lundi 2 août 2010

De la naissance de l'idée de « Nation » à la « Guerre Nationale ».

«L'identité nationale», naissance d'un concept

" Dans un esprit anthropologique, donc, je propose la définition suivante de la nation : c'est une communauté politique imaginaire". Benedict Anderson

Concrètement, qu'est-ce que « l'identité nationale » en termes humains ? L'ensemble des normes, des codes, des dispositifs régissant un groupe social ou un agrégat de groupes sociaux. Les habitudes partagées, dans leur multiplicité. Un lot de « points communs » réels ou fantasmés. Des habitudes qui restent, qui passent, que nous traversons et qui nous traversent, mais surtout, que nous ne cessons de troquer ou de conserver : jamais par choix, mais par la force des choses, ou par nécessité d'usage. Le terme est apparu dans les années 1980 et a succédé à celui de « sentiment national », en réalité plus pertinent, car reflétant le caractère émotionnel du « sentiment d'appartenence » qui fonde cette « communauté imaginaire ».

Car c'est bien ce qu'est la nation : d'abord un sentiment qui relie des gens qui ne se connaissent pas et ne se rencontreront probablement jamais. Là réside le paradoxe de la nation : elle présupose des "points communs", des points de "raliement", comme fondateurs de son identité lorsque d'autres, qui peuvent sembler plus notoires, plus fondés historiquement et plus nombreux, existent en transcendant les nations et les frontières : la classe sociale, le genre, les luttes internationalistes, etc.
En outre, c'est d'abord l'Etat qui proclame cette identité nationale, puisqu'il est le "gardien de la nation", et c'est donc une manière pour le pouvoir de s'emparer d'une notion d'appartenance.

Certains historiens relient l'apparition du « sentiment national » (cf. références) à la naissance de l'imprimerie en 1439, suivie du développement de l'industrie de l'imprimerie comme « première industrie capitaliste » (on pourrait aussi dire pré-capitaliste). On le sait, le premier livre imprimé est alors la bible. La réforme protestante joue un rôle de catalyseur dans ce développement industriel de l'édition de masse.
L'apparition, très graduelle à partir du XVIIe siècle, de « sentiments nationaux » se serait d'abord manifestée dans la bourgeoisie lettrée (et/ou commerçante) prenant conscience, à travers les livres, puis les journaux, connus pour être imprimés en grands nombres, que leurs préoccupations sont partagées par un nombre important de personnes, c'est-à-dire qu'ils font partie d'une communauté.

D'une certaine manière, on peut donc affirmer que la nation est une construction sociale fondée sur un sentiment d'appartenence qui est liée au développement historique de la bourgeoisie en tant que classe prenant conscience d'elle-même et de ses intérêts. Et ce fut d'abord une manière pour les bourgeoisies de ralier le reste de la société en vue d'établir un système fondé sur ses propres valeurs, et sa propre culture : en un mot, ses propres intérêts.

Plus tard, c'est encore la bible qui jouera un grand rôle dans les missions « civilisatrices » de la france coloniale. A la décolonisation, et au sentiment « d'inachevé » des colonialistes, succèdera tout un imaginaire raciste de « barbares » qui n'ont jamais été correctement « civilisés » selon les valeurs et la culture du « pays qui les accueille ».

Autre exemple du lien étroit entre le développement de l'industrie -et son important essor dans la deuxième moitié du XIXe-, la bourgeoisie et même la noblesse d'une part et le nationalisme d'autre part : la parution de "l'Essai sur l'inégalité des races humaines", du Comte de Gobineau (issu de la noblesse de robe) qui fonde le mythe de "l'aryen" comme seul "capable de batir une civilisation".

Théorie racialiste sous-jacente à l'idée d'une "culture supérieure".

C'est pourquoi on trouve, nichée au coeur de ce sentiment, la « culture nationale». En tant que dispositif, cette culture joue aujourd'hui un rôle essentiellement régalien : elle évite à chacun de sortir de son carcan, ou plus précisément, elle l'y maintient fermement.

