Ceci dit, il faudrait en réalité se demander pour quelle raison beaucoup d'individus sont touchés par des arguments « pathétiques » ou des images choquantes concernant les animaux maltraités et tués, d'autant plus que notre société n'encourage pas la sensibilité envers les animaux, au contraire, elle la stigmatise. La réponse est que de fait, dans la plupart des cas, les humains ne sont pas indifférents vis-à-vis de la souffrance et de la mort des animaux. L'empathie envers les animaux existe indépendamment de l'antispécisme. L'OCL ferait donc bien de centrer sa réflexion sur son vrai objet, l'existence de cette empathie qui gêne, et commencer en faisant son examen de conscience. En effet, les auteurs de l'article affirment préférer les élevages en plein air et des méthodes d'abattage « les moins cruels possibles », en ajoutant même qu'« il n'y a pas besoin de discuter longtemps » pour justifier cette préférence. Pourquoi ?

2/ Selon l'article, « les revendications de la politique (doivent être) portées par les intéressés eux-mêmes », ce qui amènerait à exclure les animaux de la sphère du « politique ». La politique, dit l'article, est une question « d'auto-émancipation, sinon on est dans la prise en charge, la charité, la pitié ». L'OCL semble avoir une vision impitoyable de la société : gare à ceux qui ne peuvent pas s'émanciper par eux-mêmes ! Si ce point de vue était vrai, il y aurait plein d'humains dont les exigences vitales ne pourraient pas être considérées comme relevant du « politique » : toutes les personnes qui n'ont pas les moyens - physiques, psychiques, intellectuels - de développer leur conscience de classe et d'organiser leur résistance. Certes, elles pourront se débattre, se révolter, comme le font les animaux aussi, mais selon l'opinion de l'OCL ça restera individuel, personnel, donc non politique.

Or cette vision de l'être humain est ultra-libérale et ultra-classiste, car elle présuppose une autonomie totale de l'individu sous tous les points de vue, ce qui est une abstraction conceptuelle et une mystification sociale. Ce qui plus est, elle établit une alternative entre auto-emancipation et charité, entre tout ou rien, mais cette altenrative est fausse. Il y a en effet un troisième élément que l'OCL semble avoir complétement oublié : la solidarité. En quoi la solidarité est-elle différente de la charité et de la pitié ? Évidemment, en ce que ces dernières ne font que fournir une aide ponctuelle à une personne ou catégorie sociale sans en mettre en question le statut, tandis que la solidarité implique la reconnaissance du caractère politique de la situation de difficulté de l'autre (par analogie avec sa propre situation d'oppression), et souhaite la fin de l'oppression dont l'autre est l'objet (en même temps que de la sienne). Si la charité est bourgeoise, car respectueuse de l'ordre social, la solidarité est révolutionnaire, car elle participe au renversement de cet ordre. En ce sens, on peut bien être solidaires des animaux. Comme l'étaient les féministes et les travailleurs qui participèrent aux émeutes anti-vivisectionnistes du Brown Dog à Londres en 1907. L'existence d'une solidarité entre opprimés humains et animaux semble aussi ressortir d'une enquête menée par la sociologue Geneviève Cazes-Valette - une chercheuse qui ne défend pas le végétarisme et n'a certainement pas été influencée par l'antispécisme.

En réfléchissant un petit peu, peut-être l'OCL s'apercevra-t-elle que le point 2 contient la réponse au point 1...

Agnese Pignatoro