Nous sommes arrivés de toute l’Italie et d’Europe. Nous nous sommes rencontrés ici, sur les montagnes du Val Susa, nous avons partagé un plat de pâtes, la dernière gorgée de vin ou du Maalox. Partagé de façon naturelle, avec des amis fraternels ou des personnes parfaitement inconnues – jusqu’à hier. De Milan, Rome, Paris, Zurich, Bilbao, Naples ou d’autres endroits jamais entendus – jusqu’à hier. Il y a ceux qui ne parlent pas un mot d’italien, ceux qui n’ont jamais fait une balade en montagne, ceux qui croyaient dans les pétitions – jusqu’à hier. Nous avons échangé les récits d’expériences similaires, aux quatre coins du monde. Nous sommes tous là pour nous jeter dans cette bataille, commencée par les femmes et les hommes du Val Susa, contre le projet de train à haute vitesse. C’est une lutte qui a dépassé l’horizon de ces montagnes, pour devenir pratique et "patrimoine" des révoltés de toute l’Europe. C’est aussi notre lutte – aujourd’hui.
Nous nous affrontons ici, contre ce qui est un parfait exemple des nécessités d’un monde de marchandises et une des pointes de l’iceberg du progrès. Un progrès de la technique qui vise inexorablement la destruction de l’humanité – l’humanité de chacun de nous.
Ce qui nous a amené ici, certains depuis des années, d’autres depuis quelques semaines ou jours, ce n’est pas seulement, cependant, la juste solidarité vis-à-vis de ceux qui se battent avec dignité contre la destruction de l’espace de leur propre vie. Il s’agit d’un plus profond et plus intime désir de liberté.
Nous luttons, aussi ici, comme en chaque lieu, pour la liberté. La liberté de chaque individu, la mienne, qui commence nécessairement là où commence aussi celle de chaque autre, parce que si un seul est enchaîné, je ne peux pas être libre.
On peut facilement l’entrevoir : la victoire des Valsusains et de leurs soutiens contre le projet du TAV va dans le sens de la destruction de l’actuel système de domination. L’affrontement en cours dans ces montagnes pose en effet la question d’un changement radical de la vie, qui ne peut que passer par la fin de l’Etat. Dire que nous ne voulons pas le TAV, ni ici ni ailleurs, signifie dire que nous voulons en finir avec chaque pouvoir, étatique, économique ou de tout autre type. De l’autre côté, vus les intérêts soumis à ce projet, céder serait un échec historique pour la clique Etat italien-Confindustria. Une victoire notable pour qui lutte pour la liberté. Certes, ce ne sera pas chose facile, mais beaucoup de signes sont encourageants.
Il y a aussi, cependant, des poids morts. Il y a ceux qui sont intéressés à distinguer entre les "gens de la vallée" et "ceux de dehors", pour pouvoir mieux diviser, quand c’est nécessaire, les bons des méchants. Il ne s’agit pas, malheureusement, seulement des seuls journalistes à la solde des patrons. Il y a ceux qui voudraient circonscrire la révolte à des modalités – et des horaires – prédéfinis. Qui voudrait prendre (et se faire prendre) des photos – mais ils se croient au cirque, ces guignols ? Ceux qui voudraient cette lutte comme prérogative d’un groupe bien défini de spécialistes, experts manipulateurs des médias et donc défenseurs d’un affrontement symbolique, théâtral, tendu à recueillir un consensus médiatique. Tous les autres – la masse – seraient réduits à un troupeau à amener en promenade pendant les manifestations. Ceux qui voudraient une résistance pacifique et civile. Des "actions" spectaculaires mais parfaitement inoffensives. Quelque chose, en somme, qui ne porte pas préjudice à la possibilité de traiter avec le pouvoir, une fois le spectacle fini.
Avec ceux là, nous n’avons rien à partager. Nous ne sommes pas civilisés, nous ne sommes pas pacifiés, nous ne résistons pas, mais nous attaquons en cherchant à faire mal à l’ennemi. Nous n’avons rien à défendre, mais une vie – notre vie – à extirper d’un répugnant destin de domination. Ce pour quoi chacun de nous se bat n’est pas délimitable, n’est pas représentable. Cela n’aurait aucun sens, vu à la télé.
Si c’est un nouveau monde que nous portons dans le coeur, ce que nous avons vécu, ce que nous sommes en train de vivre là haut en est une intuition féconde. Une intuition que nous voyons devenir réalité, dans les petits gestes quotidiens comme dans les grands rêves. Dans la nourriture qui n’a pas de prix, dans les pierres qui volent ou passent de main à main jusqu’à la première ligne, dans les frondes qui tournent, dans le don du masque avant de t’en aller même pour quelques jours, en pensant au compagnon sans nom qui t’a pris par la main cette nuit dans laquelle, détruit par les gaz, tu étais perdu sur le sentier...
Tout cela n’est pas seulement un moment de rupture, mais une pratique qui continue, qui devient une expérience partagée et marque, avec l’intensité que l’insurrection sait toucher, la vie de chacun. La vie devient insurrection...
L’étincelle que chacun de nous porte à l’intérieur est ravivée par ces rencontres complices, par des retrouvailles, par de nouveaux liens, par ce tourbillon de rage et d’amour, tournoyant, imprévisible et créateur comme la vie même.
En rentrant dans nos maisons, dans les villes d’où nous venons, nous portons en nous la conscience que quelque chose est en train de changer – que c’est nous qui le faisons changer, justement maintenant. Que du Val Susa la révolte se propage. Les motifs contingents sont nombreux, mais la tension qui anime chacun de nous est la même. Que dans toute l’Europe flambe le feu qui nous brûle de l’intérieur et qui nous a amené ici. Que du vieux monde il ne reste que des cendres.
Et dans le feu l’amour.
... POUR LA LIBERTÉ !
Traduction d’un texte italien publié le 8 septembre 2011 sur
Informa-Azione trouvée sur Indy Grenoble.
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