Le fonctionnement ordinaire de l’industrie nucléaire exige déjà, ici, des sacrifices humains. Nous ne pouvons nous empêcher de penser aux travailleurs précaires du nucléaire, aux cheminots qui convoient les trains de matière radioactive, à leur exposition constante aux rayonnements ionisants. En France nous parlons au bas mot de 30 000 personnes. La catastrophe ne fait qu’élargir le nombre de personnes affectées.

Avec Fukushima, une brèche ne s’est pas seulement ouverte dans les réacteurs. Elle s’est ouverte aussi au fond de nous, résonnant avec l’horreur, nous poussant à agir, tenter de lutter. Nous ne parlons pas en experts, en spécialistes de la chose, ce que nous ressentons est des plus commun : peur et colère. L’urgence devient vitale. Souvent, l’impression qu’aucun changement n’est possible nous tétanise. L’industrie nucléaire a pourtant une infrastructure publique et privée. Elle porte le nom d’Areva, Vinci, Bouygues, GDF-Suez, EDF, du CEA, de l’école des Mines. Des noms familiers, des noms que l’on retrouve facilement ailleurs. Oui, le nucléaire est une affaire d’experts qui font sereinement des plans du haut de leurs tours. La tranquillité du débat français — qui porte essentiellement sur la manière dont l’économie française pourra supporter le passage à d’autres techniques de production d’électricité — a quelque chose de surréaliste. Les apprentis-sorciers de l’économie discutent gentiment avec les savants fous du nucléaire. Avec eux, tout est hors contrôle.

Nous, pas plus que nos parents, n’avons choisi ce délire. La lutte contre le nucléaire, son histoire, s’inscrit, en revanche, dans cette volonté de faire valoir notre capacité commune à discuter explicitement de nos besoins et à inventer nos manières d’habiter, de partager, de travailler, de vivre.

Aujourd’hui, l’avenir que projette toutes les élites est celui d’un capitalisme vert, austère, sécuritaire, aux frontières fermées. Une pression jamais égalée sur les individus est la seule réponse qu’autorise l’économie délirante. Nous refusons de peser nos poubelles, de contrôler nos voisins, de devenir les managers stressés de notre capital humain et écologique. Nous voulons que s’organise la rupture avec un système qui se nourrit de la concurrence de tous, de surconsommation et de toujours plus de destruction. C’est ce système qui est parasite : pas la solidarité, l’entraide et la construction consciente.

Malheureusement, face à la crise économique et écologique, nous réagissons massivement comme des bêtes qui voudraient traverser un autoroute : fascinés par les phares, nous attendons d’être écrasés. En ce moment, comme d’autres, nous nous demandons comment détourner le regard et bâtir une passerelle.

Ce qui se passe en Grèce ces jours-ci, le cynisme avec lequel, au Japon, la continuité de l’économie a été privilégiée sur l’évacuation des populations devrait tous nous inciter à essayer de reprendre prise sur la situation qui nous est faite. Il est grand temps de rompre avec une économie qui ne survit que par l’endettement. Endettement vis-à-vis du futur ; endettement vis-à-vis de la nature. Car nous payons sans cesse la note.

Nous n’avons pas de solution miracle. En revanche nous savons que la première nécessité est celle de la solidarité. D’une solidarité qui permette de mieux articuler — au lieu de les opposer — les sabotages, les actions de masse et la réflexion sur d’autres modes de production. Se redonner du courage, à travers des actions et un soutien inconditionnel de tous, pourrait nous permettre de sortir de l’impasse présente. Ce qu’il s’ est passé à Valognes nous l’indique, ce qu’il se passe au Japon l’exige de nous.

Pour le 11 mars, nous appelons, à Paris, à une manifestation qui partira de la gare de Nord à 14h pour dénoncer les convois de trains de matières radioactives traversant fréquemment la région parisienne. Nous appelons ceux qui le veulent à s’habiller de tenues blanches et de masques blancs, à se parer de tenues qui évoquent celles des nettoyeurs anonymes employés dans les centrales nucléaires, de Fukushima à Paris.