner du troupeau, se jette de lui-même sous la dent du chien qui le poursuit. Même abâtardissement pour le boeuf, que nous voyons maintenant se mouvoir péniblement dans les prairies, transformé par les éleveurs en énorme masse ambulante aux formes géométriques, comme dessinées d’avance pour le couteau du boucher. Et c’est à produire des monstres pareils que nous appliquons l’expression d’« élevage » ! Voilà comment les hommes accomplissent leur mission d’éducateurs à l’égard de leurs frères, les animaux ! [40]
Au reste, n’est-ce pas ainsi que nous agissons envers la nature entière ?"
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