Le sentiment national s'appuie aussi sur une idée de simultanéité à travers les mots et les symbôles : les mêmes, lus, dits, chantés, aimés simultanément par un grand nombre de personnes, à jamais inconnues de l'individu. Cette communauté existant à travers les mots n'est donc, encore une fois, qu'une imagination pour l'individu.

Vue sous cet angle, le concept de "nation" est ainsi d'une part "une simultanéité dans les mots" et les symbôles (La Marseillaise, la lettre de Guy Mocquet, le drapeau tricolore, etc...) et d'autre part se présente comme une fatalité pour l'individu (et même pour l'histoire), notamment en raison de ses supposés "fondements naturels". Deux points communs avec la religion et son imaginaire.

Identité culturelle, identité nationale, qu'elle s'habille d'ailleurs de la culture militante ou du patrimoine, comme de la « culture française », qu'elle soit d'ailleurs « de gauche » comme « de droite ». Le concept d'identité nationale n'est ainsi pas contenue dans une identité politique en particulier. Elle a surtout des « valeurs », qui lui permettent d'opposer ses défenseurs à ceux ou celles qui ne les partagent pas. Le « manque de culture » (sous-entendu, de "la bonne"), la « maîtrise des références culturelles et de la langue » ou encore le simple fait de ne pas disposer de papiers en règle sont autant de traductions pragmatiques du langage de l'exclusion.

L'historien Benedict Anderson relève à ce propos dans « l'imaginaire national » (Chapitre neuf), trois mécanismes qui ont pour lui notablement favorisé le développement du « sentiment national » :


-Le musée et son contenu
-Le recensement
-La carte d'identité nationale.


« L'identité nationale » apparaît d'abord pour ce qu'elle est ici : un moyen de contrôle dont les fondements historiques semblent plus révélateurs que ses supposés fondements naturels, finalement assez pauvres en comparaison.

Car c'est une fiction théorique : à l'image de la nature humaine.
Parce que la définition actuelle de « l'identité nationale » se comprend elle même comme « naturelle ». « Isssue de la nature ». Comme on né d'une certaine famille, d'un certain rang, d'une certaine couleur de peau. Etc. Autre paradoxe notable, et pourtant logique dans ce paradigme : en français on dit « naturaliser » pour « adoption de la nationalité ».

Cette « nationalité », qui n'est en fait que l'administration législative du sentiment national. Sentiment dont on peut deviner les limites, et qui ne semble donc qu'un réceptacle de ces choses qu'on veut forger comme les « valeurs » à défendre chez les bons citoyens, à cette fin unique d'en distinguer les mauvais. Les ratés. Les récalcitrants. Et la fonction de paria, entant que piège identitaire normatif, déssine les contours même de la délimitation socialement acceptable des frontières de l'identité.

Les frontières justement, que les Etats ont tendance à vouloir verrouiller un peu partout en Europe ces derniers temps, pour construire leur « eldorado » barbelé.
Des frontières repoussoirs. Des frontières miroirs, qui permettent aux « français » par exemple, de se sentir encore «français » et d'en être fier.

Mais la pertinence de cette théorie identitaire reste justement douteuse; Elle n'a pour pure vocation que de décrire les habitudes et les normes séculaires d'un groupe, voir de tout un peuple qu'on labélise alors « nation », Et d'y conscrire les individus.

En offrant un panel de « coloris » à choisir dans ce qui est plus ou moins acceptable, les représentants des classes dominantes offrent là une jolie boite de pandore, Avec son ensemble de cages plus ou moins dorées parmi lesquelles il est permit de choisir entre quelques dichotomies : « honnête citoyen/racaille, français d'abord/arabo-musulman, bon mari/mauvais gendre, bonne femme/mauvaise femme, Noir/Blanc, Laïc de droite/chrétien de gauche. » mais surtout « militant identitaires » contre « ennemis de l'identité nationale ». Cette dernière est de loin la plus importante car elle transcende les autres. Il y a bien-évidement des « petites frappes » bien « français-e-s de souche », blanc-he-s, etc. Mais toujours moins déconsidéré-e-s que ceux ou celles qui « n'acceptent pas les valeurs de leur pays d'acceuil ». Le prédicat identitaire de leurs hôtes, ou "con-citoyens".

