mercredi 6 octobre 2010

"Rapport minoritaire" récit d'arrestations

Récit «d’arrestations administratives» massive et indistincte pour «trouble à la tranquilité» et retour critique.

Bruxelles, le 2 octobre 2010, dans la nuit.

1.

Tout d’abord, aucun détail ne sera donné sur ces évènements, de nature à compromettre la sécurité de camarades ou compagnon-e-s sur le récit des faits (de par leur nature, et leur caractère fantasmé ou réel), et dont la présentation reste dans ce texte purement pratique dans le but de mener un retour critique sur ce qui s’est passé ce soir. Aucune manifestation n’a réellement eu lieu. Il n’y a donc pas matière à débat sur ce sujet, mais sur ce qui s’est finalement passé, et ce qui aurait pu se passer.

2.

Tout d’abord, ici comme ailleurs, les arrestations préventives, comme à Copenhague, comme ailleurs, redeviennent, partout en Europe, la norme. Le délit d ’ intention, et les arrestations «en amont de toute violation de la loi» ne sont plus du ressort de la science-fiction mais du présent. Notre présent. Et si les condamnations juridiques tarderont peut-être à se généraliser, les détentions interminables existent déjà, et annoncent ce qui peut être à venir.

Avant la manifestation, plusieurs discussions ont eu lieu, de différentes façons, en se questionnant de savoir si la manifestation serait déclarée, si nous irions, pourquoi et comment ? Pointant d’un moment à l’autre, d’une discussion à une autre, la dangerosité d’une telle manifestation, et le risque de finir toutes et tous arrêtéEs, car non-déclarée et non-autorisée dans Bruxelles (certainEs ignorant même jusqu’au fait qu’elle ait été interdite) dans les circonstances particulières qui sont celles de cette semaine et dans un contexte particulier. Plusieurs d’entre nous, loin de dénier l’évidente nécesité que représente le besoin essentiel et même vital de nous affirmer politiquement sans aucune espèce d’autorisation, ont rappeléEs que tout n’est pas question que de «bonne volonté», mais aussi de circonstances. La situation belge n’est pas la situation grecque, qui n’est pas la situation italienne, qui n’est pas la situation française ou espagnole. Et décembre 2008 ici n’est pas le printemps 2006 là-bas, etc.

Nous devons, tout en préservant intacte notre éthique et nos désirs, savoir faire germer l’anarchie dans des contextes et des configurations différentes. En clair : nous préoccuper au moins autant de nous-mêmes que le bassin dans lequel nous sommes plongéEs à tel ou tel moment, en tel ou tel lieu. Dépasser la simple révolte existentielle.

3.

En définitive, si il ne peut y avoir une mesure, et une prise en compte des paramètres environementaux, sociaux, physiques, matériels, culturels, ponctuels ou permanents, numériques, idéologiques, stratégiques, politiques et policiers qui définissent notre situation, à tel endroit, à tel instant : nous devons accepter l’idée que nous [allons] aller droit dans le mur.

Si rien ne permet de faire en sorte qu’il doive pouvoir exister, dans les limites du bon sens, une position souhaitable entre opportunisme et rigidité abstraite, entre bonne volonté et rationalisme plat. En bref, si nous devons bannir tout pragmatisme en le sacrifiant sur l’autel de l’attachement entêté : alors nous devons nous résigner à penser que nous nous battons contre des moulins, que nous restons sagement là où on nous attend, que nous demeurons en fin de compte sinistrement prévisibles, et que tôt ou tard, nous le payerons cher. Avec une «monnaie» qui est la seule qui représente réellement quelque chose pour nous : notre liberté, celle de toutEs les autres, et notre capacité à l’étendre à l’infini.

4.

Pour nombre de camarades et compagnon-e-s, il était évident qu’organiser une manifestation en plein Bruxelles, dans un tel contexte, avec un tel dispositif policier était voué à connaître la fin malheureuse qui a été celle d’aujourd’hui. Et nous osons affirmer que cela aurait pu être bien pire, et que nous avons de la chance, si le mot n’est pas ridicule.

Mais que cela aurait pu être bien mieux. Ce pourquoi nous nous y sommes malgré tout rendu. Parce que nous étions déterminéEs, avec des intentions et des motivations variées, mais aussi et d’abord parce que les mots d’ordre de cette manifestation étaient aussi les nôtres. Malgré tout. Mais nous avions imaginé aussi que d’autres pourraient être capables de ne pas rester accrochéEs à une idée de départ avec trop d’aveuglement : comme à qui on dit «Il y a de l’orage dehors, la sortie est compromise» qui réponde «Non, nous allons sortir». Malheureusement, ici ou ailleurs, aujourd’hui ou demain : les tôles, les commissariats, les hôpitaux psychiatriques, les centres fermés pour mineurs, les centres de rétention et tout le reste seront toujours là demain, et peut-être même après-demain. Et peut-être qu’il sera toujours temps de faire quelque chose sans aller là où il y a le plus «d’orage» : «au mauvais endroit, au mauvais moment».

5.

