jeudi 29 juillet 2010
"Ne dites pas..."
Chargés d'histoire et de poudre, certains mots agissent sur le discours politico-médiatique à la manière des rayons X : ils révèlent le fond sous la forme. Il convenait donc de les éliminer au profit de termes plus avenants. «Exploitation», qui séparait trop visiblement la société entre exploités et exploiteurs, est d'ores et déjà remplacé par « exclusion » ou, selon les cas, par «gouvernance». «Lutte de classes», suspecte d'ignorer la «complexité du réel», demeure margi nalisée malgré les efforts de Wall Street en faveur de sa réha bilitation. Il manquait aux patrons - pardon, aux « entre preneurs» - un pense-bête pour parler vrai *.
NE DITES PAS «salaire», dites «coût du travail». Suggérez ainsi que le premier terme, malencontreusement associé à la rémunération méritée d'une tâche imposée, représente en réalité une charge pour la collectivité, voire une calamité. Exemple : « On sait bien que le coût du travail non qualifié est une des causes du chômage. » (Alain Mine, Le Nouvel Observateur, 3 mai 2007.) Il serait en effet plus difficile d'affirmer : «Le salaire des serveuses est une des causes du chômage. »
NE DITES PAS « extraction de profits », dites « création de valeur». Le profit sent le soufre, annonce le profiteur. Mais quel rustaud s'opposerait à la création, sur laquelle souffle l'inspiration de l'artiste? «Je suis convaincue qu 'il faut changer de toute urgence la façon de concevoir la création de valeur et de richesses. » (Ségolène Royal, Les Echos, 19 octobre 2007.) En assemblée générale, ne pas oublier de préciser : «création de valeur pour l'actionnaire».
NE DITES PAS «cotisations sociales», dites «charges sociales». Et exigez leur allégement. Généralisé après la seconde guerre mondiale, le système des cotisations sociales évoque encore cette autre partie du salaire, socialisée puis reversée aux malades, aux retraités, aux chômeurs. Ternir cette aura exigeait qu'on y associe l'idée de pesanteur, de paralysie, voire d'asphyxie ! Pour Laurent Joffrin, PDG du quotidien Libération, on peut « contribuer à l'emploi en allégeant les charges sociales, salariales et patronales pour tout le temps travaillé et non pour les seules heures supplémentaires». (Libération, 10 juillet 2007.)
Enfin, quand le coût du travail devient insupportable à vos épaules déjà écrasées de charges malgré ce désir toujours brûlant de créer de la valeur,
NE DITES PAS «licenciements». Dites «plan social». Ou «plan d'action» :
« Le groupe de luxe et de distribution PPR, propriétaire
de la société de vente et distribution La Redoute,
qui a annoncé cette semaine des suppressions d'emplois,
va initier d'autres plans d'action face à la crise,
a déclaré jeudi son PDG François-Henri Pinault. »
(AFP, 23 octobre 2008.) En attendant les «plans d'amour»?
P. Rimb. dans "Manières de voir : Les révoltés du travail".
* Lire Alain Bihr, La Novlangue néolibérale,
Page deux, Lausanne, 2007,
et Eric Hazan, La LQR, Raisons d'agir, Paris, 2006
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