Théorie moderne absolument centrale de l'extrême-droite la plus ouvertement néo-fasciste, le concept « identitaire » (ou « défenseur et promoteur de sa propre identité nationale/culturelle») a clairement fait des émules dans l'idéologie dominante.


« La france, doux pays de mon enfance »

Et justement, le capitalisme en crise se rêve aussi, dans chaque recoin, en « crise identitaire » : il se cherche des « idiots utiles ».

Des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part », près à défendre leur «identité» contre la loi en vigueur si il le faut (leur permettant ainsi de se conférer un statut de martyr et de rebelle) à cette fin pratique d'alimenter les guerres de clans, entre « honnête citoyen et voyous » (Les lynchâges racistes des « chinois de belleville » contre jeunes « noirs et arabes » -considérés comme voleurs- sont à cet effet évocateurs) , puis « français et pas français », « bons et mauvais français » ou encore « blancs et non-blancs », comme hier « juifs et non-juifs ».


Divide et imperar.
Diviser pour mieux régner.


Les propos sordides tenus en france par l'actuelle secrétaire d'Etat Nadine Morano en attestent. Comme les ambitions du chiffre et le "caractère humain" que s'attribue le ministre de l'immigration et de l'identité nationale, Eric Besson chargé pour ce dernier de la macabre besogne consistant à traquer les sans-papiers, (« clandestins »), les parquer dans des camps de détention (connus sous le terme ronflant de « centre de rétention admnistrative » ou CRA) puis les renvoyer dans des charters vers leur pays d'origine supposé, parfois en guerre (Irak, Afghanistan, ect;), ou encore les propos récents du Ministre de l'Intérieur Brice Hortefeux qui font échos à ses "blagues" racistes. Tout ces commentaires ne sont pas des « dérapages ». Ils font partis d'un système et constituent un discours assumé. Comme jadis les scandales télévisés de Lepen.

Insistons sur l'expression « faire parti ». Ils n'ont rien d'innocents, d'incontrolés. Un dérapage n'en est un que dans la mesure où les « mots dépassent la pensée », lorsqu'on ne dit pas ce qu'on voulait dire, ou lorsque l'infamie n'a pas été constatée. Ici il n'y a que les médias dominants pour trouver encore des excuses à ceux et celles qui se permettent ce mépris pour le « bas peuple »; Mépris qui est évidemment l'apanage des dominants, sinon leur métier. Autre face cachée de la surmédiatisation des exactions policières d'expulsions de logements ou du territoire (comme l'expulsion des afghans de la « jungle » de Calais, puis le démentellement de campements de roms, puis récemment des habitants de la Courneuve, dont les images atroces d'une femme trainée par terre avec son bébé) la banalisation de la violence d'Etat.

Son exposition médiatique rempli un double objectif :
- D'abord, celui de prétendre encore à un semblant de « démocratie », puisque la diffusion de ces images est encore tolérée, même lorsque la préfécture nie les violences et les blessures contestatés par les médecins, Comme à la Courneuve.
- Ensuite, celui, moins évident, d'habituer le spéctateur à l'insoutenable comme « nécessité » du « rétablissement de l'ordre ». En banalisant la violence contre des étrangers, puis contre des immigrés d'origine étrangère, puis contre des citoyens récalcitrant, ou perçus comme de "seconde zone" : le discours gouvernemental et sa réthorique glacée aux accents béliqueux ne succède pas à ces images, il s'y surajoutte.

A cette violence exponentielle, infligée indistinctement à des hommes, des femmes et des enfants, et exposée complésament dans les médias, s'est effectivement ajouttée le développement d'un discours qui a très largement dépassé la simple sémantique « sécuritaire ». Celle des « policiers touchés dans leur chaire » et de la « justice » qui leur aurait été rendue en condamnant, de plus sans preuves et avec un dossier quasiment vide, 5 habitants de villiers-le-bel jusqu'à 15 ans de prison ferme dans un procès à charge.