Certes, à plusieurs instants, dans plusieurs initiatives différentes, qu’elles proviennent de gens du No Border ou d’ailleurs, ont su répondre et se montrer courageux/ses et déterminéEs devant la police. Ne jamais plier. Mais celle-ci s’est montrée, pour sa part, comme le précisait l’affichette dans nos cellules, comme un personnel «spécialisé dans la gestion des personnes privées de liberté». Impassible, imperturbable, sadique, et froidement violente.

Entre autres spectacles navrants d’autorité de pacotille, les prisonniers d’une cellule ont pu par exemple assister à la pitoyable et pathétique démonstration de virilisme en uniforme du gradé Monsieur Van Der Smissen, qui, suivi de ses sous-flics, s’est alors pris au jeu de provoquer chaque prisonnier avec sa matraque sous l’épaule pour voir qui aurait l’audace de lui tenir tête. Le spectacle aurait pu être risible si l’individu n’était pas connu de plusieurs d’entre nous, notamment des manifestations contre les centres de rétention et pour la liberté de circulation totale en faveur des migrant-e-s, comme un harangueur de troupes, galvanisant la haine de sa meute, et notoirement connu pour ses petites phrases racistes et autres crachats de misérable chiens de garde.

Entre autres situations insupportables : plusieurs individuEs, et en particulier des femmes qui ont résisté à la manière dont on les traitait (si l’on considère que des insultes sexistes et un traitement «de faveur», humiliant et même agressif constituent — sans tomber dans le paternalisme observé chez quelques-uns des hommes — des violences supplémentaires à celle que constitue, de par le fait même qu’elles existent, une arrestation et une garde à vue) ont reçu des coups, ont été plaquées au sol, baffées avec gants plombés lorsqu’elles l’ouvraient trop, devant les regards médusés et enragés, et sous les huées et les cris de plusieurs d’entre nous, alors en cellules. S’ajoutent également les camarades et compagnonEs éclatéEs à coups de genoux, de poings, de clés-de-bras et de gel (sorte de pâte urticante et brûlante) dans le visage, et dans les bus nous menant à nos geôles, dans lesquels nous avons été sommairement jetéEs. Bien sûr, mélangéEs entre passantEs arrêtéEs, camarades criant quand d’autres choisissaient de garder un silence de défiance devant toute cette mascarade.

6.

Nous vient alors une question : Tout ça pour quoi ?

L’ultime majorité des arrestations n’a pas été si rondement menée pour seulement nous effrayer ou nous décourager de toute espèce d’action (Monsieur le bourgmestre et toute sa flicaille ne sont pas bêtes au point de croire que cela suffira — sans non plus nier le fait que certaines personnes ont nécessairement vécu, à travers ces violences, une expérience traumatisante. Les sensibilités et ressentis variants d’unE individuE à l’autre. Si ce qui ne nous tue pas nous rend plus fortEs, ce qui nous tue à petit feu ne nous rend pas plus fortEs.) mais dans un but, lui, tout pragmatique justement ; celui de nous photographier et de nous ficher, suivi d’un hypocrite et «courtois» au-revoir pour l’essentiel d’entre nous qui ont ensuite été relâchéEs (même si nous craignons toujours que certaines personnes — en plus d’autres «suspectéEs» — n’aient toujours pas été relâchéEs).



Nous ne portons strictement aucun jugement de valeur, ni moral, ni même éthique sur le fait d’avoir voulu tenir cette manifestation. Nous disons seulement : camarades, amiEs, compagnonEs, n’oublions pas qu’outre la solidarité et l’attaque, il y a aussi la préservation (comme on dit «prévenir plutôt que guérir»), et le sens, si recherché pour nous de la ruse et de la finesse dans un monde aussi brutal et violent, et qui tend à se perfectionner dans son administration de la misère. N’oublions pas que nos énergies ne sont pas infinies. Que nous ne sommes et ne seront jamais un État (et cela, d’abord parce que nous ne le voulons pas). Que nos ressources, comme nos forces et nos vies sont toujours limitées. Nos relations et notre capacité à construire une propagande efficace aussi. Mais brisons le mythe selon lequel toute stratégie d’adaptation est mauvaise, et reconnaissons que le rejet inamovible de réactivité et de souplesse dans nos initiatives (multiples, variées, créatives) est une stratégie qui, en plus de ne porter aucune puissance, nous conduira encore dans le mur, et peut-être plus rudement encore.



N’oublions pas que, comme pour la religion, il ne suffit pas de détruire le clocher, parce que les murs sont surtout faits par des gens et pas seulement avec des briques.



Apprenons de nos erreurs, aguerrissons-nous des mauvaises expériences,



Et par-dessus tout, en préambule de toute lutte, et en particulier de celles contre tous les enfermements :



Élargissons-nous, multiplions-nous, ne nous laissons pas isoler, surtout ne nous laissons pas enfermer !



Les actions et manifestations contre la machine à expulser continueront !



DÉTRUISONS TOUS LES ENFERMEMENTS !

ABOLISSONS LES FRONTIÈRES !

LIBERTÉ DE CIRCULATION TOTALE !

ABANDON DE TOUTES LES POURSUITES !


Des Anarchistes d’ici et là

source : Indymedia Bruxelles, 2 octobre 2010.

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