L'apartheid qui vient... ou le paradigme nationaliste


Enfin, cette réthorique de « Guerre nationale » qui ne mâche plus ses mots, et les derniers propos du sinistre Hortefeux proposant de « déchoire de leur nationalité » les auteurs de « délits graves » parachève la construction d'un discours qui s'est mise en place depuis déjà plusieurs années.

A mesure que l'arsenal législatif se renforce dans cette logique désormais assumée de « guerre », on ne tardera sans doutes pas à voir « l'outrage à agent » assimilé à un « délit grave ». La loi faisant le criminel, on fabrique toujours plus de "délinquants" à cette fin de légitimer la généralisation de la répression, et ses penchants de plus en plus ouvertement fascistes.

Et d'abord parce que plus aucun gouvernement en france n'avait osé franchir le pas de la "déchéance de la nationalité" depuis Vichy pour les juifs et autres "parias".

Entre temps, la machine à expulser (Centre de rétentions et rafles policières permanentes) et ses mécanismes ont été si bien rodés qu'ils ont fait sauté un certain nombre de « brides » dans les esprits les plus réactionnaires. Et si le pire devait encore être à venir, la logistique est malheureusement en parfait état de marche.

Ces prétentions «d'unité nationale », et de « ensemble, tout devient possible » ont clairement préfigurés la déclaration de « guerre nationale [contre la délinquance] » [ce qui signifie peut être que les « nationaux » doivent s'armer, et mener la guerre aux « autres »] du président de la république, et avec elle le vieux rêve du «seuls contre tous», d'une « nation » constituée de citoyens zélés et pour qui une chose au moins puisse encore faire consensus à défaut de n'importe quoi d'autre : l'identité, nationale évidemment.

Le Cri Du Dodo

Pour compléter :
- Mathieux Rigouste « L'ennemi intérieur La généalogie coloniale et militaire de l'ordre sécuritaire dans la France contemporaine ».
- Jean-François Bayart « L'illusion identitaire ». Entrevue dans leur presse.
- Benedict Anderson « L'imaginaire National » (aussi connu sous le titre « Communautés Imaginaires »), également auteur de « Les banières de la révolte. Anarchisme, littérature et imginaire anticolonial [...] ».
- Wikipedia, article "Identité nationale".

2 commentaires:

  1. Ah les anarchistes.. vraiment..

    l'identité national c'est quoi ? c'est le rouage culturelle et historique d'un peuple,vous,les nanars ,vous voudriez que les peuples oublies leur essences !! de plus,qui à dit " la culture d'un peuple,c'est son âme " ?

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  2. " la culture d'un peuple, c'est son âme " :
    Marine Le Pen ?

    Qu'est-ce que tu entends par "leur essence" ?
    Une culture n'a rien "d'essentiel", tu n'y es pas rattaché par les gênes : c'est la transmission sociale qui joue ici.
    La culture, les cultures évoluent, se modèlent, se déforment et se reforment : nulle part ici il n'est dit que le fait d'avoir une culture particulière est un problème en soi. C'est le contenu, la forme et le procédés du déploiement culturel qui posent question :
    Le principe même de la Nation constitue le fondement idéologique de l'Etat, permettant ainsi à ce dernier de confondre "peuple" et société, société et Nation, Nation et Etat, et de garder ainsi férocement le contrôle sur l'évolution des cultures.
    L'injonction à "l'unité" du principe de la Nation permet d'occulter tout antagonisme de classe au profit de "problèmes communautaires" ou "d'incompatibilité culturelle" : en bref de dresser une partie de la population d'un pays contre une autre, ou dans le meilleur des cas, de faire oublier la question sociale, les dominations, la souffrance et la misère au profit de démonstrations absurdes de fausse unité, de fêtes, de commémorations et de célébrations aussi artificielles que les feux du 14 juillet.

    "La momification culturelle entraîne une momification de la pensée individuelle. L'apathie si universellement signalée des peuples coloniaux n'est que la conséquence logique de cette opération.”

    Frantz Fanon.

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